jeudi 22 janvier 2015

Résultats décevants de l'enquête O-D 2013

Le 22 janvier 2015, l'AMT a dévoilé certains résultats pour l'enquête Origine-Destination. réalisé en 2013. Cette étude recense les déplacements d'un énorme échantillon de résidents afin de déterminer combien de déplacements ils font, où ils vont et en quel mode de transport.

Le résultat est très loin d'être reluisant. Alors qu'aux État-Unis le nombre de kilomètre parcourus en véhicules stagne depuis près d'une dizaine d'année et que des villes comme Vancouver voient une diminution de la part des déplacements automobiles, Montréal va à contrecourant. Les déplacements automobiles augmentent, et à deux fois le rythme de la croissance de la population. En 5 ans, la population a augmenté de 5%, le parc automobile a augmenté de 11% et le nombre de déplacements automobiles a augmenté de 15%!

C'est une catastrophe quand on sait que les déplacements automobiles sont dispendieux et basés sur des importations massives, la croissance du parc automobile et des déplacements automobiles représentent un appauvrissement continu des ménages et de la société.

Qu'est-ce qui explique cette tendance lourde?

L'explication tient en deux images

Voici la raison, ou plutôt les deux raisons:
La croissance de la population des dernières 5 années: 83% de celle-ci vient de l'extérieur de Montréal, dont 60% dans les banlieues éloignées des Couronne Nord et Sud.


Croissance économique également étalée, même si légèrement moins. 36,4% des nouveaux emplois en Couronnes Nord et Sud.
Ces graphiques, fournis par l'AMT, donnent une image un peu faussée en considérant toute l'île de Montréal comme étant la ville. Or, l'est et l'ouest de l'île sont des banlieues rapprochées au même titre que Laval et Longueuil et devraient être exclus de Montréal. Si je regroupe les développements en terme de "ville", "banlieue rapprochée" et "banlieue éloignée", j'obtiens les résultats suivants:
Proportion de la population habitant la ville, la banlieue proche et la banlieue éloignée, contre la proportion de la croissance démographique ayant lieu à chacun de ces endroits
Proportion des emplois en ville, en banlieue proche et en banlieue éloignée, contre la proportion du lieu des nouveaux emplois créés.
 La conclusion est dramatique, la croissance démographique et économique se concentre massivement dans les banlieues alors que Montréal stagne et croît à un rythme de 2 à 5 fois moins vite que sa proportion actuelle de population et d'emplois. Comme les banlieues sont orientées pour les déplacements automobiles, par conséquent, les déplacements automobiles explosent.

Si la croissance de la population et des emplois se produit dans des lieux orientés vers l'automobile, alors on aura beau investir des milliards en transport en commun, ce sera peine perdue. Si la croissance de la population et des emplois se fait principalement en ville ou en banlieue proche, là où le transport en commun et les transports actifs sont viables, alors, même sans nouveaux investissements, la bataille sera gagnée.

Pour simplifier un peu, prenons une famille qui cherche son "chez soi", qui a à choisir entre la ville, la banlieue proche et la banlieue éloignée. Et bien, cette même famille, si elle choisit d'habiter...

...la ville, elle...
  • aura 0,5 voiture
  • fera 40-50% de ses déplacements en voiture, 30-40% en transport en commun et 15-20% à pied ou en vélo
....la banlieue proche, elle...
  • aura 1,25 voiture
  • fera 65-75% de ses déplacements en voiture, 15-25% en transport en commun et 10-15% à pied ou en vélo
...la banlieue éloignée, elle...
  • aura 1,75 voiture
  • fera 85-95% de ses déplacements en voiture, 5-10% en transport en commun et 0-5% à pied ou en vélo
Donc, si on veut favoriser les transports durables, il faut convaincre cette famille d'habiter en ville, ou à défaut, en banlieue proche. Et pour ce faire, il doit y avoir des logements existants pour l'accueillir. Les développements en banlieue éloignée sont un désastre complet.

Et les trains de banlieue eux?

Les trains de banlieue et les autobus express de l'AMT ont effectivement aidé une croissance des déplacements en transports en commun à partir des couronnes nord et sud. Toutefois, ceux-ci ne sont valides que pour une petite proportion des résidents, c'est-à-dire ceux qui habitent en banlieue éloignée ET qui travaille au centre-ville de Montréal. Et encore là, ces gens-là risquent fortement de prendre leur voiture pour leurs autres déplacements car il sera dur de faire autrement.

Mais comme les chiffres l'indiquent, il est de plus en plus probable que les gens des banlieues éloignées vont travailler soit en banlieue éloignée ou en banlieue proche, et pour ces déplacements, le transport en commun à Montréal, qui est radial, concentré vers le centre-ville, est essentiellement pourri. Je connais plusieurs coins dans la région où se rendre en autobus d'une ville à la ville à côté (5 à 10 km), nécessite un transfert au centre-ville et un détour de 20 km!

Les trains de banlieue pourraient être utiles s'ils offraient un service fréquent toute la journée et que les villes concentraient les développements commerciaux et résidentiels autour des stations, mais ce n'est pas le cas du tout. Les villes de banlieue suivent un mode de développement orienté autoroute, concentrant les commerces aux échangeurs autoroutiers.

Conclusion

Ce qu'il faut comprendre absolument c'est que la guerre pour des transports durables et verts sera gagnée ou perdue non sur le plan des investissements en transport, mais sur celui du développement urbain.

On rejoint alors mon article sur le déclin de Montréal. Ce qu'il faut, c'est faciliter les développements en milieu bâti à Montréal, et pour ça il faut relâcher les contrôles urbanistes et les limites de hauteur et autre sur les développements en ville. Il faut MOINS de planification, pas plus. Le développement au Québec est principalement le fait du secteur privé, si on rend non rentable les développements en ville, les développeurs vont fuir en banlieue, et les développements vont se faire là-bas.

mercredi 14 janvier 2015

Appel à la raison: La nécessité économique d'un moratoire autoroutier pour le Québec

Je me suis concentré surtout sur mon site en anglais ces derniers temps, mais là, il faut que je parle aux Québécois. Dans la région de Montréal, un des investissements majeurs à venir est la construction de l'autoroute 19 dans la couronne Nord.
Tracé proposé de l'autoroute 19
Ce projet d'environ 9 kilomètre est prévu coûter presque 600 millions de dollars. Certains acteurs politiques et sociaux se sont prononcés contre le projet, notamment Projet Montréal et l'organisme urbaniste Vivre en Ville, mais la majorité des politiciens semblent indifférents aux enjeux liés à cette autoroute, et c'est largement par inertie qu'elle risque de survenir.

Notez que l'autoroute ne va NULLE PART. C'est un bout d'autoroute qui commence dans une banlieue et ira mourir dans une plus petite banlieue encore, j'ai nommé Bois-des-Filions. Sa seule utilité: favoriser l'étalement urbain et le développement des banlieues très éloignées de Montréal, au détriment de la ville centre et des banlieues de proximité.

Du coup, on comprend pourquoi les maires des banlieues du coin la réclament avec tant de force. Ils veulent attirer les développements dans leur coin. La question de la sagesse de canaliser les développements toujours plus loin en banlieue, dans des endroits inaccessibles sauf en voiture, ils s'en sacrent comme de l'an 40. Ce qu'ils veulent, c'est développer leur ville et se faire réélire. Et l'autoroute est le meilleur moyen pour eux de le faire...

Pourquoi? C'est simple, ils ont trois approches pour assurer le transport requis pour leur développement:

1- Bonifier l'offre en transport en commun en demandant aux organismes de transport en commun de nouveaux investissements
2- Construire une grille d'artères locales pour assurer les mouvements locaux
3- Demander au MTQ une autoroute

Mais voilà, les villes ont à assumer la majeure partie du coût des transports en commun. Le gouvernement paie la majeure partie de l'investissement initial, mais après, la ville doit prendre le relais. Les artères locales, c'est encore pire, la ville doit assumer l'entièreté des coûts de construction et d'entretien. Mais l'autoroute...

L'autoroute est payée entièrement par le gouvernement provincial, et ce, autant pour sa construction que pour son entretien et ses frais d'opération. Bref, la ville n'a rien à débourser pour celle-ci, mais elle en bénéficie. C'est une solution de parasitage parfait! Les coûts de transport liés aux développements sont payés par les autres, les bénéficies restent locaux. En économie, c'est un parfait exemple du problème du "free rider".

La question qu'on peut se poser c'est: est-ce que la région de Montréal est saturée au point où on DOIT favoriser le développement en périphérie en construisant des infrastructures de transport à coût de millions de dollars?

Clairement, la réponse est: NON. Nous n'avons aucune raison d'inciter le développement dans le nord. Il y a de nombreux terrains qui peuvent être développés plus au centre de la région, quitte à dézoner certaines terres agricoles qui sont enclavées par des développements urbains. 
Image satellite démontrant de nombreuses zones non-développées à Laval, enclavées par les développements urbains
Le prix des logements à Montréal est également largement abordable, signe que l'offre de logement dans les banlieues proches est bien suffisante à la demande et que le rythme de construction immobilière est suffisant pour gérer la population croissante. Donc, on parle de 600 millions de dollars pour inciter encore plus d'étalement urbain et de développement en périphérie alors que le centre n'est pas saturé, même avec les restrictions de zonage actuelles.

C'est une connerie totale, voilà ce que c'est. Le seul argument que les promoteurs du projet ont, c'est "on nous l'a promis"... Donc, parce que des taouins en 1960, encore sous le charme du modèle Futurama de GM, ont tracé une autoroute sur un plan, il faudrait dépenser un demi-milliard pour la réaliser? Voyons dont!

Mais poussons la réflexion encore plus loin, l'autoroute 19 n'est qu'un symptôme d'une maladie plus grave. Le choix d'infrastructure de transport ne fait pas que déterminer la répartition spatiale des développements, il détermine la FORME des développements et les modes de transport qui seront viables, et ceux qui ne le seront pas. Le choix ici n'est pas juste un choix de transport, c'est un choix qui aura un impact durable sur la forme des développements de la région.

La catastrophe du mode de développement orienté vers l'autoroute

Les autoroutes, comme leur nom l'indique, sont des routes réservées aux autos. Elles existent uniquement pour accélérer leurs déplacements, et afin de ce faire, elles occupent un espace démesuré et les déplacements non-motorisés y sont interdits. Conséquemment, elles forment une barrière coupant les villes en deux. De plus, comme il est interdit de s'y arrêter, il est impossible de desservir efficacement une autoroute en autobus.

Pire encore, en attirant la circulation de transit, elles mènent au déclin des artères commerciales établies, qui voient la circulation diminuée, et donc le nombre de clients chuter. Au contraire, les abords des échangeurs voient apparaître des "power center" et centres commerciaux entourés d'océans d'asphalte, en des lieux largement inaccessibles à pied ou en vélo.

Commerces construits à un échangeur, dans un endroit où la marche est inconfortable, difficile... voir dangereuse
La conclusion s'impose: Les autoroutes entraînent une forme de développement de basse densité aux usages séparés qui IMPOSENT la possession et l'usage de voiture pour pouvoir se déplacer aisément et accéder aux emplois et services.

Depuis trop longtemps au Québec on suit un mode de développement qui est basé sur la construction d'autoroute. On en construit pour toutes les banlieues afin de favoriser leur développement... pas de quoi s'étonner par la suite que plus de 90% des déplacements des nouvelles banlieues se font en voiture!

On connaît tous les arguments écologiques contre les déplacements "auto-solo": les gaz à effet de serre, la pollution, la consommation accrue de ressources non renouvelables, etc... Mais ce n'est pas ce qui justifie mon appel à la raison pour mettre au rancart ce mode de développement. Non, ici, je vais parler d'économie: Le mode de développement basé sur les autoroutes est une catastrophe économique et financière au Québec qui nous met tous dans la dèche.

Tout d'abord,  les déplacements automobiles ne sont pas économiquement efficaces. Ils coûtent excessivement cher, on dépense entre 4 000 et 5 000$ annuellement pour chaque voiture... ce qui n'inclut pas les coûts de stationnement et autre. Quand une famille a besoin d'une voiture par adulte actif pour pouvoir fonctionner en société, c'est une somme colossale qu'elle engloutit dans le transport. Effectivement, récemment l'institut de la Statistique du Québec a indiqué que les familles québécoises dépensent désormais plus pour le transport que pour la nourriture. Et ce n'est pas car la nourriture devient de moins en moins cher. On n'a jamais été aussi riche... et pourtant, on n'arrive pas à joindre les deux bouts et on s'endette sans cesse, justement car notre mode de développement impose des coûts majeurs aux individus afin de pouvoir être un membre actif et productif de la société. On ne peut économiser sans s'isoler socialement et économiquement. C'est "conduis ou crève".

Au niveau du rapport bénéfice-coût, les investissements en transport en commun font tellement plus de sens. Par exemple, l'autoroute Décarie a coûté 7 fois plus cher que le métro par km, et a seulement le tiers, voir le quart, de sa capacité. Le coût de l'autoroute 19 proposée est supérieur au coût d'un SLR en surface (comme le C-train de Calgary ou les LRT américains), qui peut avoir une capacité du double, voir du triple d'une autoroute à deux voies par direction. Le coût du développement du transport en commun par passager est donc en général bien moindre que celui des développements autoroutiers.

Finalement, pour une économie forte, c'est vital d'avoir plus d'entrées d'argent que de sorties. Si on dépense plus d'argent qu'il n'en rentre, il faut s'endetter, or, on ne peut s'endetter indéfiniment. C'est vrai pour un individu, et c'est vrai pour une société. Pour une société, les importations sont les dépenses, les exportations sont les revenus, si nos importations sont sans cesse supérieures à nos exportations, alors on s'appauvrit continuellement car on doit emprunter aux autres sociétés pour acheter leurs biens. L'argent dépensé dans la communauté renforce la communauté, l'argent envoyé à l'étranger appauvrit la communauté.

Or, le Québec, s'il consomme des quantités astronomiques de voitures, de pièces automobiles et de pétrole pour le transport, ne produit ni voiture, ni pétrole et pas beaucoup de pièces automobiles. C'est-à-dire que sur chaque dollar dépensé pour assurer le déplacement en automobile, peut-être 70-80 cents quittent le Québec et nous appauvrissent. Oh, il y a bien les station-services, les garagistes et concessionnaires qui en gardent une partie dans leur communauté, mais une toute petite partie seulement.

En termes absolus, c'est environ 9 milliards de dollars de voitures, VUS et camions qu'on importe de l'étranger chaque année. À ça, on doit ajouter près de 15 milliards de dollars en importation de pétrole et d'essence, utilisé essentiellement pour le transport. À cela il faut ajouter les pièces automobiles et autres.

En tout, ça fait plus de 25 milliards de dollars PAR ANNÉE que l'on envoie à l'étranger, qui quitte le Québec et nous appauvrissent, juste pour satisfaire nos besoins en automobile, largement dus aux décisions d'investissement en transport que nous avons prises.

Le PIB du Québec fait environ 310 milliards de dollars, c'est donc 8% de notre production annuelle que l'on perd à l'étranger pour les déplacements automobiles.

Le déficit commercial total du Québec est de 30 milliards environ, il peut donc pratiquement s'expliquer entièrement seulement avec le déficit causé par nos choix en transport!

Les alternatives

Qu'en est-il de nos alternatives de transport? Si on construit des villes denses, mélangeant bien les usages, alors on peut satisfaire une part importante de nos besoins en transport avec la marche et le vélo. Ces modes de transport sont excessivement efficaces économiquement, ils ne coûtent pratiquement rien. Encore mieux, ils permettent de faire de l'exercice et améliore la santé de la population. Cela permettrait donc de diminuer les coûts de transport des Québécois, ou au moins de donner la possibilité, présentement inexistante, aux Québécois de faire des choix de style de vie réduisant leurs besoins en transport, sans se mettre automatiquement au ban de la société. Les gens peuvent alors utiliser cet argent pour consommer davantage... ou pour éviter d'avoir à s'endetter.

Et le transport en commun? Le transport en commun permet aussi des économies mais reste assez dispendieux. Toutefois, à l'opposé des déplacements automobiles, la majorité, soit environ 70%, des dépenses en transport en commun sert à payer la main d'oeuvre: les conducteurs, les mécaniciens, les administrateurs, etc... Ces gens résident dans la communauté, et donc l'argent reste dans la communauté et reste en circulation dans celle-ci.

Mais encore mieux, le Québec a sur son territoire des usines de Bombardier (trains et tramways) et de NOVA Bus (autobus... bien sûr). Donc les véhicules utilisés pour le transport en commun peuvent être fabriqués ici plutôt que d'être importés.

Bref, non seulement favoriser des développements orientés vers les transports actifs et le transport en commun permet de réduire les dépenses en transport des individus, mais les dépenses qui restent ont beaucoup plus de chance de rester dans nos communautés et de faire fonctionner l'économie locale. Les gains économiques d'un tel changement d'orientation se chiffrent dans les milliards aisément.

Or, tant qu'on développera le long d'autoroutes, nous ne réussirons pas à réorienter les choix de mode de transport. C'est pourquoi on a besoin d'un moratoire autoroutier et d'une réflexion pour savoir comment on peut diminuer l'impact des autoroutes déjà construites (je favorise personnellement le péage à la distance).

Que ce soit au niveau écologique, urbaniste, économique ou fiscal, tout s'accorde sur ce point: on doit cesser de favoriser un développement orienté vers l'autoroute. Si on a à coeur le Québec, on ne peut pas supporter de continuer à agir comme nous avons agi depuis les années 60 et de continuer la folie autoroutière.

Le seul argument à l'opposé de ça, c'est l'inertie, que les gens ont leurs habitudes et qu'on ne devrait pas les bousculer. Ce qui n'est pas un argument du tout, juste un appel aux sentiments du monde et au refus de tout changement. À tous les niveaux, je dis bien TOUS les niveaux, ce mode de développement est une catastrophe pour le Québec. C'est pourquoi au lieu d'un cri du coeur, je lance un appel à la raison: tournons le dos à cette politique désastreuse et agissons avec intelligence pour une fois. Commençons par dire non à l'autoroute 19.

jeudi 11 décembre 2014

Comment renverser le déclin démographique de Montréal

Les statistiques le prouvent, le poids démographique de Montréal diminue sans cesse au bénéfice des banlieues. Entre 2006 et 2011, la population de la ville de Montréal a progressé de 1 621 000 à 1 650 000, pendant que la population des banlieues passait de 2 015 000 à 2 074 000. Donc le poids de la ville de Montréal dans la région métropolitaine est passée de 44,6% à 43,1% en 5 ans. Ce chiffre était de 46,0% en 2001.

Alors, pourquoi ce phénomène? Peut-il être endigué et, si oui, comment?

Pourquoi le déclin?

Certaines personnes, particulièrement renfrognées contre la ville, prétendent que le déclin de Montréal est le simple résultat d'une préférence de la population pour la banlieue: la grosse maison, les deux gros chars dans l'entrée, le gros terrain, etc... Le cas échéant, la seule manière de renverser la tendance à Montréal serait de forcer les gens à habiter en ville en les contraignant à le faire.

Est-ce que c'est une théorie qui se tient? Et bien, absolument pas. Je ne nie pas que certaines personnes recherchent vraiment la banlieue et ne veulent pas habiter en ville, mais c'est clair que la majorité du monde a une préférence pour les endroits plus centraux quand vient le temps de choisir où vivre. Le prix des condos et maisons fonctionne sur une logique de marché, or, dans une telle logique, le prix reflète la valeur que les consommateurs attribuent au bien en question. Le fait que les maisons et condos soient si dispendieux en ville est un signal économique clair que les consommateurs en moyenne considèrent qu'habiter en ville a plus de valeur à leurs yeux que d'habiter en banlieue. Certains pensent que le prix des logements en ville est "bien entendu" plus élevé qu'en banlieue, comme si c'était une réalité immuable qui ne veut rien dire, mais ce n'est pas toujours vrai. Si la ville offre une qualité de vie inférieure, alors le prix des logements diminue, on le voit à Détroit où les maisons en ville peuvent valoir aussi peu que quelques dizaines de milliers de dollars, bien en-deçà du coût de constructio d'une maison neuve.

La raison principale du déclin démographique est simple, c'est une simple question d'arithmétique. Les gens ne peuvent habiter à un endroit s'il n'y a pas de logements pour eux. Or, justement, la région de Montréal est en croissance, donc il faut construire plus de logements pour accueillir la population, et Montréal est tout simplement incapable présentement de construire assez de logements pour maintenir son poids démographique. Seulement environ 33% des nouveaux logements de la région métropolitaine de Montréal ont été construits à Montréal dans les dernières années, ce qui est significativement inférieur au poids démographique de Montréal.

Nombre de nouveaux logements construits dans la région métropolitaine (rouge pâle) et dans la ville de Montréal (rouge foncé), ainsi que part des nouveaux logements construits dans la ville (rouge pointillée, sur l'axe de droite)
Pire, une grande partie des logements que Montréal construit est en fait des lofts et des condos à 1 chambre, alors que la banlieue construit des maisons à 3 chambres principalement. Donc la capacité d'accueil résidentielle de la banlieue augmente encore plus rapidement comparativement à celle de Montréal que ne l'indique ces chiffres.

Le gouvernement provincial n'aide pas non plus en concentrant ses investissements sur le transport pour les banlieues, ayant construit un réseau d'autoroutes très développé en banlieue mais dont le financement est provincial. Ainsi, tous les contribuables du Québec subventionnent les gens qui font le choix d'habiter en banlieue et d'utiliser les autoroutes quotidiennement pour se déplacer. En fait, toute subvention pour le transport est un incitatif financier à l'étalement urbain. En général, les gens doivent faire un choix entre habiter en ville, quitte à payer plus cher le logement, ou à habiter en banlieue, où le logement est moins cher mais où les coûts en transport sont plus élevés. Or, si on subventionne les transports à 50% en taxant tout le monde, on réduit le désavantage des banlieues et on subventionne ceux qui font le choix d'y habiter.
Coûts d'habiter en ville ou en banlieue, selon que les transports ne sont pas subventionnés ou le soient à 50%, la subvention du transport permet à la banlieue de devenir plus abordable par rapport à la ville. La taxe pour financer la subvention est un transfert de richesse de la ville à la banlieue
Les subventions aux autoroutes subventionnent également les promoteurs commerciaux et industriels en les encourageant à s'établir le long d'autoroutes, ce qui contribue à un étalement des emplois et des services, incitant les gens à s'établir plus loin en banlieue pour se rapprocher des emplois.

Renverser le déclin

Donc les causes du déclin de Montréal sont essentiellement:
  1. L'incapacité de Montréal à satisfaire la demande pour des nouveaux logements
  2. Des politiques publiques créant des incitatifs financiers à s'installer en banlieue à travers des subventions au transport
Énumérer les causes permet de voir les pistes de solution. Ainsi, il faut que Montréal construise davantage de logements et renverser les politiques subventionnant l'étalement urbain si on veut renverser la vapeur.

Mais est-il possible vraiment de construire beaucoup plus de nouveaux logements à Montréal? Montréal n'est-elle pas déjà saturée?

Les réponses à ces questions sont respectivement: oui, et non. La limite sur la construction de logements à Montréal est strictement artificielle, issue de la réglementation. Il est vrai que les terrains vacants sont rares et le sont de plus en plus, la Ville a permis des développements dans certains coins en acceptant la transformation de quartiers industriels en quartiers résidentiels, notamment Griffintown, mais même ces quartiers sont rares, et se débarrasser des lieux d'emplois est une mauvaise stratégie. Tous ces petits développements sont en fait une fuite en avant pour éviter de confronter le VRAI problème de la pénurie de logements à Montréal: le zonage basé sur la conservation du "caractère" des quartiers.

Ainsi, le véritable problème est une obsession d'interdire le remplacement de bâtiments existants par des bâtiments plus denses et/ou plus hauts. Il y a plusieurs coins de basse densité à Montréal qui sont situés à proximité des noeuds du transport en commun et qui pourraient être convertis en plus haute densité, augmentant le nombre de logements disponibles, et ce sans exproprier personne, simplement en relaxant les restrictions sur la hauteur des bâtiments et en laissant les promoteurs remplacer les bâtiments existants.

Par exemple, près de la station Radisson sur la ligne Verte, voici les logements actuellement présents:


Maisons unifamiliales isolées, tout juste à côté du métro Radisson
 Il y a quand même une station de métro à une centaine de mètres de là, et pourtant, ces terrains hautement désirables sont occupés par des maisons à très basse densité. En fait, ces terrains sont RÉSERVÉS aux maisons à très basse densité. Vous ne me croyez pas? Et bien voici des extraits du plan d'urbanisme de l'arrondissement:

Les maisons unifamiliales sont dans le secteur 14-06, encerclé en rouge

L'orientation du zonage dans le secteur est le "maintien du caractère des secteurs", un euphémisme pour dire "aucun développement permis"
Montréal est plein de ces coins qui pourraient être transformés en secteurs à plus haute densité, on aurait qu'à se tasser et à laisser le monde faire. On pourrait maintenir certains règlements pour essayer de diminuer les impacts sur les résidents actuels, mais le tout en respectant le droit des propriétaires de densifier leur propriété s'ils croient que la demande le justifie. Ainsi, des nouveaux logements pourraient être construits en grand nombre, et ils le seraient dans les secteurs les plus propices aux développements, avec des écoles et des services déjà présents, alors que les développements dans les quartiers industriels sont désastreux, requérant des investissements majeurs de la Ville pour essayer de desservir ces nouveaux quartiers.

Certains autre secteurs permettent sur papier la densification, par exemple en permettant des bâtiments de 3 étages dans des endroits où il y a des bâtiments de 2 étages, mais la réalité économique fait en sorte que la densification est tout de même exclue. Le coût de l'ajout de nouveaux logements est tellement élevé qu'il ne fait pas de sens économique de le faire. Donc, comme ce processus n'est pas abordable, il est de fait exclu par les normes. Surtout que les arrondissements se feront un plaisir de mettre des bâtons dans les roues de quiconque s'y essaiera en les enterrant sous la paperasse.

La preuve que la relaxation des contrôles sur le milieu bâti fonctionne est Sapporo, ville nordique japonaise de la même taille que Montréal, avec une population encore plus élevée dans ses limites. Pourtant, même si la population est plus élevée pour une superficie similaire, il se construit en moyenne 3 fois plus de logements à Sapporo qu'à Montréal, grâce à un zonage favorable à la densification. Si Montréal permettait la construction de logements au même rythme que Sapporo, sa part des nouveaux logements serait de 60% et son déclin serait renversé. Cela permettrait également aux logements en ville de voir leurs prix diminuer.

L'enjeu des politiques publiques est également important. Il faut tout d'abord cesser l'hémorragie en cessant de construire sans cesse des autoroutes et de majorer la capacité routière des autoroutes en banlieue. Des projets comme l'autoroute 19 ne doivent pas voir le jour. Ensuite, il faudrait procéder à une véritable révolution en terme de financement des routes. L'idée de financer les autoroutes par des ponctions sur tous les automobilistes à travers les taxes sur l'essence et des contributions annuelles de frais d'immatriculation est affreusement mauvaise. Le péage devrait idéalement être implanté sur toutes les routes à accès limité (autoroutes et routes nationales similaires aux autoroutes comme la route 116 à Longueuil), de sorte à faire payer les usagers directement pour ces infrastructures et à décourager l'abus de celles-ci.

De plus, les tronçons des routes nationales et régionales, gérées et financées par le Ministère des Transports du Québec, que les villes utilisent comme égout à voitures car elles savent que le provincial ramassera la facture, doivent être retournés aux municipalités pour qu'elles en assument la responsabilité financière. Forcées à payer pour ces routes par des taxes sur la propriété, les villes vont probablement cesser d'y concentrer toute la circulation et favoriser des grilles d'artères, comme on le voit en Colombie-Britannique.

Conclusion

Le déclin de Montréal n'est pas une fatalité. Malheureusement, je vois peu de politicien avec le courage de le renverser. Il y a bien Projet Montréal qui s'oppose aux politiques publiques favorisant la banlieue au détriment de la ville, mais le parti reste largement prisonnier de la mentalité "pas dans ma cour" anti-développement dans les quartiers existants. Il dit vouloir s'attaquer à l'exode des familles en banlieue, mais les subventions aux familles ne changeront rien à la simple équation arithmétique qui explique largement ce phénomène: il n'y a tout simplement pas assez de logements pour permettre aux familles de rester à Montréal, seule une campagne de densification rapide et non-uniforme, imposant le moins de coûts possibles aux développeurs (ce qui ne fait que gonfler les coûts des logements), pourra contrer cet état de fait. Même si la Ville subventionnait à coups de dizaines de milliers de dollars les achats de logement des familles, si on ne permet pas la construction de nouveaux logements, cela ne résulterait qu'en une hausse du prix des logements pour avaler ces subventions.

lundi 13 octobre 2014

Montréal et Sapporo: comparaison entre modes de développement japonais et nord-américain

Comme j'en avais parlé, la ville japonaise de Sapporo a été fondée au même moment que les principales villes texanes et en partage le plan de base. Toutefois, je ne peux m'empêcher de noter les très nombreuses similarités entre Sapporo et ma ville natale, Montréal, au point où je me surprends parfois à qualifier Sapporo de "Montréal japonaise". Voici quelques similarités:
  • Les deux villes connaissent des hivers rudes avec de nombreuses chutes de neige. L'hiver à Sapporo est un peu moins froid, mais beaucoup plus humide avec de très nombreuses précipitations. Les deux villes ont donc environ les mêmes défis hivernaux. 
Températures maximales et minimales moyennes par mois

Précipitations moyennes par mois
  • Les deux villes ont des métros souterrains pneumatiques, atypiques pour leurs pays et continents, construits initialement pour accueillir des événements internationaux. Il s'agit de l'Expo Universelle de 1967 pour Montréal et des Jeux Olympiques d'hiver 1972 pour Sapporo.
  • Les deux villes ont accueilli les Jeux Olympiques dans les années 70. Les Jeux d'hiver pour Sapporo et les Jeux d'été pour Montréal. Les deux en portent encore fièrement les marques, le stade olympique de Montréal étant le bâtiment le plus internationalement reconnu de Montréal et Sapporo maintenant des pistes de ski acrobatique, qui sont utilisées pour des musées et pour offrir des points de vue panoramique de la ville.
  • Les deux villes sont des pionnières en terme de vélos en libre service pour leurs pays respectifs. Montréal a son BIXI, Sapporo a Porocle (Contraction de SapPORO CyCLE... le mieux que je puisse dire en faveur de son nom est que ça sonne mieux en Katakana).
Porocle, le service de vélo en libre service de Sapporo, commandité par... Poulet Frit Kentucky?
BIXI, qui a été exporté dans de nombreuses villes, dont New York
  • Les deux villes ont des centres d'achat souterrains dans leur centre-ville, probablement pour éviter le froid et la neige en hiver. Sapporo a "Aurora Town" sous le parc Odori. Montréal a le RÉSO souterrain, 30 kilomètres de tunnels, ce qui en fait selon plusieurs sources le plus grand réseau urbain souterrain au monde.
  • Les deux villes sont reconnues pour leur bière. Plusieurs d'ailleurs ne savent pas que Sapporo est une ville, ne connaissant que la marque de bière. Montréal quant à elle est associée à Molson et possédait également des brasseries de Labatt. Montréal a également une industrie de micro-brasseries très développées. Sapporo un peu moins, mais elle en a également.
  • Les deux villes sont le résultat de colonisation sur des terres où vivaient autrefois des peuples indigènes. Les Amérindiens à Montréal et le peuple Ainou à Sapporo (d'ailleurs, le nom Sapporo n'est pas vraiment japonais mais une translittération du nom Ainou de l'endroit).
  • Les deux villes sont situées dans des plaines fertiles avec de fortes industries agricoles, entourées par des régions montagneuses.
  • Les deux villes ont des plats locaux bien gras et salissants. Sapporo a le Jingisukan (Genghis Khan) qui consiste en du mouton et des légumes cuits sur la table dans un bol en cuivre dans lequel on a précédemment fait fondre un morceau de lard. Montréal a la poutine.
Le Jingisukan de Sapporo. Une bavette en plastique est fournie pour protéger vos vêtements des éclats de lard fondus qui sont inévitables.
La poutine! Frites, sauce brune, fromage en grains... celle-ci a des saucisses en plus

J'espère que vous comprendrez pourquoi je trouve les villes similaires à bien des égards. Mais bon, je ne fais pas campagne pour un festival Montréal-Sapporo et leur pairage. Alors revenons au sujet de ce blogue et regardons les modes de développement des deux villes.

Modes de développement urbains: Sapporo et Montréal

Montréal et Sapporo suivent deux formes complètement différentes de réglementation des développements urbains. Le zonage employé par Montréal tend à maintenir l'uniformité, à favoriser les développements de quartier plutôt que de bâtiment, le tout est un mélange de zonage américain et européen. Certains quartiers sont d'ailleurs très évidemment d'inspiration européenne avec des bâtiments de 2 ou 3 étages, tous de la même taille et qui sont séparées par des murs mitoyens.
Des Mulitplexes du Plateau-Mont-Royal, construits au débuts du 20e siècle
Lasalle, une banlieue construite dans les années 70, et composée presque entièrement par deux types de multiplexes: des duplexes avec entrée de garage à l'avant et des 4-plexes avec des entrées de garage sur le côté (pas illustrés su cette image). En quelque sorte une adaptation automobile du Plateau
Sapporo suit plutôt le mode de développement japonais qui donne beaucoup plus de liberté aux développeurs, résultant en des quartiers éclectiques avec mélange des usages et avec bâtiments multifamiliaux et unifamiliaux se côtoyant, avec quelques blocs appartement apparaissant parfois dans des quartiers de maisons unifamiliales. Il y a une certaine logique à ce chaos: la hauteur des bâtiments est régie par la largeur de la rue et la densité augmente sensiblement à proximité des gares de trains ou des stations de métro. Les maisons sont presque toutes sur des rues étroites. Ce modèle permet une évolution rapide de la ville, des changements rapides auxquels sont fortement hostiles les règlements d'inspiration européenne de Montréal. L'adéquation des besoins de la population et la mixité des usages est donc beaucoup plus grande à Sapporo qu'à Montréal.




Une tour d'habitation de plus de 10 étages trônant sur une rue de maisons unifamiliales
Tous ces bâtiments sont des maisons unifamiliales, mais elles sont toutes différentes l'une de l'autre, chaque maison étant un modèle différent
Voici essentiellement le seul endroit que j'ai vu qui soit la répétition d'une série de bâtiments identiques l'un à l'autre
Malheureusement, je n'ai pas de photos de la station de Shinsapporo qui souffre d'un syndrome de "tour-dans-un-parc(à stationnement)" aigu

Maintenant, analysons un peu l'impact de ces deux modes de développement.

Quelques données

Tout d'abord, voyons un peu l'effet sur la répartition géographique des développements urbains, pour voir comment ils s'étalent.
Montréal, la ville centre occupant la majeure partie de l'île
Sapporo
Montréal semble se développer en grappes, ses banlieues sont souvent isolées par des champs, ce qui est probablement le résultat des lois de protection des territoires agricoles qui limitent l'étalement à des "zones blanches" entourant les villages historiques de la région de Montréal. Ainsi le développement se fait au saute-mouton. Sapporo se développe plus comme une masse radiant hors d'un centre unique par ses lignes de chemin de fer et ses métros.

Si on compare uniquement la taille des villes centres, excluant les montagnes et les étendues d'eau, on obtient ceci:
Sapporo à gauche, la ville de Montréal à droite, assez similaire en superficie
Regardons maintenant les populations des villes centres et des aires urbaines:
  • Population de la ville centre
    • Montréal: 1 621 000
    • Sapporo: 1 914 000
  • Population de l'aire urbaine
    • Montréal: 3 821 000
    • Sapporo: 2 606 000
  • Part de la population de l'aire urbaine habitant la ville centre
    • Montréal: 42%
    • Sapporo 73%
La population de l'aire urbaine de Montréal est bien plus grande que celle de Sapporo, néanmoins, la population de la ville centre de Sapporo est plus grande que celle de Montréal et elle est plus dense. Ce qui indique que ce n'est pas parce qu'une ville a de l'espace où s'étaler qu'elle le fera automatiquement.

Mais, ce qui est encore plus intéressant est où se passe la construction résidentielle
  • Nombre de nouvelles unités résidentielles, moyenne annuelle entre 2004 et 2006, pour la ville centre seulement
    • Montréal: 8 767
    • Sapporo: 21 600
  • Nombre de nouvelles unités résidentielles, moyenne annuelle entre 2004 et 2006, aire urbaine
    • Montréal: 24 538
    • Sapporo: 27 367
  • Part des nouvelles unités résidentielles construites dans la ville centre entre 2004 et 2005
    • Montréal: 35%
    • Sapporo: 79%
Nouvelles unités résidentielles par année
Ce qui est important à souligner est que si l'on utilise les nouvelles constructions résidentielles comme indice pour voir où les nouveaux résidents viennent habiter, alors Sapporo, malgré sa plus grande densité que Montréal, attire la majorité des nouveaux développements et des nouveaux résidents, battant à plate couture ses banlieues. En fait, la part de la ville centre des nouveaux développements (79%) est même plus élevée que sa part de la population actuelle (73%), ce qui semble indiquer que la ville centre croît plus rapidement que ses banlieues. À Montréal, c'est l'inverse, la ville centre construit moins de logements (35%) que sa part actuelle de la population (42%).

Donc Sapporo est en croissance par rapport à ses banlieues, mais Montréal est en déclin par rapport aux siennes. Montréal subit l'étalement urbain, car elle est incapable avec son modèle de développement actuel d'accroître le nombre d'unités de logement à une vitesse suffisante pour gérer la croissance de la demande de logements, un problème qui n'affecte pas Sapporo.

Un autre élément qui différencie Montréal de Sapporo est la présence à Montréal d'un réseau très développé d'autoroutes gratuites à l'usage, ce qui permet aux banlieues de s'étaler beaucoup plus loin qu'à Sapporo, où il n'y a essentiellement qu'une seule autoroute qui contourne l'aire urbaine de Sapporo et qui est à péage.

Les autoroutes sont orange. Contrastez le réseau de Montréal aux 2 autoroutes de Sapporo qui contournent la ville centre

Métro et TOD

La possibilité de construire aisément plus de densité là où elle est en demande a un effet intéressant sur le métro.

Tout d'abord, un survol des deux systèmes de métro:

Les métros de Montréal et de Sapporo à l'échelle
Si vous avez l'impression que le réseau de Montréal est plus étendu, c'est qu'il l'est.

  •  Nombre de stations
    • Montréal: 68
    • Sapporo: 48
  • Étendue du réseau
    • Montréal: 69 km (43 miles)
    • Sapporo: 49 km (31 miles)
Le métro de Montréal est plus étendu, alors est-il largement supérieur? Pas vraiment.
  • Achalandage du métro
    • Montréal: 219 millions de passagers par année
    • Sapporo: 210 millions de passagers par année
  • Achalandage annuel par km du réseau
    • Montréal: 3,16 millions de passagers/km
    • Sapporo: 4,29 millions de passagers/km
  • Achalandage annuel par station
    • Montréal: 3,22 millions de passagers par station
    • Sapporo: 4,38 millions de passagers par station
Donc, même si le métro de Montréal rejoint plus d'endroits, en termes d'usage du métro par km du réseau ou par station, le métro de Sapporo est beaucoup plus performant et efficace, attirant 35% plus d'usagers que celui de Montréal. Et le tout malgré des tarifs plus élevés pour le métro à Sapporo (surtout dû à l'absence de passe mensuelle donnant un accès illimité à tout le réseau).

Pourquoi?

Selon mes observations après avoir vu les deux villes, ma théorie est que le mode de développement japonais est bien plus favorable aux TOD que l'approche de type européenne de Montréal. Effectivement, plusieurs stations du métro de Montréal construites dans les années 60 ou 70 ont encore des quartiers entiers de bungalows à proximité, avec très peu de développement depuis l'arrivée du métro, malgré des secteurs qui ont une densité qui est très loin de la densité optimale pour des abords d'une station de métro, avec très peu d'emplois et de commerces. À Sapporo, les abords des stations de métro, que ce soit au centre-ville ou plus en extrémité du réseau, tendent à attirer des tours d'habitations et des centres d'achat compacts qui s'insèrent bien en milieu urbain. À Montréal, ce genre de développements, souvent interdits par le zonage des quartiers existants, se produit principalement au-delà des zones desservies directement par le métro, incitant les gens à utiliser des voitures pour se déplacer plutôt.

Voici un exemple flagrant:

Il y a un centre d'achat à la limite de la Ligne Verte à Montréal, le Carrefour Angrignon, qui a été construit des années après que le métro ait été construit.
Carrefour Angrignon à gauche, métro Angrignon à droite
Non seulement celui-ci est construit comme un centre d'achat typique de banlieue avec un seul étage, entouré par des stationnements gigantesques qui agissent comme zones tampons, mais il est situé à 10-15 minutes de marche du métro. Qu'est-ce qu'il y a de construit au-dessus du métro alors? Rien, absolument rien sauf un terminus d'autobus, et un petit dépanneur dans la station.

Maintenant, regardons ce qui a été fait à Sapporo en fin de ligne:
Centre d'achat près de la station Miyanosawa
Voici des photos du centre d'achat que j'ai prises lors de mon voyage à Sapporo cet été.

Le seul stationnement entre la rue et le centre commercial est un stationnement à vélos
Les voitures doivent aller stationner sur le toit
Il s'agit d'un centre d'achat urbain, avec 2 étages et un stationnement à l'étage plutôt qu'en surface l'entourant. Il est également beaucoup plus près de la station, à seulement 2 minutes de marche. Il possède même un chemin souterrain direct entre la station et le centre.

Il faut dire que le métro de Montréal a un fort achalandage pour un métro nord-américain, mais c'est dû principalement à deux choses:
  1. La présence de banlieues de tramway très denses connectés au centre-ville par le métro
  2. Des autobus express et des trains de banlieue se connectant directement au centre-ville et forçant leurs usagers à se répartir à Montréal par le métro par la suite
Il y a eu très, très peu de TOD à Montréal, que quelques constructions dans des coins déjà très denses comme le centre-ville ou, ironiquement, à la station de Longueuil sur la Rive-Sud, un endroit qui est enclavé par des autoroutes (donc déconnecté du reste de la ville) et qui n'était pratiquement pas développé avant l'arrivée du métro.

Sapporo possède également un réseau de rail régional beaucoup plus performant, alors que Montréal n'a que des trains de banlieue qui n'existent qu'aux heures de pointe. Ainsi, les trains de Sapporo transportent, en plus du métro, 76 millions de passagers par année, contre 19 millions à Montréal.

Où Montréal bat Sapporo est dans l'achalandage du réseau d'autobus. Les autobus de la STM (l'organisme de la ville centre) transportent près de 240 millions de personnes par année, auxquels on pourrait ajouter 80-100 millions de plus pour tenir compte des agences de transport de banlieue. Le réseau d'autobus de Sapporo, maintenant privatisé, ne transporte que 105 millions de passagers par année.

Certains pourraient voir ça comme quelque chose de positif pour Montréal, pas moi. À Sapporo, la part modale des déplacements actifs (marche et vélo) est trois fois plus élevée qu'à Montréal. Ceci me laisse croire que la forme urbaine de Sapporo permet à beaucoup de déplacements de se faire à pied ou en vélo car ils sont de courte distance puisque la densité de Sapporo existe dans des endroits stratégiques où il y a beaucoup de commerces et d'emplois. Les Montréalais n'ont pas cette chance, la forme des développements est conçue en fonction des déplacements motorisés, donc là où les gens de Sapporo pourraient marcher ou aller à vélo, les gens de Montréal prennent l'autobus, car les distances sont trop grandes et trop inconfortables pour les piétons. De plus, certains secteurs denses sont situés trop loin des stations de métro, obligeant les résidents à faire un transfert modal entre autobus et métro qu'ils n'auraient pas à faire à Sapporo, où les développements à haute densité auraient remplacé les développements à basse densité plutôt que de se faire hors de la distance de marche du métro.

Parts modales de Sapporo et de Montréal

À vrai dire, je crois que dans une ville bien conçue, avec un bon mélange des usages et une bonne infrastructure pour vélos, le rôle des autobus est très limité. À cause du temps d'attente et de leur faible vitesse à cause du nombre d'arrêts à faire en milieu urbain, les autobus sont plus lents que les vélos. Ils perdent même le combat contre la marche pour des distances de moins d'un kilomètre, même pour une ligne fréquente avec des passages aux 10 minutes. C'est-à-dire que si la destination est à moins d'un kilomètre, il est en général plus rapide d'y marcher que de prendre l'autobus, du moins pour des adultes en santé.

Conclusion

OK, donc qu'est-ce qu'on peut tirer de cette analyse? Tout d'abord, qu'un zonage lousse aide grandement aux investissements en transport en commun, car sans interdiction réglementaire, le développement orienté vers le transport en commun (TOD) survient naturellement, contribuant à maximiser l'usage des lignes de transport en commun rapide à haute capacité. Le mode de développement japonais, aussi chaotique soit-il, permet de limiter les besoins d'étendre à outrance les réseaux de métro car les métros attirent les développements... les développements se rendent au métro, évitant au métro d'avoir à être allongé pour rejoindre les développements.

Ensuite, le modèle de développement japonais permet de conserver des villes centre fortes en permettant au stock immobilier d'augmenter significativement. Ainsi, les gens ne sont pas forcés par des pénuries de logement de s'exiler en banlieue. En effet, selon les données que j'ai présentées ici, la ville de Sapporo va croître plus rapidement que ses banlieues. D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi je parle au futur, selon les données de www.citypopulation.de, c'est déjà le cas.

Croissance des populations des villes de la région de Sapporo, notez qu'elles sont toutes en déclin, sauf Chitose, alors que Sapporo est en croissance

Même en regardant les arrondissements de la ville de Sapporo, on voit que la croissance se produit surtout dans le centre de la ville
Au contraire, Montréal subit le sort de nombreuses villes nord-américaines qui voient leur poids démographique et leur influence décliner de plus en plus.

En passant, quant aux coûts du logement, Sapporo fait très bonne figure à cet égard, même comparé à Montréal qui est la grande ville la plus abordable du Canada. Voici une figure tirée de Suumo.jp, un site sur l'immobilier japonais qui indique les statistiques des prix du logement dans l'arrondissement central de Sapporo. 
 
Si vous ne lisez pas le Japonais, je résume, ceci dit que le prix moyen d'un studio est d'environ 300$ par mois, 400$ pour un appartement avec une chambre à coucher, 700$ pour 2 chambres et 900$ pour 3 chambres. Ceci est dans le centre-ville. L'échantillon est faible, mais les vieux condos de plus de 70 mètres carrés se vendent en moyenne 175 000$ et les maisons unifamiliales, 330 000$.

Certains disent que la densité entraîne nécessairement des coûts plus élevés des logements. Ça ne semble pas être le cas à Sapporo.

On peut en apprendre beaucoup du mode de développement japonais. Certains peuvent ne pas aimer l'allure des quartiers éclectiques qui en résultent, mais au niveau efficacité, ils sont durs à battre et on devrait s'inspirer de leurs forces. Sans adopter à 100% leur approche, il y a beaucoup d'inspiration et d'éléments à émuler.

mardi 2 septembre 2014

Filtration ou gentrification?

À peu près tout le monde a entendu parler de gentrification: le phénomène où un quartier qui était de classe moyenne ou pauvre vit l'arrivée de nouveaux venus plus riches, ce qui change le caractère démographique et socio-économique de l'endroit. C'est un phénomène associé à la hausse du prix des logements et des loyers. Toutefois, il est important de noter que les riches ne se contenteront pas des logements des pauvres, ils veulent des logements de meilleure qualité, plus grands et avec un plus grand confort. Bien qu'on pointe souvent du doigt les tours à condo quand on parle de gentrification, le processus peut se produire également dans zones à basse densité qui deviennent désirables avec le temps. Dans des quartiers de maisons unifamiliales, on parle de "maisons monstres" quand la gentrification s'exprime par le remplacement de vieilles maisons par des maisons beaucoup plus grandes, étant aussi grandes que le permet le zonage.
À Vancouver, vieilles maisons à droite, maisons monstres à gauche
Également, plusieurs associent la destruction et le remplacement de bâtiments avec la gentrification (les tours de grande taille ont un fort effet psychologique), mais la gentrification dans la plupart des cas s'expriment de manière bien différente, avec des rénovations en profondeur des bâtiments existants afin de les améliorer et de les rendre acceptables pour les gens plus riches, ou en fusionnant des appartements (par exemple, la conversion de vieux duplexes en "cottages"), en ajoutant des additions aux bâtiments ou en creusant des sous-sol, etc... En fait, la gentrification peut très bien survenir sans que cela ne soit visible de l'extérieur, certaines rénovations sont tellement poussées qu'essentiellement la seule partie qui reste est la façade. C'est ainsi que les logements abordables deviennent des logements de luxe.

Mais il y a un autre phénomène dont l'on parle moins, celui où des logements de luxe ou de classe moyenne se détériore et deviennent moins attrayants avec le temps, leur valeur diminue alors et permet à des gens de statut socio-économique inférieur à celui des premiers résidents de se payer ces logements. C'est ce qu'on appelle en anglais le "filtering", la filtration.

C'est un concept surprenant pour plusieurs, car nous sommes habitués d'entendre parler de l'inverse. Et pourtant, nous avons des cas probants de ce phénomène. Par exemple, au Japon, les maisons et condos tendent à perdre de la valeur, et non à en gagner avec le temps, ainsi même au coeur de Tokyo on peut trouver des condos (ou "mansion" comme le disent les Japonais) de 70 mètres carrés datant de 1969 et construit au-dessus d'une station de métro, le tout pour moins de 230 000$ (alors que les condos similaires plus récents dans le coin valent au moins 550 000$). Aux États-Unis, dans les villes étalées, on peut souvent voir des maisons datant du début du 20ième siècle se vendre pour une bouchée de pain comme à Kansas City, Missouri.

Pourquoi certains endroits vivent de la gentrification alors que d'autres endroits observent un phénomène de filtration? Comment peut-on amorcer la filtration pour assurer que les logements urbains restent abordables?

Parlons de voitures...

Une bonne analogie pour comprendre la dynamique de ces deux phénomènes est le prix des voitures. Le marché des voitures est un exemple parfait de filtration, la nouvelle voiture vendue à 20 000$ ne vaudra peut-être que 10 000$ ou moins 5 ans après, même si elle a été bien entretenue. Dans les pays riches, les voitures usagées ont permis à des millions de personnes de se doter de voitures qu'elles n'auraient jamais pu se payer neuves. Pourquoi est-ce que la valeur des voitures diminuent alors que la valeur des maisons augmente souvent?

Certains diraient que les voitures neuves ont des garanties, pas les voitures usagées... mais pourtant, c'est également le cas des maisons, les maisons neuves sont couvertes par des garanties du constructeur.

D'autres diraient que les voitures usagées requièrent plus d'entretien, plus une voiture est vieille, plus elle a besoin d'entretien... mais c'est également vrai pour les maisons, dont les besoins en entretien augmentent avec le temps.

Alors on revient à la case départ: pourquoi est-ce que les vieilles voitures valent moins que les nouvelles, et ce même si elles sont en parfaite condition avec des garanties prolongées?

Je crois que la raison principale est simple: les vieilles voitures se doivent de concurrencer les nouvelles voitures. Les manufacturiers automobiles renouvellent sans cesse leurs modèles, et rares sont ces modèles qui ne sont pas objectivement supérieurs aux anciens. Par exemple, le moteur et la transmissions peuvent être améliorés, plus puissants et consommant moins, plus d'options peuvent être ajoutées aux voitures, le design peut être plus moderne et confortable, etc... Les manufacturiers n'ont pas vraiment le choix, leurs voitures se doivent de concurrencer non seulement les voitures des autres compagnies, mais également les anciens modèles de la même marque, disponible dans le marché des voitures usagées.

Considérant tout ça, pourquoi quiconque serait près à payer aussi cher pour une vieille voiture quand les nouvelles voitures sont tellement mieux?

Donc, la clé expliquant la perte de valeurs des voitures est que l'on ne cesse d'en construire de nouvelles et que ces nouvelles voitures deviennent de mieux en mieux. Il serait théoriquement possible de conserver les anciennes voitures ad vitam aeternam en remplaçant les pièces au fur et à mesure, même le moteur et la transmission, ou l'intérieur qui peut être refait, etc... Ainsi, on pourrait ajouter de nouvelles technologies dans les vieilles voitures, mais entre ça et acheter des voitures nouvelles avec toutes ses technologies incluses dès le départ, le consensus est que ça n'en vaut vraiment pas la peine de mettre à jour les voitures.

Mais imaginez si nous décidions soudainement que jeter des voitures est un gaspillage éhonté et d'interdire la vente de nouvelles voitures, ou de les soumettre à des quotas stricts. Tout à coup, car il deviendrait pratiquement impossible de se procurer des nouvelles voitures, on serait pris avec les vieilles voitures, dont la valeur cesserait de chuter car elles n'auraient plus à concurrencer des voitures neuves plus modernes. Dans ce contexte, si quelque chose brise dans une vieille voiture, on réparerait sans hésiter plutôt que de les jeter à la casse, et quand on voudrait de meilleures performances ou une meilleure consommation, on n'hésiterait pas à remplacer les moteurs et les transmissions. 

Et comme on ne pourrait plus construire de nouvelles voitures, la quantité totale de voiture sur le marché serait statique. Si la population et la richesses augmentent et que de plus en plus de gens aimeraient avoir des voitures, alors la valeur des voitures serait sans cesse croissante, et une part de plus en plus petite de la population pourrait se les payer.

Ceci n'est pas que théorique, un tel cas est survenu dans l'histoire. Après la Révolution Cubaine, les États-Unis ont lancé un embargo sur Cuba, incluant, bien entendu, les voitures. L'URSS peinait à satisfaire sa demande interne en voitures, alors Cuba n'a pu compenser la perte de l'accès aux voitures américaines par des voitures soviétiques, et Cuba n'avait pas non plus d'industrie automobile locale. Le résultat est que, pendant des décennies, les consommateurs ne pouvaient pas acheter de voitures neuves. Pris avec les voitures existantes, sans possibilité de s'en procurer des nouvelles, les Cubains ont développé une expertise pour réparer leurs vieux chars américains des années 50, remplaçant toutes les pièces au besoin, même mettant des moteurs de Lada quand les vieux moteurs américains rendaient l'âme. Ainsi, les vieilles voitures américaines à Cuba continuent de rouler alors que leurs soeurs ont été depuis longtemps jetées aux ordures aux États-Unis.

Donc le marché nord-américain de la voiture est un exemple classique de "filtration", le marché cubain au contraire est plus similaire à un cas de "gentrification", où les voitures maintiennent leurs valeurs, voir l'augmentent, car la rénovation des voitures est la seule manière d'avoir de meilleures voitures.

De retour au cas des logements

En général, le marché du logement en Amérique du Nord suit une logique plus près de celui du marché cubain de la voiture, du moins en ce qui a trait aux logements en milieu urbain. Le refus des communautés d'accepter le remplacement des vieux bâtiments par des nouveaux et l'obsession de maintenir les quartiers figés dans le temps en prévenant leur évolution empêche des nouveaux logements d'être construits, sauf en très petit nombre. Ce petit nombre que l'on parvient à construire ne suffit pas à satisfaire la demande pour de nouveaux logements. Donc, comme il y a peu de concurrence de la part des nouveaux logements, les gens doivent se contenter des vieux logements rénovés pour être à une qualité acceptable. Les quelques nouveaux logements qui existent auront des prix notamment plus élevés, un signe que malgré tout, la valeur des anciens logements aux yeux des consommateurs est moindre que celle des nouveaux logements qui sont généralement mieux construits, au goût du jour (malgré que plusieurs se plaignent de "condos de piètre qualité", pour avoir vu des anciens appartements et de nouveaux condos abordables, les condos récents sont de loin supérieurs en général).

Donc si on ne peut ajouter de nouveaux logements pour satisfaire la demande, la gentrification suivra. Les vieux logements sont réparés et rénovés plutôt que remplacés. Des populations croissantes et une demande élevée pour des logements urbains veulent dire que certaines personnes devront être exclues des quartiers urbains par manque de logement. Les gens plus aisés se contenteront d'acheter de vieux logements et de les rénover pour qu'ils les satisfassent.

La filtration est parfois observée parfois dans les villes qui s'étalent et qui n'ont pas frappé les murs de leur croissance, où les autoroutes dans les secteurs urbains en ont détruit les attraits, rendant l'emplacement des résidences de peu d'importance. Dans ce cas, les gens avec des moyens préféreront acheter des maisons dans les nouveaux quartiers en périphérie que dans les vieux quartiers un peu délabrés. C'est pourquoi même les villes à la démographie déclinante voient de nouvelles constructions d'habitation, alors que le stock actuel suffirait amplement à la demande.

Ainsi, la manière de mettre fin à la gentrification et de commencer le processus de filtration est de permettre la construction de beaucoup plus de nouveaux logements urbains. Ceci ne veut pas dire remplacer une maison par une maison, il faut que les nouvelles constructions soient de plus haute densité afin d'augmenter le nombre absolu de logements disponibles sur le marché. On peut soit construire en hauteur ou s'étaler à l'horizontale, ce qui n'est souvent pas possible dans les quartiers urbains.

Il faut noter que ce phénomène fait en sorte que même si on ne construit que des logements de luxe, on pourrait aider les gens plus pauvres à trouver des logements abordables. Par exemple, si on a une station de métro dans une zone de relativement basse densité et que des gens plus riches veulent y habiter, empêcher la construction de hautes tours à condos de luxe près de la station n'aidera en rien à prévenir la gentrification, au contraire, elle l'aggravera. Les riches se contenteront alors de rénover les logements abordables pour satisfaire leurs besoins, réduisant la quantité de logements abordables, alors que si on leur avait permis de s'établir dans des développements de très haute densité et de grande taille, ils n'auraient pas investi les logements de classe moyenne.

Voici une représentation visuelle de ce procédé. Tout d'abord, commençons avec un quartier stylisé avec 6 bâtiments sur 6 lots, avec des logements abordables et de classe moyenne.

Chaque bonhomme allumette représente un ménage, chaque carré représente un logement, chaque colonne de carrés empilés représente un bâtiment. Le rouge représente les ménages pauvres et les logements abordables. Le bleu représente les ménages et les logements de classe moyenne. Le vert représentera les ménages riches et les logements de luxe.

Bon, et maiuntenant disons que le quartier est devenu désirable pour les riches et que des ménages riches veulent y emménager, ceux-ci veulent des logements dont la valeur est de 350 000$ et plus.
 
Voici une manière dont leurs besoins pourraient être satisfaits. Comme les bâtiments de classe moyenne valent moins cher (car ayant moins d'unités), un de ces bâtiments est acheté pour être démoli et remplacé par une tour à condos de luxe. Un autre bâtiment de classe moyenne subira le même sort, mais pour une tour à condos de classe moyenne. Voici le résultat:
Le nombre de logements, et donc la densité, a augmenté, permettant à tous ceux voulant habiter le quartier d'y vivre. Personne n'a été expulsée.

Que se passe-t-il si un autre bâtiment de 2 unités de classe moyenne est remplacé par une tour à condos de classe moyenne? Après tout, la première tour de ce genre a été profitable, une seconde pourrait l'être aussi, attirant les quatre ménages de classe moyenne habitant encore dans des bâtiments à 2 unités chacune.
Bon, maintenant il manque de ménages de classe moyenne pour occuper le bâtiment de 2 unités restant. Or, le propriétaire ne voudra pas continuer de payer les taxes et l'entretien d'un bâtiment vacant. Alors s'il ne trouve pas d'autres ménages de classe moyenne, il baissera ses prix pour attirer des ménages moins riches. La valeur de ces logements chutera, mais pas au point d'être complètement abordables, mais assez bas pour attirer des ménages pauvres.
Ceci est la filtration. Le bâtiment de 2 unités de classe moyenne a été filtré et est devenu plus abordable. Il y a deux logements abordables vacants et deux ménages pauvres emménagent dans des logements un peu plus chers mais de meilleure qualité.


Mais que se passe-t-il si, au contraire, les "pas dans ma cour" et les militants anti-gentrification s'unissent pour interdire l'augmentation de la densité et de bloquer la construction de bâtiments plus élevés en utilisant le zonage? Alors on ne peut pas construire de tours à condos de luxe. Est-ce que les riches vont quitter le quartier, la queue entre les deux jambes? Bien sûr que non. Soit eux, soit des promoteurs flairant la bonne affaire, vont acheter des bâtiments de classe moyenne et les rénover pour les transformer en bâtiments de luxe. Les ménages de classe moyenne ayant perdu leurs logements se rabattront sur les logements abordables, eux à leur tour les rénovant pour les améliorer. Et que feront les ménages pauvres ayant perdu leurs logements abordables? Et bien, ils seront chassés du quartier, point à la ligne, c'est la gentrification.

Conclusion

Ce qui détermine si la gentrification ou la filtration se produira est la quantité de nouveaux logements pouvant être construits. Quand suffisamment de logements peuvent être construits pour satisfaire la nouvelle demande, ceci libérera les logements plus vieux et permettra à leur valeur de décliner, devenant plus abordable. La seule manière de permettre aux vieux logements d'être filtrés est de s'assurer qu'ils doivent concurrencer des nouveaux logements, comme les voitures usagées doivent concurrencer les nouvelles voitures.

Limiter la densité pour préserver le "caractère" du quartier mène donc directement à la gentrification si le quartier est attrayant et attirant une demande que le stock actuel de logements n'est pas capable d'assouvir.