jeudi 22 janvier 2015

Résultats décevants de l'enquête O-D 2013

Le 22 janvier 2015, l'AMT a dévoilé certains résultats pour l'enquête Origine-Destination. réalisé en 2013. Cette étude recense les déplacements d'un énorme échantillon de résidents afin de déterminer combien de déplacements ils font, où ils vont et en quel mode de transport.

Le résultat est très loin d'être reluisant. Alors qu'aux État-Unis le nombre de kilomètre parcourus en véhicules stagne depuis près d'une dizaine d'année et que des villes comme Vancouver voient une diminution de la part des déplacements automobiles, Montréal va à contrecourant. Les déplacements automobiles augmentent, et à deux fois le rythme de la croissance de la population. En 5 ans, la population a augmenté de 5%, le parc automobile a augmenté de 11% et le nombre de déplacements automobiles a augmenté de 15%!

C'est une catastrophe quand on sait que les déplacements automobiles sont dispendieux et basés sur des importations massives, la croissance du parc automobile et des déplacements automobiles représentent un appauvrissement continu des ménages et de la société.

Qu'est-ce qui explique cette tendance lourde?

L'explication tient en deux images

Voici la raison, ou plutôt les deux raisons:
La croissance de la population des dernières 5 années: 83% de celle-ci vient de l'extérieur de Montréal, dont 60% dans les banlieues éloignées des Couronne Nord et Sud.


Croissance économique également étalée, même si légèrement moins. 36,4% des nouveaux emplois en Couronnes Nord et Sud.
Ces graphiques, fournis par l'AMT, donnent une image un peu faussée en considérant toute l'île de Montréal comme étant la ville. Or, l'est et l'ouest de l'île sont des banlieues rapprochées au même titre que Laval et Longueuil et devraient être exclus de Montréal. Si je regroupe les développements en terme de "ville", "banlieue rapprochée" et "banlieue éloignée", j'obtiens les résultats suivants:
Proportion de la population habitant la ville, la banlieue proche et la banlieue éloignée, contre la proportion de la croissance démographique ayant lieu à chacun de ces endroits
Proportion des emplois en ville, en banlieue proche et en banlieue éloignée, contre la proportion du lieu des nouveaux emplois créés.
 La conclusion est dramatique, la croissance démographique et économique se concentre massivement dans les banlieues alors que Montréal stagne et croît à un rythme de 2 à 5 fois moins vite que sa proportion actuelle de population et d'emplois. Comme les banlieues sont orientées pour les déplacements automobiles, par conséquent, les déplacements automobiles explosent.

Si la croissance de la population et des emplois se produit dans des lieux orientés vers l'automobile, alors on aura beau investir des milliards en transport en commun, ce sera peine perdue. Si la croissance de la population et des emplois se fait principalement en ville ou en banlieue proche, là où le transport en commun et les transports actifs sont viables, alors, même sans nouveaux investissements, la bataille sera gagnée.

Pour simplifier un peu, prenons une famille qui cherche son "chez soi", qui a à choisir entre la ville, la banlieue proche et la banlieue éloignée. Et bien, cette même famille, si elle choisit d'habiter...

...la ville, elle...
  • aura 0,5 voiture
  • fera 40-50% de ses déplacements en voiture, 30-40% en transport en commun et 15-20% à pied ou en vélo
....la banlieue proche, elle...
  • aura 1,25 voiture
  • fera 65-75% de ses déplacements en voiture, 15-25% en transport en commun et 10-15% à pied ou en vélo
...la banlieue éloignée, elle...
  • aura 1,75 voiture
  • fera 85-95% de ses déplacements en voiture, 5-10% en transport en commun et 0-5% à pied ou en vélo
Donc, si on veut favoriser les transports durables, il faut convaincre cette famille d'habiter en ville, ou à défaut, en banlieue proche. Et pour ce faire, il doit y avoir des logements existants pour l'accueillir. Les développements en banlieue éloignée sont un désastre complet.

Et les trains de banlieue eux?

Les trains de banlieue et les autobus express de l'AMT ont effectivement aidé une croissance des déplacements en transports en commun à partir des couronnes nord et sud. Toutefois, ceux-ci ne sont valides que pour une petite proportion des résidents, c'est-à-dire ceux qui habitent en banlieue éloignée ET qui travaille au centre-ville de Montréal. Et encore là, ces gens-là risquent fortement de prendre leur voiture pour leurs autres déplacements car il sera dur de faire autrement.

Mais comme les chiffres l'indiquent, il est de plus en plus probable que les gens des banlieues éloignées vont travailler soit en banlieue éloignée ou en banlieue proche, et pour ces déplacements, le transport en commun à Montréal, qui est radial, concentré vers le centre-ville, est essentiellement pourri. Je connais plusieurs coins dans la région où se rendre en autobus d'une ville à la ville à côté (5 à 10 km), nécessite un transfert au centre-ville et un détour de 20 km!

Les trains de banlieue pourraient être utiles s'ils offraient un service fréquent toute la journée et que les villes concentraient les développements commerciaux et résidentiels autour des stations, mais ce n'est pas le cas du tout. Les villes de banlieue suivent un mode de développement orienté autoroute, concentrant les commerces aux échangeurs autoroutiers.

Conclusion

Ce qu'il faut comprendre absolument c'est que la guerre pour des transports durables et verts sera gagnée ou perdue non sur le plan des investissements en transport, mais sur celui du développement urbain.

On rejoint alors mon article sur le déclin de Montréal. Ce qu'il faut, c'est faciliter les développements en milieu bâti à Montréal, et pour ça il faut relâcher les contrôles urbanistes et les limites de hauteur et autre sur les développements en ville. Il faut MOINS de planification, pas plus. Le développement au Québec est principalement le fait du secteur privé, si on rend non rentable les développements en ville, les développeurs vont fuir en banlieue, et les développements vont se faire là-bas.

mercredi 14 janvier 2015

Appel à la raison: La nécessité économique d'un moratoire autoroutier pour le Québec

Je me suis concentré surtout sur mon site en anglais ces derniers temps, mais là, il faut que je parle aux Québécois. Dans la région de Montréal, un des investissements majeurs à venir est la construction de l'autoroute 19 dans la couronne Nord.
Tracé proposé de l'autoroute 19
Ce projet d'environ 9 kilomètre est prévu coûter presque 600 millions de dollars. Certains acteurs politiques et sociaux se sont prononcés contre le projet, notamment Projet Montréal et l'organisme urbaniste Vivre en Ville, mais la majorité des politiciens semblent indifférents aux enjeux liés à cette autoroute, et c'est largement par inertie qu'elle risque de survenir.

Notez que l'autoroute ne va NULLE PART. C'est un bout d'autoroute qui commence dans une banlieue et ira mourir dans une plus petite banlieue encore, j'ai nommé Bois-des-Filions. Sa seule utilité: favoriser l'étalement urbain et le développement des banlieues très éloignées de Montréal, au détriment de la ville centre et des banlieues de proximité.

Du coup, on comprend pourquoi les maires des banlieues du coin la réclament avec tant de force. Ils veulent attirer les développements dans leur coin. La question de la sagesse de canaliser les développements toujours plus loin en banlieue, dans des endroits inaccessibles sauf en voiture, ils s'en sacrent comme de l'an 40. Ce qu'ils veulent, c'est développer leur ville et se faire réélire. Et l'autoroute est le meilleur moyen pour eux de le faire...

Pourquoi? C'est simple, ils ont trois approches pour assurer le transport requis pour leur développement:

1- Bonifier l'offre en transport en commun en demandant aux organismes de transport en commun de nouveaux investissements
2- Construire une grille d'artères locales pour assurer les mouvements locaux
3- Demander au MTQ une autoroute

Mais voilà, les villes ont à assumer la majeure partie du coût des transports en commun. Le gouvernement paie la majeure partie de l'investissement initial, mais après, la ville doit prendre le relais. Les artères locales, c'est encore pire, la ville doit assumer l'entièreté des coûts de construction et d'entretien. Mais l'autoroute...

L'autoroute est payée entièrement par le gouvernement provincial, et ce, autant pour sa construction que pour son entretien et ses frais d'opération. Bref, la ville n'a rien à débourser pour celle-ci, mais elle en bénéficie. C'est une solution de parasitage parfait! Les coûts de transport liés aux développements sont payés par les autres, les bénéficies restent locaux. En économie, c'est un parfait exemple du problème du "free rider".

La question qu'on peut se poser c'est: est-ce que la région de Montréal est saturée au point où on DOIT favoriser le développement en périphérie en construisant des infrastructures de transport à coût de millions de dollars?

Clairement, la réponse est: NON. Nous n'avons aucune raison d'inciter le développement dans le nord. Il y a de nombreux terrains qui peuvent être développés plus au centre de la région, quitte à dézoner certaines terres agricoles qui sont enclavées par des développements urbains. 
Image satellite démontrant de nombreuses zones non-développées à Laval, enclavées par les développements urbains
Le prix des logements à Montréal est également largement abordable, signe que l'offre de logement dans les banlieues proches est bien suffisante à la demande et que le rythme de construction immobilière est suffisant pour gérer la population croissante. Donc, on parle de 600 millions de dollars pour inciter encore plus d'étalement urbain et de développement en périphérie alors que le centre n'est pas saturé, même avec les restrictions de zonage actuelles.

C'est une connerie totale, voilà ce que c'est. Le seul argument que les promoteurs du projet ont, c'est "on nous l'a promis"... Donc, parce que des taouins en 1960, encore sous le charme du modèle Futurama de GM, ont tracé une autoroute sur un plan, il faudrait dépenser un demi-milliard pour la réaliser? Voyons dont!

Mais poussons la réflexion encore plus loin, l'autoroute 19 n'est qu'un symptôme d'une maladie plus grave. Le choix d'infrastructure de transport ne fait pas que déterminer la répartition spatiale des développements, il détermine la FORME des développements et les modes de transport qui seront viables, et ceux qui ne le seront pas. Le choix ici n'est pas juste un choix de transport, c'est un choix qui aura un impact durable sur la forme des développements de la région.

La catastrophe du mode de développement orienté vers l'autoroute

Les autoroutes, comme leur nom l'indique, sont des routes réservées aux autos. Elles existent uniquement pour accélérer leurs déplacements, et afin de ce faire, elles occupent un espace démesuré et les déplacements non-motorisés y sont interdits. Conséquemment, elles forment une barrière coupant les villes en deux. De plus, comme il est interdit de s'y arrêter, il est impossible de desservir efficacement une autoroute en autobus.

Pire encore, en attirant la circulation de transit, elles mènent au déclin des artères commerciales établies, qui voient la circulation diminuée, et donc le nombre de clients chuter. Au contraire, les abords des échangeurs voient apparaître des "power center" et centres commerciaux entourés d'océans d'asphalte, en des lieux largement inaccessibles à pied ou en vélo.

Commerces construits à un échangeur, dans un endroit où la marche est inconfortable, difficile... voir dangereuse
La conclusion s'impose: Les autoroutes entraînent une forme de développement de basse densité aux usages séparés qui IMPOSENT la possession et l'usage de voiture pour pouvoir se déplacer aisément et accéder aux emplois et services.

Depuis trop longtemps au Québec on suit un mode de développement qui est basé sur la construction d'autoroute. On en construit pour toutes les banlieues afin de favoriser leur développement... pas de quoi s'étonner par la suite que plus de 90% des déplacements des nouvelles banlieues se font en voiture!

On connaît tous les arguments écologiques contre les déplacements "auto-solo": les gaz à effet de serre, la pollution, la consommation accrue de ressources non renouvelables, etc... Mais ce n'est pas ce qui justifie mon appel à la raison pour mettre au rancart ce mode de développement. Non, ici, je vais parler d'économie: Le mode de développement basé sur les autoroutes est une catastrophe économique et financière au Québec qui nous met tous dans la dèche.

Tout d'abord,  les déplacements automobiles ne sont pas économiquement efficaces. Ils coûtent excessivement cher, on dépense entre 4 000 et 5 000$ annuellement pour chaque voiture... ce qui n'inclut pas les coûts de stationnement et autre. Quand une famille a besoin d'une voiture par adulte actif pour pouvoir fonctionner en société, c'est une somme colossale qu'elle engloutit dans le transport. Effectivement, récemment l'institut de la Statistique du Québec a indiqué que les familles québécoises dépensent désormais plus pour le transport que pour la nourriture. Et ce n'est pas car la nourriture devient de moins en moins cher. On n'a jamais été aussi riche... et pourtant, on n'arrive pas à joindre les deux bouts et on s'endette sans cesse, justement car notre mode de développement impose des coûts majeurs aux individus afin de pouvoir être un membre actif et productif de la société. On ne peut économiser sans s'isoler socialement et économiquement. C'est "conduis ou crève".

Au niveau du rapport bénéfice-coût, les investissements en transport en commun font tellement plus de sens. Par exemple, l'autoroute Décarie a coûté 7 fois plus cher que le métro par km, et a seulement le tiers, voir le quart, de sa capacité. Le coût de l'autoroute 19 proposée est supérieur au coût d'un SLR en surface (comme le C-train de Calgary ou les LRT américains), qui peut avoir une capacité du double, voir du triple d'une autoroute à deux voies par direction. Le coût du développement du transport en commun par passager est donc en général bien moindre que celui des développements autoroutiers.

Finalement, pour une économie forte, c'est vital d'avoir plus d'entrées d'argent que de sorties. Si on dépense plus d'argent qu'il n'en rentre, il faut s'endetter, or, on ne peut s'endetter indéfiniment. C'est vrai pour un individu, et c'est vrai pour une société. Pour une société, les importations sont les dépenses, les exportations sont les revenus, si nos importations sont sans cesse supérieures à nos exportations, alors on s'appauvrit continuellement car on doit emprunter aux autres sociétés pour acheter leurs biens. L'argent dépensé dans la communauté renforce la communauté, l'argent envoyé à l'étranger appauvrit la communauté.

Or, le Québec, s'il consomme des quantités astronomiques de voitures, de pièces automobiles et de pétrole pour le transport, ne produit ni voiture, ni pétrole et pas beaucoup de pièces automobiles. C'est-à-dire que sur chaque dollar dépensé pour assurer le déplacement en automobile, peut-être 70-80 cents quittent le Québec et nous appauvrissent. Oh, il y a bien les station-services, les garagistes et concessionnaires qui en gardent une partie dans leur communauté, mais une toute petite partie seulement.

En termes absolus, c'est environ 9 milliards de dollars de voitures, VUS et camions qu'on importe de l'étranger chaque année. À ça, on doit ajouter près de 15 milliards de dollars en importation de pétrole et d'essence, utilisé essentiellement pour le transport. À cela il faut ajouter les pièces automobiles et autres.

En tout, ça fait plus de 25 milliards de dollars PAR ANNÉE que l'on envoie à l'étranger, qui quitte le Québec et nous appauvrissent, juste pour satisfaire nos besoins en automobile, largement dus aux décisions d'investissement en transport que nous avons prises.

Le PIB du Québec fait environ 310 milliards de dollars, c'est donc 8% de notre production annuelle que l'on perd à l'étranger pour les déplacements automobiles.

Le déficit commercial total du Québec est de 30 milliards environ, il peut donc pratiquement s'expliquer entièrement seulement avec le déficit causé par nos choix en transport!

Les alternatives

Qu'en est-il de nos alternatives de transport? Si on construit des villes denses, mélangeant bien les usages, alors on peut satisfaire une part importante de nos besoins en transport avec la marche et le vélo. Ces modes de transport sont excessivement efficaces économiquement, ils ne coûtent pratiquement rien. Encore mieux, ils permettent de faire de l'exercice et améliore la santé de la population. Cela permettrait donc de diminuer les coûts de transport des Québécois, ou au moins de donner la possibilité, présentement inexistante, aux Québécois de faire des choix de style de vie réduisant leurs besoins en transport, sans se mettre automatiquement au ban de la société. Les gens peuvent alors utiliser cet argent pour consommer davantage... ou pour éviter d'avoir à s'endetter.

Et le transport en commun? Le transport en commun permet aussi des économies mais reste assez dispendieux. Toutefois, à l'opposé des déplacements automobiles, la majorité, soit environ 70%, des dépenses en transport en commun sert à payer la main d'oeuvre: les conducteurs, les mécaniciens, les administrateurs, etc... Ces gens résident dans la communauté, et donc l'argent reste dans la communauté et reste en circulation dans celle-ci.

Mais encore mieux, le Québec a sur son territoire des usines de Bombardier (trains et tramways) et de NOVA Bus (autobus... bien sûr). Donc les véhicules utilisés pour le transport en commun peuvent être fabriqués ici plutôt que d'être importés.

Bref, non seulement favoriser des développements orientés vers les transports actifs et le transport en commun permet de réduire les dépenses en transport des individus, mais les dépenses qui restent ont beaucoup plus de chance de rester dans nos communautés et de faire fonctionner l'économie locale. Les gains économiques d'un tel changement d'orientation se chiffrent dans les milliards aisément.

Or, tant qu'on développera le long d'autoroutes, nous ne réussirons pas à réorienter les choix de mode de transport. C'est pourquoi on a besoin d'un moratoire autoroutier et d'une réflexion pour savoir comment on peut diminuer l'impact des autoroutes déjà construites (je favorise personnellement le péage à la distance).

Que ce soit au niveau écologique, urbaniste, économique ou fiscal, tout s'accorde sur ce point: on doit cesser de favoriser un développement orienté vers l'autoroute. Si on a à coeur le Québec, on ne peut pas supporter de continuer à agir comme nous avons agi depuis les années 60 et de continuer la folie autoroutière.

Le seul argument à l'opposé de ça, c'est l'inertie, que les gens ont leurs habitudes et qu'on ne devrait pas les bousculer. Ce qui n'est pas un argument du tout, juste un appel aux sentiments du monde et au refus de tout changement. À tous les niveaux, je dis bien TOUS les niveaux, ce mode de développement est une catastrophe pour le Québec. C'est pourquoi au lieu d'un cri du coeur, je lance un appel à la raison: tournons le dos à cette politique désastreuse et agissons avec intelligence pour une fois. Commençons par dire non à l'autoroute 19.