mardi 15 avril 2014

Le dernier kilomètre: problème ou opportunité?

Le "dernier kilomètre", ou "last mile" en anglais (ce qui correspond en fait à 1,6 kilomètre mais bon, passons...) est un principe de transport en commun, souvent perçu comme un problème des transports en commun rapides.

Le tout vient du fait que les transports en commun sont limités dans la vitesse qu'ils peuvent atteindre par le nombre d'arrêts qu'ils ont à faire sur leur trajet. Ainsi, quelle que soit la technologie retenue, afin d'assurer une accélération progressive et confortable pour les usagers, dont plusieurs peuvent être debout, l'accélération sera limitée à environ 1 mètre par seconde carré, ce qui équivaut à un gain de vitesse de 3,6 kilomètre par heure à chaque seconde. Comme l'accélération est constante, la vitesse moyenne d'une ligne de transport en commun dépendra principalement de la distance entre chaque arrêt, et dans une moindre mesure, par la vitesse maximale de la ligne.

Donc afin d'avoir un moyen de transport en commun vraiment rapide, il n'y a pas d'autre choix que d'espacer les arrêts. Voici un graphe qui représente la vitesse moyenne d'une ligne de transport en commun en fonction de l'espacement entre chaque arrêt et la vitesse maximale.

Relation entre l'espacement des arrêts et la vitesse moyenne (ou commerciale)


Donc une ligne de transport en commun rapide devra avoir des arrêts espacés de 600 mètres minimum, afin de bien concurrencer la voiture. Ce qui veut dire que très peu de gens et de destinations seront situés directement en face d'un arrêt. La majorité du monde devra effectuer un trajet dans un autre mode pour arriver à destination ou pour atteindre la station, que ce soit à pied, en autobus, en bicyclette ou en voiture. C'est le « problème » du dernier kilomètre, dans le sens que sur un trajet de 10 kilomètres, tous sauf le dernier peuvent être faits dans un moyen de transport rapide.

La raison pour laquelle c'est considéré comme un problème est assez simple. La vitesse pratiquée dans ce dernier kilomètre sera bien inférieure à la vitesse du reste du trajet, il peut aussi y avoir des désagréments comme un temps d'attente additionnel entre le trajet principal et le dernier tronçon. Bref, pour les experts qui doivent concevoir les systèmes de transport en commun de quartiers existants, c'est un problème majeur qui semble réduire la qualité du système.

Mais je crois qu'en fait, le « dernier kilomètre » n'est pas un problème, c'est une opportunité urbaniste.

Pourquoi est-ce que les villes sont généralement situées à proximité de ports ou sur des rivières?
Pourquoi est-ce que les centres commerciaux en banlieue sont situés aux échangeurs d'autoroute?
Pourquoi est-ce que les commerces s'agglutinent le long des boulevards hautement fréquentés?

Parce que dans tous ces cas, on bâtit sur un endroit qui est « sur le chemin », à un endroit où il y a beaucoup de passants qui pourraient être intéressés de s'y arrêter. Et c'est justement ce que les arrêts des transports en commun rapide offrent. Elles représentent des escales, des points de passage obligés pour un nombre très important de personnes. Si le secteur est urbanisé, il y aura un très grand nombre de piétons à proximité de la station se rendant chez eux. Même s'il n'y a qu'un terminus d'autobus, il y aura quand même beaucoup de gens qui peuvent attendre leur autobus pendant plusieurs minutes à l'endroit.

Donc au niveau des développements, c'est une occasion en or de bâtir un lieu commercial orienté vers les piétons, car des piétons, il y en aura en masse. On a une concentration d'activités à l'endroit dont on peut profiter si on ose le permettre.

Effectivement, ce genre de transport en commun ne dessert pas parfaitement les développements linéaires le long des boulevards dans les secteurs construits pour l'automobile. Alors si l'objectif du transport en commun est simplement de permettre aux gens sans voiture de survivre dans un milieu conçu uniquement pour la voiture, alors oui, c'est véritablement un problème. Si au contraire l'objectif du transport en commun est de créer son propre développement axé sur lui-même et sur la marche, alors ce n'est pas un problème, c'est en fait un grand avantage en fournissant un lieu où les activités peuvent se concentrer.

Les transports en commun rapides sont donc idéaux pour connecter entre eux des quartiers orientés vers la marche, comme une série de villages urbains, denses en leur centre (près de la station) et moins denses à mesure qu'on s'éloigne de ce centre, jusqu'à ce qu'on s'approche d'une autre station et que la densité augmente à nouveau. On ne doit pas craindre le "dernier kilomètre", mais y voir une opportunité de changer le paradigme du développement urbain.

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