jeudi 11 décembre 2014

Comment renverser le déclin démographique de Montréal

Les statistiques le prouvent, le poids démographique de Montréal diminue sans cesse au bénéfice des banlieues. Entre 2006 et 2011, la population de la ville de Montréal a progressé de 1 621 000 à 1 650 000, pendant que la population des banlieues passait de 2 015 000 à 2 074 000. Donc le poids de la ville de Montréal dans la région métropolitaine est passée de 44,6% à 43,1% en 5 ans. Ce chiffre était de 46,0% en 2001.

Alors, pourquoi ce phénomène? Peut-il être endigué et, si oui, comment?

Pourquoi le déclin?

Certaines personnes, particulièrement renfrognées contre la ville, prétendent que le déclin de Montréal est le simple résultat d'une préférence de la population pour la banlieue: la grosse maison, les deux gros chars dans l'entrée, le gros terrain, etc... Le cas échéant, la seule manière de renverser la tendance à Montréal serait de forcer les gens à habiter en ville en les contraignant à le faire.

Est-ce que c'est une théorie qui se tient? Et bien, absolument pas. Je ne nie pas que certaines personnes recherchent vraiment la banlieue et ne veulent pas habiter en ville, mais c'est clair que la majorité du monde a une préférence pour les endroits plus centraux quand vient le temps de choisir où vivre. Le prix des condos et maisons fonctionne sur une logique de marché, or, dans une telle logique, le prix reflète la valeur que les consommateurs attribuent au bien en question. Le fait que les maisons et condos soient si dispendieux en ville est un signal économique clair que les consommateurs en moyenne considèrent qu'habiter en ville a plus de valeur à leurs yeux que d'habiter en banlieue. Certains pensent que le prix des logements en ville est "bien entendu" plus élevé qu'en banlieue, comme si c'était une réalité immuable qui ne veut rien dire, mais ce n'est pas toujours vrai. Si la ville offre une qualité de vie inférieure, alors le prix des logements diminue, on le voit à Détroit où les maisons en ville peuvent valoir aussi peu que quelques dizaines de milliers de dollars, bien en-deçà du coût de constructio d'une maison neuve.

La raison principale du déclin démographique est simple, c'est une simple question d'arithmétique. Les gens ne peuvent habiter à un endroit s'il n'y a pas de logements pour eux. Or, justement, la région de Montréal est en croissance, donc il faut construire plus de logements pour accueillir la population, et Montréal est tout simplement incapable présentement de construire assez de logements pour maintenir son poids démographique. Seulement environ 33% des nouveaux logements de la région métropolitaine de Montréal ont été construits à Montréal dans les dernières années, ce qui est significativement inférieur au poids démographique de Montréal.

Nombre de nouveaux logements construits dans la région métropolitaine (rouge pâle) et dans la ville de Montréal (rouge foncé), ainsi que part des nouveaux logements construits dans la ville (rouge pointillée, sur l'axe de droite)
Pire, une grande partie des logements que Montréal construit est en fait des lofts et des condos à 1 chambre, alors que la banlieue construit des maisons à 3 chambres principalement. Donc la capacité d'accueil résidentielle de la banlieue augmente encore plus rapidement comparativement à celle de Montréal que ne l'indique ces chiffres.

Le gouvernement provincial n'aide pas non plus en concentrant ses investissements sur le transport pour les banlieues, ayant construit un réseau d'autoroutes très développé en banlieue mais dont le financement est provincial. Ainsi, tous les contribuables du Québec subventionnent les gens qui font le choix d'habiter en banlieue et d'utiliser les autoroutes quotidiennement pour se déplacer. En fait, toute subvention pour le transport est un incitatif financier à l'étalement urbain. En général, les gens doivent faire un choix entre habiter en ville, quitte à payer plus cher le logement, ou à habiter en banlieue, où le logement est moins cher mais où les coûts en transport sont plus élevés. Or, si on subventionne les transports à 50% en taxant tout le monde, on réduit le désavantage des banlieues et on subventionne ceux qui font le choix d'y habiter.
Coûts d'habiter en ville ou en banlieue, selon que les transports ne sont pas subventionnés ou le soient à 50%, la subvention du transport permet à la banlieue de devenir plus abordable par rapport à la ville. La taxe pour financer la subvention est un transfert de richesse de la ville à la banlieue
Les subventions aux autoroutes subventionnent également les promoteurs commerciaux et industriels en les encourageant à s'établir le long d'autoroutes, ce qui contribue à un étalement des emplois et des services, incitant les gens à s'établir plus loin en banlieue pour se rapprocher des emplois.

Renverser le déclin

Donc les causes du déclin de Montréal sont essentiellement:
  1. L'incapacité de Montréal à satisfaire la demande pour des nouveaux logements
  2. Des politiques publiques créant des incitatifs financiers à s'installer en banlieue à travers des subventions au transport
Énumérer les causes permet de voir les pistes de solution. Ainsi, il faut que Montréal construise davantage de logements et renverser les politiques subventionnant l'étalement urbain si on veut renverser la vapeur.

Mais est-il possible vraiment de construire beaucoup plus de nouveaux logements à Montréal? Montréal n'est-elle pas déjà saturée?

Les réponses à ces questions sont respectivement: oui, et non. La limite sur la construction de logements à Montréal est strictement artificielle, issue de la réglementation. Il est vrai que les terrains vacants sont rares et le sont de plus en plus, la Ville a permis des développements dans certains coins en acceptant la transformation de quartiers industriels en quartiers résidentiels, notamment Griffintown, mais même ces quartiers sont rares, et se débarrasser des lieux d'emplois est une mauvaise stratégie. Tous ces petits développements sont en fait une fuite en avant pour éviter de confronter le VRAI problème de la pénurie de logements à Montréal: le zonage basé sur la conservation du "caractère" des quartiers.

Ainsi, le véritable problème est une obsession d'interdire le remplacement de bâtiments existants par des bâtiments plus denses et/ou plus hauts. Il y a plusieurs coins de basse densité à Montréal qui sont situés à proximité des noeuds du transport en commun et qui pourraient être convertis en plus haute densité, augmentant le nombre de logements disponibles, et ce sans exproprier personne, simplement en relaxant les restrictions sur la hauteur des bâtiments et en laissant les promoteurs remplacer les bâtiments existants.

Par exemple, près de la station Radisson sur la ligne Verte, voici les logements actuellement présents:


Maisons unifamiliales isolées, tout juste à côté du métro Radisson
 Il y a quand même une station de métro à une centaine de mètres de là, et pourtant, ces terrains hautement désirables sont occupés par des maisons à très basse densité. En fait, ces terrains sont RÉSERVÉS aux maisons à très basse densité. Vous ne me croyez pas? Et bien voici des extraits du plan d'urbanisme de l'arrondissement:

Les maisons unifamiliales sont dans le secteur 14-06, encerclé en rouge

L'orientation du zonage dans le secteur est le "maintien du caractère des secteurs", un euphémisme pour dire "aucun développement permis"
Montréal est plein de ces coins qui pourraient être transformés en secteurs à plus haute densité, on aurait qu'à se tasser et à laisser le monde faire. On pourrait maintenir certains règlements pour essayer de diminuer les impacts sur les résidents actuels, mais le tout en respectant le droit des propriétaires de densifier leur propriété s'ils croient que la demande le justifie. Ainsi, des nouveaux logements pourraient être construits en grand nombre, et ils le seraient dans les secteurs les plus propices aux développements, avec des écoles et des services déjà présents, alors que les développements dans les quartiers industriels sont désastreux, requérant des investissements majeurs de la Ville pour essayer de desservir ces nouveaux quartiers.

Certains autre secteurs permettent sur papier la densification, par exemple en permettant des bâtiments de 3 étages dans des endroits où il y a des bâtiments de 2 étages, mais la réalité économique fait en sorte que la densification est tout de même exclue. Le coût de l'ajout de nouveaux logements est tellement élevé qu'il ne fait pas de sens économique de le faire. Donc, comme ce processus n'est pas abordable, il est de fait exclu par les normes. Surtout que les arrondissements se feront un plaisir de mettre des bâtons dans les roues de quiconque s'y essaiera en les enterrant sous la paperasse.

La preuve que la relaxation des contrôles sur le milieu bâti fonctionne est Sapporo, ville nordique japonaise de la même taille que Montréal, avec une population encore plus élevée dans ses limites. Pourtant, même si la population est plus élevée pour une superficie similaire, il se construit en moyenne 3 fois plus de logements à Sapporo qu'à Montréal, grâce à un zonage favorable à la densification. Si Montréal permettait la construction de logements au même rythme que Sapporo, sa part des nouveaux logements serait de 60% et son déclin serait renversé. Cela permettrait également aux logements en ville de voir leurs prix diminuer.

L'enjeu des politiques publiques est également important. Il faut tout d'abord cesser l'hémorragie en cessant de construire sans cesse des autoroutes et de majorer la capacité routière des autoroutes en banlieue. Des projets comme l'autoroute 19 ne doivent pas voir le jour. Ensuite, il faudrait procéder à une véritable révolution en terme de financement des routes. L'idée de financer les autoroutes par des ponctions sur tous les automobilistes à travers les taxes sur l'essence et des contributions annuelles de frais d'immatriculation est affreusement mauvaise. Le péage devrait idéalement être implanté sur toutes les routes à accès limité (autoroutes et routes nationales similaires aux autoroutes comme la route 116 à Longueuil), de sorte à faire payer les usagers directement pour ces infrastructures et à décourager l'abus de celles-ci.

De plus, les tronçons des routes nationales et régionales, gérées et financées par le Ministère des Transports du Québec, que les villes utilisent comme égout à voitures car elles savent que le provincial ramassera la facture, doivent être retournés aux municipalités pour qu'elles en assument la responsabilité financière. Forcées à payer pour ces routes par des taxes sur la propriété, les villes vont probablement cesser d'y concentrer toute la circulation et favoriser des grilles d'artères, comme on le voit en Colombie-Britannique.

Conclusion

Le déclin de Montréal n'est pas une fatalité. Malheureusement, je vois peu de politicien avec le courage de le renverser. Il y a bien Projet Montréal qui s'oppose aux politiques publiques favorisant la banlieue au détriment de la ville, mais le parti reste largement prisonnier de la mentalité "pas dans ma cour" anti-développement dans les quartiers existants. Il dit vouloir s'attaquer à l'exode des familles en banlieue, mais les subventions aux familles ne changeront rien à la simple équation arithmétique qui explique largement ce phénomène: il n'y a tout simplement pas assez de logements pour permettre aux familles de rester à Montréal, seule une campagne de densification rapide et non-uniforme, imposant le moins de coûts possibles aux développeurs (ce qui ne fait que gonfler les coûts des logements), pourra contrer cet état de fait. Même si la Ville subventionnait à coups de dizaines de milliers de dollars les achats de logement des familles, si on ne permet pas la construction de nouveaux logements, cela ne résulterait qu'en une hausse du prix des logements pour avaler ces subventions.

1 commentaire:

  1. Salut,

    Je n'ai pas tant de commentaire constructif, sinon que j'apprécie beaucoup lire tes réflexions et j'espère pouvoir continuer à le faire!

    Ton enthousiasme pour l'urbanisme à la japonaise m'en a bien appris.

    Tu as une manière très cérébrale de voir les choses, je partage ce même "travers" et c'est en partie pour cela que j'aime bien lire tes idées, mais je me demande parfois comment atteindre ceux qui ne comprennent pas les choses de la même manière!

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