mercredi 14 mai 2014

De l'importance de la densité: preuve à l'appui

Une des choses qui revient fréquemment dans le discours de ceux qui veulent un meilleur urbanisme est l'augmentation de la densité. Malheureusement, c'est aussi une des choses qui fait le plus peur aux gens habitués à la basse densité qui associent fréquemment la densité avec une perception biaisée des villes: congestionnée, infestée de crime, sale, etc... Les résidents des villes rient de ces idées préconçues, mais cette perception reste là. Certains posent des questions comme "Mais pourquoi cette obsession avec la densité?", ou encore "Pourquoi voulez-vous forcez les gens à vivre entassées dans des cages à poules?".

La réalité est que la densité n'est pas désirée en soi, mais pour ce qu'elle permet, les objectifs réels sont plutôt:
  • Créer des villes plus durables et résilientes, où on peut se déplacer et répondre à nos besoins avec des moyens de transport économiques et écologiques plutôt que de se fier uniquement sur des véhicules motorisés privés.
  • Créer des milieux publics plus riches pour favoriser le développement de communautés à travers des interactions sociales spontanées.
  • Avoir des villes où il fait bon vivre grâce à une culture vibrante et à la multiplicité des activités économiques et culturelles
La densité est simplement une condition sine qua non pour tout ceci. La clé de voûte de tout ceci est de permettre des alternatives de transports comme la marche, or ces alternatives ne sont pas aussi rapides que la voiture (même si elles sont plus économiques et efficaces). Bon, les transports en commun rapides peuvent les battre dans certains contextes (métros, trains régionaux, etc...), mais les arrêts sont très distancés, donc ces moyens de transport ne seront viables que s'il y a beaucoup de densité près des arrêts. Donc pour assurer la viabilité des alternatives de transport, les destinations (centres d'emplois, services, commerces, etc...) doivent être près des zones résidentielles.

Or, on ne peut pas bâtir des épiceries (par exemple) à chaque kilomètre peu importe la population. Les épiceries, tout comme tous les autres magasins, ont besoin d'un bassin de population minimal pour survivre financièrement. Si on assume qu'une épicerie requière un bassin de clients de 7 000 personnes pour rester à flot, alors dans une ville de 20 000 personnes, on ne trouvera que 3 épiceries maximum, si une autre ouvre, une des épiceries existantes fermera à la longue.

Donc il est possible d'approximer combien de commerces de chaque type une zone urbaine peut avoir en regardant la population. Quelques commerces de proximité comme les dépanneurs peuvent survivre avec de très petits bassins de clients, d'autres comme les magasins spécialisés ont besoin de très larges bassins de clients, ils seront donc rares et situés à des noeuds névralgiques des réseaux de transport (boulevards majeurs, échangeurs autoroutiers, stations de métro, etc...).

Reprenons l'exemple de la ville de 20 000 habitants, en supposant une densité uniforme de 3 000 personnes par kilomètre carré, typique des banlieues québécoises, avec 80% de la zone de la ville étant résidentielle (le reste étant des parcs, des commerces, etc...). La ville peut faire vivre 3 épiceries, même si les trois étaient placées afin de maximiser la proximité plutôt que toutes dans un même coin, seulement 10% de la population habiterait à 5 minutes de marche de l'épicerie, et 40% à 10 minutes de marche. La majorité des clients devra donc venir magasiner avec un autre moyen de transport plus rapide. Le transport en commun est trop peu fréquent dans les endroits de basse densité et peu pratique pour faire l'épicerie, la bicyclette est possible si on a les aménagements pour, mais pas tellement en hiver, ça laisse la voiture qui sera dominante. Il ne serait pas étonnant que la voiture soit utilisée pour 90% des déplacements vers les épiceries.

Une banlieue de 20 000 habitants avec 3 épiceries, les zones orangées représentent la zone à 5 minutes de marche
Maintenant, augmentons la densité à un niveau respectable mais moyen de 8 000 personnes par kilomètre carré, et ça a déjà l'air mieux. Le nombre d'épiceries n'a pas changé car la population est la même, mais maintenant 30% de la population est à 5 minutes de marche de l'épicerie la plus proche, et toute la population est à moins de 10 minutes de marche d'une épicerie. L'usage de la voiture pourrait être réduite à 70% ou un peu moins.
Une petite ville de 20 000 habitants avec ses 3 épiceries
Regardons maintenant le cas d'un quartier urbain avec 15 000 personnes par kilomètre carré. Désormais, 60% des gens sont à moins de 5 minutes de marche de l'épicerie la plus près, et plusieurs sont à moins de 10 minutes de deux ou trois épiceries. Pour la majorité du monde, la voiture est optionnelle pour se rendre à l'épicerie, peut-être que seulement 40% du monde ou moins l'utilisera.
Quartier urbain dense de 20 000 habitants avec 3 épiceries
Bon, le tout est une simplification, en réalité il y a plusieurs facteurs comme l'emplacement des épiceries, la densité résidentielle peut être concentrée près des zones commerciales, les temps de parcours à pied peuvent être allongés par des dédales de rue imposant des détours à tous. Mais le principe est clair, plus on est construit dense, plus il y a de choses à proximité du résident moyen, et plus le transport en commun devrait être fréquent et donc utile.

 

Une démonstration statistique de ce principe à partir des enquêtes origines-destinations



OK, j'avoue pour le moment, rien de très passionnant, qu'un énoncé d'un principe de base souvent répété. Un peu ennuyant même, peut-être, mais maintenant, j'offre quelque chose qui est rarement offert: une démonstration statistique et empirique du lien entre densité et moyens de transports alternatifs (transports en commun et transports actifs).

Au Québec, nous faisons dans les agglomérations urbaines des études "origines-destinations" qui sondent des dizaines de milliers de personnes pour connaître leurs habitudes de déplacement. Ceci inclut d'où ces déplacements commencent (les origines), où ils se terminent (destinations), pourquoi ils sont faits (motif) et comment ils sont faits, par quel moyen de transport (mode).

Ces études fractionnent les zones métropolitaines en petits secteurs, chacun se méritant une page sommaire de cette sorte:
Exemple d'une page sommaire d'une enquête O-D
Cette page ne fait pas qu'offrir des informations sur les déplacements, elle donne la population de la zone, la superficie ainsi qu'une image des rues qui permet d'estimer quelle proportion de la zone est habitée. Par exemple, dans cet exemple, toute la partie sud n'est pas habitée, c'est un parc, donc seulement 60% de la superficie est habituée.

En entrant ces données dans un tableur Excel, j'ai pu créer des graphiques montrant l'évolution des modes de transport selon la densité résidentielle de chaque zone. Et les résultats sont impressionnants. Mais pour les non-Québécois, quelques infos importantes:

Montréal 
  • La métropole du Québec, 1,6 million d'habitants dans la ville elle-même, environ autant dans les banlieues rapprochées.
  • Dispose de 4 lignes de métro qui sont très utilisées et fréquentes, et d'un réseau d'autobus disposant de plusieurs lignes fréquentes en ville, les "10 minutes max".
  • Des trains de banlieue dans les banlieue, mais souvent seulement en opération lors des périodes de pointe dans le sens de la pointe.
Québec
  • La capitale nationale du Québec, environ 500 000 habitants dans la ville, qui a englouti plusieurs banlieues rapprochées au fil des ans. Environ 200 000 personnes dans les banlieues à l'extérieur des limites de la ville.
  • Pas de métro, pas de tramway, aucun moyen de transport en commun rapide. Juste quelques lignes de "Métrobus", des autobus fréquents avec des arrêts un peu plus distancés que la moyenne.
  • BEAUCOUP d'autoroutes, des banlieues très isolées et dépendantes de la voiture, mais avec un centre urbain très dense, un petit morceau d'Europe en Amérique
Derrière note, "part modale" veut dire la proportion de déplacements se faisant dans un certain mode. Donc une part modale de 10% pour le transport en commun veut dire que 10% des déplacements se font en transport en commun.

Dans les graphes qui suivent, les secteurs de Montréal sont en rouge, ceux de Québec sont en bleu. J'ai retenu les déplacements des résidents des secteurs, et non ceux des gens de l'extérieur s'y rendant. Les lignes sont les courbes de tendance.

Tout d'abord, comment est-ce que la fréquentation du transport en commun change avec la densité résidentielle?

Part modale du transport en commun vs la densité résidentielle (personnes par kilomètre carré)
La relation ici est très claire, la part modale des transports en commun semble directement proportionnelle à la densité à Montréal. Le point vagabond vers 5 000 personnes par kilomètre carré avec 35% de part modale pour le transport en commun est le centre-ville, qui a peu de résidents mais une grande densité de tout le reste (commerces, emplois, etc...). À Québec, la relation est aussi fortement positive, mais le taux semble plafonner à 12-15%. Je vois deux facteurs qui peuvent expliquer ça:
  1. L'absence de métro ou d'autres systèmes de transport en commun rapides rend le transport en commun à Québec lent et bien moins utile. Le métro aiderait la part modale des transports en commun même dans les secteurs moins denses, ceux aux environs de 6 000 personnes le kilomètre carré à Montréal ont en moyenne une fréquentation du transport en commun de 50% supérieur aux quartiers de densité similaire à Québec. Ça montre bien les limites des autobus en circulation mixte, le dilemme de la médiocrité des autobus dont j'ai déjà parlé.
  2. Montréal est une ville plus grosse, dont le coeur urbain est plus étendu, donc les déplacements, même des résidents des quartiers denses, sont plus grands qu'à Québec où le coeur de la ville est plus petit, ce qui rend le transport en commun moins utile.
Bon, maintenant regardons les transports actifs, la marche et la bicyclette:
Part modale des transports actifs vs la densité résidentielle (personnes/kilomètre carré)
Intéressant... Ici, c'est Québec qui semble battre Montréal. Peut-être que le manque de bon transport en commun incite les résidents des quartiers denses à marcher plus fréquemment et à prendre le transport en commun moins souvent. Ou bien la piètre performance de Montréal s'explique par la présence de banlieues denses (entre 7 000 et 10 000 personnes par kilomètre carré) éloignées du centre et mal conçues pour la marche (je vis dans une de ces banlieues, Lasalle, marcher n'est pas impossible, mais pas confortable et plus long que ça devrait être). Remarquez que certains quartiers denses de Montréal égalent la performance des quartiers denses de Québec, avec deux quartiers de Montréal à plus de 35% de part de transport actif.

Finalement, regardons la part modale de l'automobile:
Part modale de la voiture vs la densité résidentielle (personnes/kilomètre carré)
Ici, les relations dans les deux villes sont très linéaires, ce qui m'a actuellement surpris. Je m'attendais à voir une relation forte entre densité et usage de la voiture, mais je ne m'attendais pas à une relation aussi directement proportionnelle et linéaire. Ça semble presque trop parfait.

Montréal est la gagnante ici, les banlieues ne sont pas bien mieux que celles de Québec, mais dans les secteurs denses, Montréal bat Québec par 10 points de pourcentage. Bien que la part des transports actifs des quartiers centraux de Québec est supérieure, la domination en transports en commun pousse la balance du côté de Montréal. Néanmoins, les parts modales de la voiture sont plus similaires que différentes dans les deux villes malgré leurs différences, du moins pour des quartiers aux densités équivalentes.

Le point rouge tout seul dans son coin est encore une fois le centre-ville de Montréal qui a une densité résidentielle faible mais une densité de tout le reste très élevée.

Si la densité est clairement un facteur dominant, ça ne veut pas dire que c'est le seul facteur. Même dans des quartiers aux densités identiques, la part modale de la voiture varie de jusqu'à 15 points. Je peux imaginer plusieurs facteurs expliquant cette différence:
  • Si certains secteurs mélangent les usages (résidentiel, commercial, etc...) alors que d'autres les séparent scrupuleusement, les premiers favoriseront beaucoup les transports alternatifs.
  • Si les secteurs ont des autoroutes les coupant en deux tout en accélérant les voitures, la voiture est favorisée
  • La qualité de la desserte en transport en commun (présence de métro ou de train de banlieue à Montréal par exemple)
  • La forme du réseau routier, en forme de grille (favorable à la marche) ou en formes courbes pleines de culs-de-sac (favorisant la voiture)
  • Si la population est plus ou moins riche
Ce sont des analyses que je pourrais peut-être faire dans l'avenir, mais pour l'instant je me contente d'avoir mis à jour la très forte relation entre la densité résidentielle d'un secteur urbain et l'usage des moyens de transport alternatifs à la voiture. Ce qui réconforte ceux qui argumentent pour la nécessité de densifier afin de réduire notre dépendance à l'automobile et de favoriser des villes plus humaines.

vendredi 2 mai 2014

Escaliers de Montréal, Towers of Toronto

Voici une comparaison des modes de développement des deux plus grandes villes canadiennes, Montréal et Toronto, qui ont suivi des modèles très différents se reflétant dans le type d'habitations.

Les escaliers de Montréal, ou Montréal, la ville du multiplexe


Le stock immobilier de Montréal se définit principalement par ce qui est couramment appelé des "multiplexes", des unités d'habitation construites l'une par-dessus l'autre. Par contre, les multiplexes diffèrent des blocs appartements typiques à plusieurs égards:
1- Ils sont généralement limités à 2 ou 3 étages
2- Ils n'occupent pas une très grande superficie, pas plus d'un ou deux logements par bâtiment
3- Chaque logement dispose de sa propre porte sur l'extérieur plutôt que d'avoir une entrée commune

Quand je dis que ce type de bâtiment prédomine, je ne niaise pas, nous en avons des kilomètres carrés, comme le démontre cette photo prise du Mont Royal, vers l'est. Tout ce qu'on peut voir est du multiplexe, ou presque.

Multiplexes à perte de vue
Quand Montréal a commencé à croître avec la première migration urbaine de l'ère industrielle, le multiplexe a été le bâtiment privilégié. Et une spécificité des logements de Montréal est l'escalier extérieur, qui est pratiquement unique au monde.








Ces photos montrent des vieux bâtiments comme des nouveaux, des bâtiments pour les riches comme pour les pauvres.

Les touristes en sont généralement bouche bée de voir ça. Ils trouvent ça étrange que dans une ville où il y a quotidiennement de la neige et de la glace pendant 5 mois par année que les habitants aient opté pour des escaliers de métal à monter et à descendre plusieurs fois par jour. Il n'est pas clair pourquoi ces escaliers sont communs, j'ai entendu deux théories.

La première veut qu'afin d'éviter d'avoir des bâtiments trop près l'un de l'autre, la ville a mandaté des marges avant, soit entre les bâtiments et la rue, ce qui a réduit la surface sur laquelle il était possible de construire. Afin de sauver de l'espace, les parties communes ont été mises à l'extérieur du bâtiment.

La seconde est que c'est une manière de réduire les parties communes à chauffer l'hiver. Comme les escaliers sont extérieurs, seuls les logements en tant que tel doivent être chauffés.

En tout cas, nous sommes pris avec, et les Montréalais en général en sont fiers. C'est une sorte de symbole architectural de la ville.

Donc, c'est de quoi a l'air Montréal, quartier par-dessus quartier composé de multiplexes, avec une variété d'appartements de tailles différentes dans chaque.

The towers of Toronto


Toronto est une ville plus récente et c'est assez évident. Elle suit la tradition nord-américain d'avoir une offre de logement très polarisée entre maisons unifamiliales et blocs appartement ou tours à condos de très grande taille. En fait, dans un voyage récent à Toronto, ça m'a choqué de voir le peu de bâtiments multifamiliaux de petite taille. Voici la vue sur le centre-ville à partir de la tour du CN.

Toronto à partir de la tour du CN, avec des tours résidentielles et à bureaux suivant les lignes de métro
Photo à partir du même endroit, mais un peu à gauche, mer de maisons unifamiliales
Détail des groupements de tours de Toronto
Détail des quartiers de maisons

Je n'avais pas pris de photo des maisons dans ce coin lors de mon voyage, alors je vais utiliser Google Maps pour montrer de quoi elles ont l'air.


Pour des maisons détachées ou semi-détachées, elles sont relativement denses, soit entre 25 et 35 unités par hectare. Mais c'est encore très loin de la densité des quartiers de multiplexes de Montréal qui peuvent atteindre et dépasser les 100 unités par hectare, et les 20 000 personnes par kilomètre carré.
Alors Toronto n'offre que peu de gradation entre les maisons et les tours à condo. Les appartements de petite et moyenne taille sont presque absents.

 

Quelques chiffres


Pour ceux qui m'accuseraient de divaguer, voici de quoi vous faire taire. Le recensement ne compte pas que les ménages, il recense également le stock immobilier au Canada, et les unités de logement sont divisées en plusieurs catégories, et les appartements sont notamment divisés entre les appartements dans des bâtiments de petite taille et ceux de plus grande taille, soit entre ceux dans des bâtiments de moins de 5 étages et ceux dans des bâtiments de 5 étages et plus. Alors voici une comparaison des stocks immobiliers de Toronto, Montréal, et Vancouver, pour le fun.

Répartition des unités de logement selon le type, pour les villes centres
Alors ça confirme ce que j'ai dit. En ajoutant les appartements de moins de 5 étages et les duplexes, ça fait 72,6% des unités de logement de Montréal! À l'opposé, les maisons détachées et semi-détachées ne font que 10,8% des unités de logement de Montréal. À Toronto, le portrait est très différent, les duplexes et les appartements de petite taille ne font que 20% du stock immobilier, mais plus de 40% des unités de logement sont des appartements dans des bâtiments de plus de 4 étages. Les maisons unifamiliales restent très présentes avec 33,2% des unités de logement.
Vancouver est un peu entre les deux, avec une offre de logements plus diversifiée. Alors que Montréal se concentre sur des bâtiments de petite taille et que Toronto a beaucoup de tours résidentielles et de maisons, sans rien entre les deux, Vancouver a un mélange plus équitable, du moins dans le nombre d'unité (en fait, les maisons unifamiliales occupent les deux tiers de la ville même si elles ne font que moins de 20% du stock immobilier).

À noter par contre que Montréal et Toronto ont toutes deux été fusionnées avec certaines de leurs banlieues, alors regardons les régions métropolitaines au grand complet pour comparer des pommes avec des pommes.
Répartition des unités de logement selon le type, pour les régions métropolitaines
Inclure les banlieues fait exploser le nombre de maisons unifamiliales, bien entendu. Mais malgré tout, les appartements de moins de 5 étages restent le type de logement le plus commun dans la région de Montréal. Alors que Toronto en est presque complètement dépourvue, même en banlieue les appartements se concentrent dans des gros blocs. Encore une fois, Vancouver arrive entre les deux.

Et si on isole les logements des banlieues...
Répartition des unités de logement selon le type, pour les banlieues seulement
Les banlieues de Toronto sont les reines de l'unifamilial, près de 80% des unités de logement sont différents types de maisons unifamiliales, et le multifamilial est largement cantonné dans des gros blocs appartements.

Est-ce que le tout veut dire que Montréal est moins dense que Toronto et Vancouver? Pas vraiment. Même si les quartiers les plus denses de ces deux dernières sont plus denses que les quartiers les plus denses de Montréal, Montréal dispose de beaucoup plus de quartiers avec des densités intermédiaires (7 000 à 15 000 personnes par kilomètre carré). Alors la densité moyenne ajustée pour la population est de 5 400 personnes par kilomètre pour Toronto, 5 000 pour Montréal et 4 500 pour Vancouver.

Les divisions de recensement réparties par densité
D'où vient cette différence dans les types de logement? Il y a peut-être un facteur culturel, les Québécois seraient un peuple qui semble habitué au multifamilial, du moins en ville, même les vieux villages sont pleins de duplexes.

Mais il y a une autre possibilité: le zonage. Le zonage introduit au début du 20e siècle a comme effet de figer le type de bâtiment permis dans chaque quartier, selon la forme qui prévalait à l'époque où les pratiques de zonage ont été adoptées. Peut-être que Montréal, étant la plus vieille ville des trois et la plus populeuse à l'époque était simplement plus avancée dans la progression naturelle de l'habitation en ville (maisons éparpillées -> maisons denses -> duplexes et multifamilial de basse taille -> immeubles de taille intermédiaire -> immeubles de grande taille) au moment où le zonage est entré en fonction.

À l'opposé, Toronto était encore une plus petite ville avec un centre des affaires de grande taille entouré de maisons unifamiliales denses, ce qui fut figé dans le zonage torontois. Donc, comme la construction d'appartements est illégal dans la majorité de la ville, la seule manière de répondre à la demande et de construire très, très haut dans les quelques quartiers qui permettent la construction d'appartements.  Vancouver est dans une situation un peu similaire, mais elle est encore plus récente et la ville est réputée pour son attitude pro-densité alors elle construit plus d'appartements, de petite et grande taille, même si une part importante de la ville interdit les appartements.

Voici des cartes de zonage de Toronto et de Vancouver comme preuves.
Zonage de Toronto
Les zones oranges sont pour les appartements. Les zones jaunes sont confuses car elles représentent 5 types de zones différentes, dont plusieurs limitent la densité et certaines interdisent carrément le multifamilial.

Zonage de Vancouver
Ici, c'est plus clair, toutes les zones blanches sont réservées exclusivement à l'unifamiliale détachée, bien que la ville de Vancouver permet désormais de construire une maison secondaire sur l'allée arrière afin de permettre la densification dans ces zones. Il aurait été préférable (mais politiquement difficile) de simplement permettre le remplacement des maisons par du multifamilial morceau par morceau. Les zones jaunes permettent les duplexes, les zones orangés permettent les immeubles à condos de petite taille. Comme il y a relativement peu d'endroits permettant la construction de multifamilial, ça crée une pénurie artificielle de terrains pour ce genre de développements. Les terrains sont tellement cher que les condos dans des hautes tours coûtent aussi cher, voir moins cher, que ceux dans des appartements à faible hauteur

Avec le temps, la situation figée par le zonage peut infecter la culture et les mentalités, comme le prouve le fait que les banlieues de Toronto copient la ville centre en concentrant le multifamilial dans une poignée de blocs de grande taille alors que les banlieues montréalaises tendent à préférer avoir des immeubles multifamiliaux de 3 ou 4 étages.

Une autre dynamique que le tout prouve est que quand une ville réserve une trop grande partie de son territoire à des développements résidentiels de très faible densité comme des maisons unifamiliales, alors ça a tendance à mener à la construction de blocs appartement de très grande taille, car la demande pour les appartements doit être satisfaite, et si elle ne peut l'être par l'étalement de zones d'immeubles à bas étage, alors elle le sera par l'étalement vertical des tours à condos et des gros blocs appartement. Comme Montréal permet des bâtiments résidentiels multifamiliaux de bas étage sur de grandes superficies, la densité possible est plus flexible, et les appartements et condos se multiplient plus facilement dans une multitude de bâtiments de bas étage. Ceci diminue la pression pour construire des tours à condos, qui sont beaucoup plus rares qu'à Toronto et Vancouver.