lundi 21 avril 2014

Marges, trottoirs et stationnement sur rue: l'espace piétonnier

Dans le but de construire des environnements à échelle humaine accueillante pour les piétons, une des premières choses dont on parle souvent est de construire des rues étroites. Mais si les courtes distances sont préférables dans le but de favoriser la proximité, ce n'est pas la seule chose qui compte.

Voici un exemple de deux rues étroites, une à Québec, l'autre à Bruxelles, en Belgique:
Rue étroite de Québec
Rue étroite de Bruxelles
Ces deux rues sont très étroites, mais est-ce que ces images vous donnent le goût d'aller marcher à ces endroits? Pour moi, pas tellement, ça semble être assez mauvais pour les piétons, et je n'aimerais pas m'y tenir. Elles donnent l'impression d'être très exigües. Alors, où est le problème? Ne sont-elles pas pourtant des rues étroites comme on en réclame souvent?

Alors, que faut-il pour rendre un endroit confortable pour les piétons? Et si on se trompait complètement et que ce qu'il fallait, c'est un espacement entre les bâtiments très importants? Allons voir des exemples, après tout, ce ne sont pas les rues larges qui manquent en Amérique du Nord.

Rue résidentielle de Phoenix en Arizona
Avenue commerciale dans l'Iowa: très, très large, mais terrible pour la marche
OK, au moins on n'avait pas tort sur toute la ligne, c'est encore pire que Québec et que Bruxelles. Alors c'est quoi le problème?

Je crois que la largeur est effectivement un facteur important, mais pas la largeur de la rue en entier, plutôt la largeur de l'espace piétonnier.

Dans les deux premiers cas, l'espace piétonnier est excessivement étroit, limité à deux petits trottoirs d'un peu plus d'un mètre de bord et d'autre de la rue, pris entre les murs des bâtiments et les voitures stationnées. Ces voitures ont une grande importance, plusieurs urbanistes nord-américains aiment bien les voitures stationnées pour avoir une barrière protégeant les piétons des voitures en mouvement, mais une barrière, ça va dans les deux sens. Si les voitures stationnées sont une barrière pour les voitures, elles le sont tout autant pour les piétons. Elles indiquent à ces derniers de rester sur leur trottoir, que de l'autre côté, c'est un espace réservé aux automobiles. Elles sont un rappel permanent que les automobiles se sont accaparées toute la rue, elles sont une frontière entre "l'espace automobile" et "l'espace piétonnier". D'ailleurs, à plusieurs endroits, les cyclistes sont pris entre les deux et vont tendre vers le trottoir à moins que des indications existent clairement pour indiquer que la rue leur est disponible (par exemple, avec une chaussée désignée).

Les rues des premiers exemples étaient probablement tout à fait confortables pour les piétons avant la venue des automobiles. Mais depuis, 75% de l'espace a été accordé sans partage à celles-ci, transformant des rues plaisantes à la marche en deux petits corridors de rien du tout, pris entre des murs de maisons et un mur de voitures.

De quoi aurait l'air ces rues s'il en était été autrement, si les voitures n'avaient pas pris possession de la rue grâce au stationnement sur rue? Probablement un peu à ça:
Rue étroite de Québec dans la partie touristique: pas de trottoir, tout l'espace est disponible aux piétons et aux voitures
Ou à ça:
Rue de Takayam au Japon

Rue de Tokyo
Dans le cas du Japon, le corridor piétonnier est très large car les piétons ne sont pas limités au seul trottoir et qu'il n'y a aucune voiture stationnée en permanence pour indiquer aux piétons que cet espace ne leur appartient pas. Alors même si les bâtiments sont encore plus près ici que dans les deux premiers cas, c'est encore un espace très confortable pour la marche car les piétons ont accès à un espace beaucoup plus large. Aucune partie de la rue ne leur est interdite.

Un autre aspect à considérer est ce qui est du côté extérieur du trottoir. Tout comme la présence de stationnements de bord et d'autre de la rue sont perçus par les automobilistes comme une extension de leur corridor, les incitant à conduire plus vite, la présence de cours avant, de véranda et d'espace semi-privé est bénéfique aux piétons, qui voient ces endroits comme faisant partie d'un espace piétonnier, où la présence humaine est la bienvenue.

Dans les deux premiers cas, il n'y a pas de telle zone semi-privée. Le trottoir donne directement sur le mur des résidences et la proximité entre les piétons et l'espace privé à l'intérieur des domiciles fait en sorte que les occupants gardent leurs rideaux en permanence fermés, car qui veut voir les passants jeter un oeil sur ce qu'ils font dans le confort de leurs maisons? Alors les gens s'assurent de protéger leur vie privée en transformant la façade de leurs maisons, pourtant pourvues de fenêtres et de portes, en murs aveugles.

Maintenant, voici un exemple différent, avec une marge à l'avant des bâtiments:
Plateau-Mont-Royal, Montréal
Le cas du Plateau Mont-Royal est intéressant par la présence (réglementaire) de marges entre les bâtiments et les trottoirs. Afin de sauver de l'espace, ceux qui ont construit les bâtiments ont mis les escaliers menant aux appartements des étages supérieurs à l'extérieur des bâtiments, ce qui est caractéristique des bâtiments de Montréal (et qui a été copié dans quelques villes québécoises par la sutie). Cette marge protège également la vie privée des gens sans avoir besoin de fermer les rideaux des fenêtres et permet la construction de vérandas et de balcons À noter également la largeur des trottoirs, qui atteignent 3 mètres à leur point le plus large, ils sont en fait tellement larges qu'on a planté des arbres dessus.

Pour les piétons, cette marge avant, même si elle est une propriété privée, reste accueillante car elle favorise l'activité humaine. Il peut y avoir des interactions entre des individus dans ces aires et les passants sur la rue. Ceci contribue à faire des rues un milieu de vie plutôt qu'uniquement un lieu de transit. À noter aussi que dans les zones commerciales, les vitrines montrant des commerces ou des restaurant contribuent au même effet en montrant un passant que l'intérieur des bâtiments leur est ouvert.

Bon, et voici une rue plus récente de Montréal, qui est une évolution du modèle du Plateau, perdant beaucoup de son attrait.
Lasalle, beaucoup des mêmes éléments que le Plateau, mais sans ses attraits
Il y a des multiplexes de 2-3 étages de bord et d'autre de la rue, comme dans le Plateau, le stationnement sur rue est très fréquent, il y a aussi des escaliers extérieurs et des balcons. Pourtant, cette rue n'est vraiment pas accueillante pour les piétons. Ceci est dû à quelques facteurs:
1- Les trottoirs sont significativement plus étroits que sur le Plateau, le corridor piéton en est donc rétréci
2- Une part importante de la marge avant des bâtiments est accaparée par des entrées asphaltées menant à des garages, ce qui ne sont pas une zone tampon favorable aux piétons
3- L'espace automobile de la rue a été élargi significativement
4- Il n'y a pas d'arbre

Donc, pour résumer, si on veut construire des rues étroites dans des quartiers denses, le stationnement sur rue n'est vraiment pas suggéré, mais des rues partagées le sont. S'il y a beaucoup d'espace entre les bâtiments se faisant face, alors on peut tolérer le stationnement sur rue, tant et aussi longtemps que les corridors piétons sont suffisamment larges. Ajouter une zone tampon entre les trottoirs et les façades des bâtiments n'est pas une mauvaise chose non plus. Et des arbres, tout est toujours mieux pour les piétons avec des arbres.

Parce que j'aime visualiser ce dont je parle avec des schémas, voici de quoi ont l'air certaines des rues que j'ai mentionnées. En noir, les bâtiments, en rouge, l'espace réservé aux automobiles, en jaune, les zones tampons plaisantes pour les piétons et en vert, les corridors piétons.

Pour construire un quartier favorable à la marche, il faut maximiser l'espace vert. Ensuite, on peut avoir beaucoup d'espace jaune, mais il faut réduire l'espace rouge le plus possible.

Ceci révèle aussi un problème avec le modèle typique de banlieue avec des entrées asphaltées et des garages en face. Le modèle typique avec une maison et un terrain très large n'a pas de problème majeur... bon, la densité est très faible et il n'y a fréquemment rien à distance de marche, mais autrement l'espace piétonnier n'est pas nécessairement mauvais. Mais si on densifie ce modèle en construisant des maisons et des terrains moins larges, on a un petit problème:

À mesure qu'on densifie, on perd des espaces jaunes, soit les cours avant, remplacés par des espaces rouges, soit les stationnements asphaltés menant aux garages. Donc à mesure qu'on densifie dans ce modèle, on rend le milieu de moins en moins plaisant pour les piétons. C'est probablement pourquoi les Nouveaux Urbanistes veulent repousser les garages et les stationnements hors rue sur des allées arrière. Mais d'autres alternatives sont possibles, par exemple en réduisant la taille des stationnements et en les rendant moins différents du reste de la cour avant, ou en retirant ces stationnements des terrains pour avoir des stationnements collectifs concentrés à un endroit sur la rue.

mardi 15 avril 2014

Le dernier kilomètre: problème ou opportunité?

Le "dernier kilomètre", ou "last mile" en anglais (ce qui correspond en fait à 1,6 kilomètre mais bon, passons...) est un principe de transport en commun, souvent perçu comme un problème des transports en commun rapides.

Le tout vient du fait que les transports en commun sont limités dans la vitesse qu'ils peuvent atteindre par le nombre d'arrêts qu'ils ont à faire sur leur trajet. Ainsi, quelle que soit la technologie retenue, afin d'assurer une accélération progressive et confortable pour les usagers, dont plusieurs peuvent être debout, l'accélération sera limitée à environ 1 mètre par seconde carré, ce qui équivaut à un gain de vitesse de 3,6 kilomètre par heure à chaque seconde. Comme l'accélération est constante, la vitesse moyenne d'une ligne de transport en commun dépendra principalement de la distance entre chaque arrêt, et dans une moindre mesure, par la vitesse maximale de la ligne.

Donc afin d'avoir un moyen de transport en commun vraiment rapide, il n'y a pas d'autre choix que d'espacer les arrêts. Voici un graphe qui représente la vitesse moyenne d'une ligne de transport en commun en fonction de l'espacement entre chaque arrêt et la vitesse maximale.

Relation entre l'espacement des arrêts et la vitesse moyenne (ou commerciale)


Donc une ligne de transport en commun rapide devra avoir des arrêts espacés de 600 mètres minimum, afin de bien concurrencer la voiture. Ce qui veut dire que très peu de gens et de destinations seront situés directement en face d'un arrêt. La majorité du monde devra effectuer un trajet dans un autre mode pour arriver à destination ou pour atteindre la station, que ce soit à pied, en autobus, en bicyclette ou en voiture. C'est le « problème » du dernier kilomètre, dans le sens que sur un trajet de 10 kilomètres, tous sauf le dernier peuvent être faits dans un moyen de transport rapide.

La raison pour laquelle c'est considéré comme un problème est assez simple. La vitesse pratiquée dans ce dernier kilomètre sera bien inférieure à la vitesse du reste du trajet, il peut aussi y avoir des désagréments comme un temps d'attente additionnel entre le trajet principal et le dernier tronçon. Bref, pour les experts qui doivent concevoir les systèmes de transport en commun de quartiers existants, c'est un problème majeur qui semble réduire la qualité du système.

Mais je crois qu'en fait, le « dernier kilomètre » n'est pas un problème, c'est une opportunité urbaniste.

Pourquoi est-ce que les villes sont généralement situées à proximité de ports ou sur des rivières?
Pourquoi est-ce que les centres commerciaux en banlieue sont situés aux échangeurs d'autoroute?
Pourquoi est-ce que les commerces s'agglutinent le long des boulevards hautement fréquentés?

Parce que dans tous ces cas, on bâtit sur un endroit qui est « sur le chemin », à un endroit où il y a beaucoup de passants qui pourraient être intéressés de s'y arrêter. Et c'est justement ce que les arrêts des transports en commun rapide offrent. Elles représentent des escales, des points de passage obligés pour un nombre très important de personnes. Si le secteur est urbanisé, il y aura un très grand nombre de piétons à proximité de la station se rendant chez eux. Même s'il n'y a qu'un terminus d'autobus, il y aura quand même beaucoup de gens qui peuvent attendre leur autobus pendant plusieurs minutes à l'endroit.

Donc au niveau des développements, c'est une occasion en or de bâtir un lieu commercial orienté vers les piétons, car des piétons, il y en aura en masse. On a une concentration d'activités à l'endroit dont on peut profiter si on ose le permettre.

Effectivement, ce genre de transport en commun ne dessert pas parfaitement les développements linéaires le long des boulevards dans les secteurs construits pour l'automobile. Alors si l'objectif du transport en commun est simplement de permettre aux gens sans voiture de survivre dans un milieu conçu uniquement pour la voiture, alors oui, c'est véritablement un problème. Si au contraire l'objectif du transport en commun est de créer son propre développement axé sur lui-même et sur la marche, alors ce n'est pas un problème, c'est en fait un grand avantage en fournissant un lieu où les activités peuvent se concentrer.

Les transports en commun rapides sont donc idéaux pour connecter entre eux des quartiers orientés vers la marche, comme une série de villages urbains, denses en leur centre (près de la station) et moins denses à mesure qu'on s'éloigne de ce centre, jusqu'à ce qu'on s'approche d'une autre station et que la densité augmente à nouveau. On ne doit pas craindre le "dernier kilomètre", mais y voir une opportunité de changer le paradigme du développement urbain.

vendredi 11 avril 2014

Démocratie locale ou tyrannie locale?

Tout le monde aime la démocratie, de donner un contrôle aux individus sur le sort de leur société et de leur collectivité. On essaie justement d'impliquer et de donner plus de contrôle aux gens sur les milieux qu'ils habitent. Ce sont de bonnes intentions... mais dans les faits, le système actuel est tout simplement terrible, biaisé et un obstacle au progrès.

Un système biaisé qui donne le pouvoir aux "pas dans ma cour"


Le problème avec la démocratie locale telle qu'appliquée actuellement est qu'elle est conçue essentiellement pour donner aux résidents le droit de bloquer des projets privés. On donne en effet un droit de veto aux résidents actuels d'un endroit pour tout projet qui diffère le moindrement de ce qui existe déjà. C'est en quelque sorte un complément du zonage euclidien dont j'ai déjà parlé. Le zonage limite grandement ce qui peut être construit, mais il peut toujours être changé, et quand une proposition de changement ou une dérogation est demandée, alors là on entre dans une phase de "consultation".

En pratique, le promoteur se doit de vendre le projet aux résidents, qui dans les consultations peuvent faire entendre leurs voix, puis ils peuvent aller plus loin et demander le rejet du changement de zonage requis pour le projet. 

Il y a deux problèmes majeurs avec ce système:

1- Le système est biaisé en faveur des opposants

Il faut comprendre que la majorité des projets de développement ne sont pas des projets publics, dans le seul que le but de ces projets serait de fournir des services ou un lieu public (musée, parc, etc...) pour la communauté. En général, il s'agit d'un projet privé, cherchant à répondre aux besoins d'une clientèle limitée, par exemple, le résidentiel, ou des places commerciales, ou des bureaux, etc... Ceci veut dire que le nombre de personnes qui bénéficiera directement du projet sera très faible, mais ça ne veut pas dire que c'est mal. Le lieu où vous habitez, même si vous êtes dans un logement social, est le résultat d'un projet visant des intérêts privés, les vôtres en l'occurrence.

Devant ce genre de projet, les gens tendent à se poser deux questions:
Est-ce que je vais en bénéficier?
Est-ce que le projet réduira ma qualité de vie?

Ceux qui répondent OUI à la première question et NON à la seconde seront les supporteurs du projet.
Ceux qui répondent NON à la première question et OUI à la seconde seront les opposants.
Ceux qui répondent NON aux deux seront des gens neutres qui s'en ficheront complètement.
Ceux qui répondent OUI aux deux vont se sentir impliqués mais déchirés sur la question (des indécis).

Or, comme je l'ai expliqué, ces projets sont des projets privés, donc la majorité du monde va répondre NON à la première question. Et là, ça laisse donc deux catégories seulement. Les opposants, ceux qui croient, souvent par peur plutôt que par réflexion rationnelle, que le projet nuira à leur qualité de vie. Les "pas dans ma cour" sont experts à se trouver des raisons pour croire que n'importe quel projet nuira à leur qualité de vie: "Ça va briser l'harmonie du quartier!", "Je vais perdre ma vue!", "Les matériaux sont laids!", "Je vais perdre mon stationnement!", "Ça va amener des indésirables!", etc, etc... Les gens craignent souvent ce qu'ils ne connaissent pas.

L'autre catégorie, ce sera des gens neutres qui savent que ce projet changera bien peu à leur vie directement. Ces gens là ne sont pas motivés à s'impliquer dans les consultations ou à aller voter s'il y a un vote sur l'enjeu en question.

Bref, la population est divisée entre les opposants, et ceux qui sont désintéressés. Ce qui veut dire que le promoteur fera généralement face à une audience braquée contre son projet dans les consultations, et que s'il y a vote, les opposants vont l'emporter haut la main... mais avec un taux de participation minuscule.

2- Seuls les résidents actuels ont un droit de parole

Ça, c'est un facteur majeur, surtout dans les projets résidentiels à haute densité. En général, ceux qui bénéficieraient des projets n'habitent pas présentement dans le quartier. Ils aimeraient probablement y habiter mais ne trouvent pas de logement abordable qui leur convient. Ou bien ces gens ne sont pas présentement intéressés par le quartier dans sa forme actuelle, mais le seraient si les projets commerciaux ou de bureaux se concrétisaient. À l'opposé, souvent les résidents actuels ont choisi d'habiter dans le quartier car ils l'aiment bien comme il est.

Donc si un projet de développement doit être soumis au jugement des résidents actuels, alors c'est sûr que les résidents actuels auront un biais contre toute proposition qui changerait le moindrement l'allure de leur quartier. Il y a peut-être bien des gens qui seraient ravis du projet présenté, mais qui ont commis le péché impardonnable de ne pas présentement habiter à l'endroit, donc leur opinion ne vaut rien.

Donc même si un projet ou un changement de zonage bénéficierait à terme à 200 personnes et qu'il n'y a que 100 personnes habitant à proximité du site, le projet peut être bloqué car les 200 personnes ne sont pas présentement des résidents et donc n'ont aucun droit de parole sur le projet.

C'est pour ça que même lorsque des sondages révèlent que les gens aimeraient qu'on construise des quartiers urbains plus denses près de noeuds des réseaux de transport en commun, avec plus de densité et de proximité, les projets pour faire ça tombent à l'eau bien souvent. Ce n'est pas parce que la majorité n'en veut pas, c'est parce que ceux qui les veulent sont éparpillés en ville alors que les opposants sont souvent concentrés dans les coins en question.

C'est pour ça que je trouve que ce que l'on appelle la "démocratie locale" est en fait une "tyrannie locale" des résidents actuels sur tous ceux qui aimeraient vivre à l'endroit.

Cas de tyrannie locale: l'îlot Esso


Dans la ville de Québec, il y a eu un cas assez typique du processus. Le maire Régis Labeaume parle souvent de densification, probablement pour maximiser les revenus de taxe et diminuer les coûts de développement des banlieues. Un promoteur l'a pris au mot, il a acheté un terrain d'une ancienne station-service dans le quartier Montcalm, près du centre-ville, pour y créer un bâtiment à usage mixte, où le rez-de-chaussée serait réservé à des commerces, avec des vitrines tout le tour du bâtiment sur le bord du trottoir, et les étages supérieurs seraient des condos. Le devant du bâtiment serait aménagé en petit espace piéton. Bref, à bien des égards, le projet cadre bien dans le milieu et représente tout ce que l'on veut en terme d'urbanisme.

Voici l'îlot Esso en question:
Coin de l'îlot Esso
 Et voici de quoi le projet a l'air:
Schéma du projet
Toutefois, l'opposition s'est vite organisée. Pourquoi? Parce que la bâtisse a 6 étages plutôt que 4. 

Qu'est-ce que ça change? En pratique, pas grand chose. Les rues sont suffisamment larges pour que l'ombre du bâtiment ne soit pas un problème, la "perte de vue" des voisins est un argument ridicule car ceux-ci perdraient leur vue même si le bâtiment avait les 4 étages acceptés par le zonage, et des villes comme Paris sont considérées comme des joyaux de l'urbanisme par certains justement car elles sont construites avec des bâtiments de 5 ou 6 étages. Mais bon, des "pas dans ma cour", ça se contente de peu, alors ils ont sans cesse marteler que 6 étages, c'était excessif. Pourquoi? Ils ne le savent pas, mais c'est excessif.

Profitant des mécanismes de la "démocratie locale", les opposants ont ouvert un registre demandant un référendum, qu'ils ont obtenu, et où ils ont rejeté le projet à 77%...

...mais le taux de participation était d'environ 30%...

...pire! Seulement les coins où un nombre requis de personnes ont signé le registre avaient le droit de voter, donc seulement les coins où l'opposition était forte!...

...dans les faits, 266 personnes ont voté contre le projet. Soit 1,7% des résidents du quartier Montcalm.

Bref, 266 taouins ont bloqué un projet de 7 millions de dollars qui aurait offert 30 condos, un bénéfice majeur pour 60 personnes ou plus, en plus d'un espace commercial qui aurait probablement des centaines de clients par semaine. C'est d'une absurdité complète!

Transformer la démocratie locale: du "pas dans ma cour" au "je veux ça dans ma cour"


Ce que je crois qu'il faut faire, c'est changer le focus des institutions de démocratie locale. Présentement, elles sont conçues essentiellement pour donner un droit de veto sur de nouveaux projets. Je crois que cette approche doit carrément prendre le bord. Au contraire, plutôt qu'un lieu de blocage, les institutions de démocratie locale doivent être un lieu d'initiative collective et publique.

C'est-à-dire qu'au lieu de tenir des consultations pour des projets privés, on doit plutôt permettre à des collectifs citoyens de PROPOSER des projets pour des terrains dans leur quartier. Par exemple, la création de parc ou des aménagements urbains. Les villes devraient tenir des consultations dans les quartiers et permettre aux gens d'organiser des pétitions en appui à certains projets publics. Ces projets pourraient être acceptés par les élus ou soumis à des référendums locaux pour voir si la ville les entreprend. Dans la mesure où il y a des coûts de ces projets, ceux-ci devraient être payés par des prélèvements sur les quartiers qui en bénéficieraient, une information qui devrait être écrite sur le bulletin de vote.

Par exemple:

"Le Projet d'Initiative Populaire 2014-01 propose la transformation du terrain vacant situé au coin des rues X et Y en parc, au coût de 1 million de dollar. Pour payer cette somme, une taxe spéciale de 20$ par année par logement serait prélevée pour les 4 prochaines années pour tous les logements du quartier AAA. Êtes-vous pour ou contre ce projet?"

Ainsi, les gens auraient un contrôle POSITIF plutôt que NÉGATIF sur les développements de leur quartier.

Il faut comprendre d'ailleurs que ce processus actuel augmente significativement les coûts de développement immobilier dans les quartiers urbains et en augmente les risques. Les promoteurs n'ont alors pas le choix, afin de maintenir leur marge de profit (et pour eux, leur marge de profit, c'est leur salaire, on ne peut pas les blâmer de vouloir être payé pour ce qu'ils font) que de passer les coûts additionnels aux futurs acheteurs ou locataires de leur projet. Le résultat est que le prix des logements dans le quartier sera à la hausse car on impose une hausse des coûts de construction.

jeudi 10 avril 2014

Le problème avec les tours à condos...

J'ai déjà parlé dans un article précédent de la densification par le sol contre la densification par la hauteur et qu'il était préférable de privilégier la densification par le sol afin de constituer un tissu urbain pour la ville en premier lieu et de faire de la rue un milieu de vie plutôt que simplement un lieu de transit. Mais dans les faits, il faut préciser qu'il est tout à fait possible de constituer un tissu urbain avec des tours résidentielles, si celles-ci bordent la rue. À Vancouver, ils ont développé un modèle où les tours sont distancées des rues afin d'éviter de les plonger das la pénombre éternelle, mais où il y a une "base" de 3-4 étages s'étendant de la tour vers la rue afin de constituer le tissu urbain et éviter les "tours dans les parcs".

Le "Vancouverisme", des tours résidentielles avec des bases de faible hauteur cernant la rue
Donc le problème des tours peut être évité. Est-ce que ça veut dire qu'on peut adopter ce modèle partout? Surtout dans la mesure où l'on veut densifier les villes? Personnellement, je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Le fait est que les logements ne sont pas nécessairement interchangeables. Différentes personnes ont différents logements qu'ils recherchent, s'ils ne trouvent pas de logement exactement comme ils le désirent, ils vont être prêts à certains compromis, mais pas à n'importe lequel. Quelqu'un qui recherche une maison unifamiliale pourrait se contenter d'une maison semi-détachée, d'un maison en rangée, voir même d'un duplexe, mais il serait très peu probable que cette personne accepte de vivre dans un condo au vingtième étage. D'ailleurs, c'est ce qu'une étude dans la région de Québec a révélé, les chercheurs ont divisé les personnes en recherche d'un logement en 6 types:
Préférences résidentielles observées dans une étude à Québec
Vous pouvez convaincre quelqu'un identifié comme du type 2 d'accepter un logement et un quartier de type 3 s'il ne trouve pas de logement de type 2 abordable satisfaisant à ses besoins, mais vous ne le convaincrez jamais d'accepter un logement de type 5 ou 6.

En pratique, qui achète des condos dans des tours? Souvent, ce sont des célibataires, des jeunes professionnels, des retraités... et des investisseurs. Les familles en général évitent ces logements, surtout en Amérique du Nord.

Donc la réalité du marché immobilier, c'est qu'il n'y a pas qu'un seul marché immobilier, il y a plusieurs marchés, avec des groupes de consommateurs recherchant certains types de logement. Les logements ne sont pas interchangeables.

Donc, si on veut attirer des familles et satisfaire à leurs besoins de logement dans les villes, il faut opter plus que simplement pour des logements de 3 chambres et plus, il faut s'assurer de construire des bâtiments qu'ils trouveraient satisfaisants. C'est-à-dire en général, des bâtiments de bas étage, avec un terrain (cour avant et/ou arrière) et des portes donnant directement sur la rue.

Et c'est un problème qui se manifeste beaucoup à Vancouver et Toronto et dans certaines villes. Comme la densification requière des changements de zonage et donc nécessitent des consultations dispendieuses pour les promoteurs, construire des bâtiments légèrement plus denses n'est souvent pas justifiable par la marge de profit attendue. Donc, les promoteurs tendent à favoriser les bâtiments beaucoup plus denses et plus hauts, car c'est seulement leurs profits qui justifient de lutter contre les "pas dans ma cour".

Alors plusieurs villes, prises avec un manque de logements abordables dans les quartiers centraux, tendent à favoriser de maximiser les quelques terrains disponibles pour la densification en permettant la construction de très hautes tours résidentielles.

...sauf que ces tours résidentielles échouent lamentablement à réduire la pression sur les prix des maisons, car ces logements ne concurrencent pas les maisons, les familles les boudent en général. Ces condos s'adressent simplement à une clientèle différente, une clientèle qui est souvent des investisseurs désirant utiliser ces condos pour de la spéculation immobilière ou des investisseurs étrangers désirant un "pied à terre" dans une ville dans laquelle il ne réside pas. D'ailleurs, un nombre très important d'unités à Vancouver ne sont carrément pas occupées même si elles ont été achetées.

Donc miser exclusivement sur les tours à condos pour augmenter le stock immobilier des villes est une erreur majeur. Il faut une diversité d'habitations différentes s'adressant à TOUTES les clientèles, car une croissance exclusive de logements dans des tours résidentielles exclut une grande part des acheteurs potentiels, les repoussant souvent dans les banlieues.

Ça souligne la nécessité de relaxer le zonage, de cesser d'imposer tout le temps des formes d'habitations dans tous les quartiers, mais d'ouvrir la porte à une variétés de logements différents, afin d'assurer que toutes les clientèles puissent avoir des logements qui leur conviennent dans tous les quartiers, favorisant la mixité sociale.