dimanche 20 octobre 2013

Transport en commun: bunching et mythes sur les SRB

Un lobby s'organise en Amérique du Nord pour dérailler les projets de tramways et de métros en proposant l'alternative du SRB, service rapide par bus (aussi appelé BHNS, Bus à Haut Niveau de Service). J'en ai déjà parlé un peu, mais rappelons les bases:

Un SRB cherche à copier le fonctionnement des transports par rails, c'est-à-dire:
1- Des arrêts plus distancés, souvent à des stations plutôt que sur la rue.
2- Des voies réservées aux autobus, préférablement physiquement séparées des voies pour les voitures.
3- De la priorité aux feux de circulation.
4- Pré-paiement aux arrêts pour accélérer l'embarquement et le débarquement des passagers et donc le temps à l'arrêt.

Les promoteurs des SRB prétendent que ceci suffit à rendre inutile les tramways, ils prétendent que les SRB ont une capacité égale ou supérieure aux tramways. Mais regarder les éléments précédents qui définissent un SRB, aucun de ces éléments n'augmente en lui-même la capacité d'une ligne d'autobus. Ils augmentent la vitesse et la fiabilité du service, et non sa capacité.

La capacité d'une ligne de transport en commun est tributaire de deux choses exclusivement:
1- La fréquence des passages
2- La capacité de chaque véhicule

Si on a des véhicules avec une capacité de 60 places (un autobus ordinaire) passant à chaque 3 minutes, comme il y a 20 véhicules par heure qui passent, la capacité de cette ligne est de 1 200 passagers par heure par direction. Que les autobus circulent à une vitesse moyenne de 20 km/h (SRB) ou à une vitesse moyenne de 8 km/h (ligne ordinaire), cela ne fait aucune différence pour la capacité (pour la qualité du service par contre, oui).

Convertir une ligne ordinaire en SRB n'augmente donc pas sa capacité par magie. Le SRB permet par contre certaines modifications qui peuvent augmenter la capacité.

La première modification est la plus simple, mais la plus limitée: l'augmentation de la fréquence. Comme la vitesse de la ligne est améliorée, on peut augmenter la fréquence sans avoir à acheter de nouveaux véhicules. Si une ligne fait 10 km aller retour, à 20 km/h en moyenne, un autobus peut faire le circuit deux fois par heure, à 5 km/h en moyenne, un autobus ne fera que la moitié du circuit dans l'heure. Toutefois, il est difficile de diminuer la fréquence en-deçà de 2 minutes, en-dessous de ce seuil, on voit le phénomène de "bunching" se produire.

Le "bunching", c'est un phénomène se produisant dans une ligne d'autobus quand la fréquence est très élevée. Comme il est impossible de prédire à la seconde près le parcours (même dans un SRB), il est inévitable que certains autobus prennent du retard, et la marge est faible entre les autobus. Ce qui complique encore plus le phénomène est que, comme l'écart entre l'autobus prenant du retard et l'autre en face est plus élevé que la moyenne, il est probable que l'autobus en retard ait plus de personnes embarquant à chaque arrêt (s'il arrive 5 personnes par minute à un arrêt, à 2 minutes d'intervalle, il y aura en moyenne 10 personnes à l'arrêt, à 3 minutes d'intervalle, il y aura en moyenne 15 personnes à l'arrêt). Même avec le pré-paiement et l'embarquement par toutes les portes, le temps à l'arrêt reste proportionnel au nombre de personnes embarquant et débarquant. Donc le retard de l'autobus augmentera sans cesse. En même temps, l'autobus suivant aura moins de monde à chaque arrêt, car l'autobus précédent est passé trop récemment. Il prendra de l'avance sur son horaire et rattrapera le premier.

Le résultat est la formation d'une sorte de convoi, mais le premier autobus sera bondé de monde, le second étant presque vide. Et à la longue, l'autobus en retard peut même retarder l'autobus en arrière. Pour éviter ce problème, il faut éviter de faire circuler des véhicules d'une même ligne trop fréquemment, ce qui limite la fréquence.

Comme la fréquence est limitée à environ 2 minutes pour éviter les interférences du "bunching", on est réduit à améliorer la capacité de chaque véhicule pour  améliorer la capacité de la ligne. On peut le faire avec des autobus, il y a des autobus ordinaires (60 places), des autobus articulés (130 places) et même bi-articulés (200 places). Plus l'autobus est long, plus il lui est difficile de négocier les virages et la circulation sur des voies partagées, c'est pourquoi en général une ligne ordinaire se limite aux autobus articulés, les bi-articulés sont trop massifs. Avec les voies réservées généralement en ligne droite, avec peu de virage, les SRB permettent d'utiliser des autobus plus longs que les autobus ordinaires. Mais pour ce faire, on ne peut pas se contenter des autobus actuellement en fonction, il faut acheter des autobus faits sur mesure, avec plus de portes (pour accélérer l'embarquement et débarquement), ce qui doit être inclus dans le coût du SRB.

Néanmoins, l'avantage ici va aux transports par rails. Les métros peuvent avoir 10 à 12 wagons, chacun aussi gros qu'un autobus articulé. Les tramways doivent circuler sur les rues, donc ils sont plus limités, mais ils peuvent quand même utiliser le même principe. Certaines lignes françaises font circuler des trains composés de deux tramways, chacun aussi gros qu'un autobus bi-articulé, pour le double de leur capacité. Les SRB peuvent essayer de copier le tout avec des convois d'autobus, envoyant deux autobus à la fois, bref un "bunching" voulu. Ce n'est pas la même chose et ça ralentit le service.

Donc les SRB ne peuvent pas vraiment compétitionner avec les tramways et métros, pas avec une seule ligne d'autobus. Sans changer les autobus, un SRB ne possède pas une capacité significativement supérieure à une ligne d'autobus ordinaire.

Le dernier ressort du SRB pour augmenter la capacité, c'est la superposition de plusieurs lignes d'autobus, plus précisément en utilisant des lignes express. Pour faire ça, il faut au moins des voies de dépassement aux arrêts, pour que les autobus express qui ne s'arrêtent pas à l'arrêt en question puissent contourner ceux qui le font. Ceci peut augmenter significativement la capacité, mais cette augmentation est largement trompeuse.

Tout d'abord, voici le diagramme usuel du service d'une ligne d'autobus locale ou d'un tramway:
Chaque bloc bleu est un arrêt/station. Les véhicules vont d'une station à l'autre, s'immobilise, puis repartent vers l'autre.

Voici comment fonctionne un SRB à haute capacité (comme celui à Bogotá):
Pour le diagramme, j'ai mis deux voies sur toute la longueur, mais la deuxième voie peut n'être qu'aux arrêts. Sur celui-ci les lignes express sont en orange, les lignes locales en vert. À l'endroit où locales et express s'arrêtent, il faut une station beaucoup plus grosse pour accommoder les deux autobus. Les lignes express dans la voie de dépassement peuvent se suivre beaucoup plus près que les autobus locaux, car plusieurs lignes express s'arrêtant à différents endroits peuvent passer en même temps. Notez par contre que plusieurs stations ne sont desservies que par la ligne locale, qui a une capacité bien inférieure à la somme des lignes locales et express.
Dans ce diagramme, la station ici présente n'a accès qu'à une ligne avec une capacité de 10 000 passagers par heure, même si le corridor au complet transporte 30 000 passagers par heure.

Cette manière de faire a de nombreux problèmes. Tout d'abord, le nombre d'autobus passant aux arrêts fait en sorte que la vitesse du service diminue avec l'augmentation du nombre de véhicules. Je suis tombé sur un document avec une courbe montrant la relation de vitesse avec le débit de véhicules sur le Transmilenio à Bogotá. Malheureusement, je ne le retrouve pas, mais de mémoire, la vitesse moyenne était de 25 km/h quand il y avait peu d'autobus, mais la vitesse diminue sur une pente parabolique, d'abord lentement puis rapidement. À 150 véhicules par heure, la vitesse moyenne passait à environ 10 km/h (à 200 passager entassés comme des sardines par autobus, ça donne une capacité de 30 000 passagers par heure). Les lignes express sont plus rapides, mais les lignes locales rampent dans ce cas là, alors que les métros peuvent maintenir une vitesse entre 30-40 km/h même en pointe avec une capacité supérieure à 30 000 passagers par heure. Une ligne de tramway peut accommoder jusqu'à 15 000 passagers par heure tout en maintenant une vitesse moyenne d'environ 20 km/h.

Ensuite, ce système, adoré par les planificateurs de transport en commun pour sa "flexibilité", est excessivement compliqué pour les usagers. Prend le mauvais autobus express, et tu te ramasses dieu sait où. C'est loin de la simplicité d'une ligne de tramways ou de métros. Si tu t'entêtes à utiliser la ligne locale, celle-ci sera ralentie par les lignes express et probablement surchargées, les lignes express étant rarement aussi utilisées que les lignes locales. En plus, même s'il y a un autobus à chaque 30 secondes qui arrive à l'arrêt (local et express), si tu veux prendre un express particulier, celui-ci pourrait arriver une fois par 4 ou 5 minutes plutôt, voir moins en période hors pointe. La fréquence utile est donc beaucoup plus faible que la fréquence totale comptant tous les autobus.

Troisièment, comme la capacité à la majorité des arrêts est inférieure à celle en transit, le potentiel de développement est beaucoup réduit autour de ces arrêts. C'est une des raisons pour laquelle les métros et tramways sont meilleures pour les TOD que les SRB.

Finalement, pour ce fonctionnement, il faut une très large emprise. Il faut une voie pour les autobus s'arrêtant et une voie de dépassement, dans chaque direction. Même dans le meilleur des cas, soit des voies de dépassement décalées seulement aux stations, l'emprise requise fait facilement 15 mètres, contre 10 mètres pour un tramway. Le Transmilenio fait quant à lui plus de 20 mètres de largeur, l'équivalent d'un boulevard à trois voies par direction. Le résultat est une véritable autoroute à autobus qui est très difficile à intégrer à un secteur urbain dense où les rues tendent à être étroites. Les tramways peuvent se faufiler même dans des villes conçues au Moyen-Âge, les SRB de type "Transmilenio" ont besoin d'autoroute à 4 ou 5 voies par direction ou avec des terre-pleins très larges pour être aménagés. Ce genre de routes là est très rarement situé au coeur de milieux urbains, plus en périphérie, ce qui limite l'utilité du corridor du SRB, car même rendu à l'arrêt voulu, il faut continuer le trajet sur un autre autobus pour rejoindre la destination désirée.

Bref, ce qui est à retenir:

1- Les SRB à rabais augmentent la vitesse et la fiabilité des lignes d'autobus ordinaires, mais pas vraiment leur capacité.
2- Pour augmenter la capacité et égaler ou surpasser celle des lignes de tramways, il faut une largeur excessive et un rabattement de lignes express qui crée un système complexe à moins grande vitesse. Ce type de SRB, par sa largeur, n'est pas applicable dans la majorité des secteurs urbains denses, il est réservé aux villes traversées par de larges autoroutes et boulevards, ce qui est une catastrophe au niveau de l'urbanisme.

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