samedi 29 mars 2014

Le dilemme de la médiocrité du service en autobus

Quand on parle de la qualité de service d'une ligne de transport en commun, on doit considérer deux facteurs principaux:
  1. La vitesse moyenne de la ligne (vitesse commerciale)
  2. La fréquence du service
Si on suppose que les gens peuvent avoir besoin d'aller à un endroit de façon aléatoire, la durée du parcours ne sera pas que le temps du trajet, mais également l'attente à l'arrêt. En moyenne, le temps d'attente sera égal à la moitié du temps entre deux passages. Donc s'il y a un autobus passant à chaque 10 minutes, le temps d'attente moyen sera de 5 minutes. Ceci inclut l'attente à l'arrêt ou au domicile (si la ligne a un horaire précis).

Or, la fréquence de service d'une ligne de transport en commun varie principalement avec l'achalandage. Plus une ligne est achalandée, plus il est justifié d'offrir une fréquence élevée, réduisant de même le temps d'attente entre deux véhicules.

Par exemple, si une agence de transport en commun suppose offrir un autobus par 40 passagers, selon l'achalandage horaire, on peut dresser un graphique montrant la relation entre l'achalandage en passagers par heure et l'intervalle moyen entre chaque autobus:
Graphe entre l'achalandage en passagers par heure et l'intervalle entre les passages, supposant un autobus régulier


Donc, peut-on parler d'un "cercle vertueux"? Plus l'achalandage est élevé, plus la fréquence est élevée, donc plus le temps de parcours sera court?

Malheureusement, pas vraiment avec les autobus locaux typiques des transports en commun nord-américains.

Le problème vient du fait que ces autobus sont caractérisés par un nombre très grand d'arrêt, avec une distance de 200-250 mètres entre chacun. La distance entre les arrêts est un élément majeur déterminant la vitesse moyenne d'une ligne de transport en commun. En modélisant simplement cette dynamique et en supposant une accélération limitée à 1 mètre par seconde carré (soit une accélération confortable pour les passagers), on obtient les courbes suivantes (chaque courbe représentant une vitesse maximale différente du véhicule, la courbe vert marin est celle la plus appropriée pour les autobus en ville):
Courbe de la vitesse moyenne d'une ligne de transport en commun selon la distance moyenne entre arrêts
Mais bon, un autobus, malgré un nombre important d'arrêts rapprochés, peut avoir une vitesse décente, car il ne s'arrêtera pas à chaque arrêt, seulement à ceux où les gens veulent monter ou descendre. Ce qui veut dire que moins il y aura de personnes embarquant ou débarquant de l'autobus par kilomètre de parcours, le plus rapidement l'autobus ira.

Oups. Ce n'est plus un cercle vertueux ici! Plus l'achalandage augmente, plus la qualité du service diminue. Si je modélise le tout, ça donne ceci:
Vitesse en fonction du nombre d'embarquement par kilomètre
Le tout pose un problème pour les autobus:
  1. Plus l'achalandage est important, plus la fréquence est élevée, diminuant le temps d'attente
  2. Plus l'achalandage est important, plus la vitesse moyenne diminue, augmentant le temps de parcours
Les lignes d'autobus sont donc pris dans un gouffre de médiocrité, soit elles sont peu fréquentes mais avec une vitesse pouvant concurrencer les voitures, soit elles sont fréquentes mais sont significativement plus lentes que les voitures. C'est pourquoi les autobus circulant sur les rues aux côtés des voitures sont une forme de transport en commun qui ne peut jamais vraiment contester la domination de la voiture.

Ça souligne l'importance de créer des transports en commun rapide sur des voies réservées, comme des métros, des trains légers, des tramways ou des SRB, qui seuls peuvent concurrencer la voiture par la qualité du service offerte.

Mesure de mitigation

Ce problème peut être compensé par l'élimination d'arrêts. Si les arrêts sont plus espacés, on peut diminuer les impacts négatifs sur la vitesse d'une augmentation de la fréquentation:
Effet des espacements entre les arrêts sur la vitesse moyenne
Ainsi, en éliminant la moitié des arrêts, on peut épargner à un usager moyen faisant un trajet de 8 km, 5 minutes au temps du trajet. Ça monte à presque 7 minutes si on élimine 2 arrêts sur trois. Mais si la ligne n'est pas très achalandée, ça ne fait pas grande différence. Donc, ironiquement, ça veut dire que l'espacement entre arrêt dans les quartiers urbains denses où l'autobus est plus utilisé doit être plus grand que dans les quartiers de banlieue où peu de personnes prennent l'autobus.

vendredi 21 mars 2014

Le financement des routes et la déresponsabilisation des villes

Le projet qui tient le plus à coeur au maire de Québec, Régis Labeaume, et sur lequel il insiste le plus, c'est l'élargissement de l'autoroute Henri-IV, un projet d'une bagatelle somme de 400 millions de dollars. À Bois-des-Filions, on réclame le prolongement de l'autoroute 19, un autre projet de 400 millions. On réclame également l'élargissement de l'autoroute 30 entre la 20 et la 10.

Partout au Québec, les maires semblent tous réclamer des prolongements ou des élargissements autoroutiers, ou des travaux sur le réseau provincial pour soi-disant améliorer la circulation. Alors que toute la classe politique semble s'accorder sur le besoin de densification et de développer les transports en commun, c'est curieux de voir tous ces maires militer pour de plus en plus de routes...

Mais si on regarde la structure du financement routier au Québec, on comprend mieux la cause de tout ceci.

Le problème, c'est celui que les économistes qualifient de "free rider", du parasitage. L'idée de base est que quelqu'un tire les bénéfices d'un bien ou d'un service dont les coûts sont assumés par un tiers, il n'y a donc aucun incitatif pour celui qui tire les bénéfices de modérer sa consommation de ce bien.

Et justement, au niveau du système routier provincial, c'est exactement ça qui se produit.

Les villes n'assument aucun coût des routes provinciales, elles n'en font qu'en tirer des bénéfices, car les autoroutes attirent les promoteurs, et les développements créent des entrées fiscales pour les villes. C'est le gouvernement du Québec lui-même qui bâtit les routes, les entretient et les refait quand elles arrivent à la limite de leur vie utile. Conséquemment, les maires n'ont aucune raison de ne pas en réclamer: c'est un cadeau gratuit payé par le reste de la province. Ceux qui en bénéficient ne paient rien pour, ils sauvent même souvent de l'argent en fin de compte.

Le résultat, c'est que les municipalités au Québec traite les routes provinciales comme des égouts à voiture. Elles créent des quartiers entiers qui se jettent directement sur des routes provinciales et prennent soin de ne pas créer de chemin alternatif évident sur le réseau municipal. Le résultat de ça, c'est un réseau routier municipal canalisant toutes les rues locales sur un nombre très limité de routes, dont la capacité sera rapidement atteinte, entraînant des revendications pour l'amélioration de la capacité de cette route.

Ce n'est ni plus ni moins qu'une complète déresponsabilisation des villes vis-à-vis la circulation de ses résidents. La ville ne se préoccupe pas de cet enjeu, elle se contente de tout laisser aux pieds du MTQ.

Parce qu'une image vaut mille mots, voici un quartier de Québec typique:

Quartier de Québec, les rues locales jettent leur trafic sur le réseau provincial (en jaune et orangé)
Il n'existe aucun chemin municipal alternatif évident aux routes gérées par le MTQ. Ce n'est pas une coïncidence. On ne veut pas en construire, car si on en construit, on devra gérer la circulation et payer pour l'entretien de ce chemin alternatif. C'est tellement plus facile de tout laisser ça au MTQ. Même si la congestion est due aux déplacements internes, on utilisera l'argument des déplacements longue distance (notamment le camionnage) et le besoin de leur éviter de la congestion pour réclamer des améliorations. En gros, la ville prend la circulation de transit en otage pour avoir ce qu'elle veut, soit des artères routières aux frais du provincial.

Regardez ce que des villes font au contraire quand le gouvernement provincial ne leur offre pas de réseaux complets de routes provinciales. Voici Vancouver et Victoria:
Vancouver, réseau municipal en grille avec de nombreuses alternatives
Victoria, réseau municipal en grille, un peu moins ordonné que Vancouver mais avec autant d'alternatives
Sans routes provinciales majeures, les villes ont simplement assumé leur responsabilité dans la gestion de leurs déplacements internes. Les réseaux illustrés ci-dessus ont une excellente capacité routière, bien plus grande que le réseau de Québec... c'est simplement que la circulation est moins rapide, surtout à cause des nombreux feux de circulation.

L'est de Montréal est également similaire, la grille municipale est encore fonctionnelle et il y a peu de routes gérées par le provincial à l'endroit.

Le pire dans tout ça, c'est que le transport en commun ne bénéficie pas des mêmes largesses. En effet, le transport en commun est financé au Québec à 70-80% par la ville et les usagers. Le provincial fournit un peu de subventions pour l'opération du système, mais même quand il s'agit d'investissements, en général il ne finance que 50-75% des coûts, le reste devant être assumé par l'organisme de transport local, lui-même financé par les usagers et par la ville. Le transport en commun peut être une meilleure solution, plus efficace, aux problèmes de congestion des villes, mais comme les villes doivent en payer une partie, c'est beaucoup moins attrayant que de simplement demander des routes et autoroutes au MTQ. Et rappelons-nous, les usagers et la ville devront défrayer 70-80% des coûts d'opération.

Donc 0% des coûts de construction et 0% des coûts d'opération pour les routes et autoroutes... contre 25-50% des coûts de construction et 70-80% des coûts d'opération pour le transport en commun, quelle est la solution la plus attrayante pour les villes?

Ironiquement, beaucoup de ceux qui tendent à crier le plus fort pour des autoroutes tendent à être les mêmes qui disent que le gouvernement devrait être géré comme une entreprise... or quelle entreprise au monde accepterait de financer des routes à même ses revenus à la demande d'un tiers qui n'en paiera pas une cenne mais qui en obtiendra les bénéfices?

Posons-nous la question, si la ville de Québec ou Bois-des-Filion devaient assumer 50% des coûts des autoroutes qu'elles réclament, ainsi que 70-80% des coûts d'entretien... crieraient-elles toujours aussi fort pour les avoir? Poser la question, c'est y répondre.

Je crois que les tronçons des routes et autoroutes provinciales circulant en milieu urbain et étant utilisés principalement pour des déplacements internes devrait être financés partiellement (50% peut-être) par les villes. Ceci les forcera à accepter la responsabilité de gérer la circulation sur leur territoire plutôt que de la laisser entièrement au MTQ. De plus, cela mettra transports en commun et transport routier sur un pied d'égalité au niveau du traitement financier, éliminant un biais majeur en faveur du second.

jeudi 20 mars 2014

Gestion du stationnement

Le stationnement est un élément très important de l'urbanisme. Les déplacements en voiture ont absolument besoin de stationnement pour être possibles, mais la présence de stationnements en surface crée des villes avec une densité très faible, surtout dans les secteurs commerciaux et pour les bureaux, rendant les déplacements à pied et en vélo longs et très déplaisants, et compliquant les transports en commun.

Il est conséquemment presque impossible d'éviter la question du stationnement en urbanisme, la question est de savoir comment s'y prendre, et la solution à retenir. En général, il y a trois types d'approches: la gestion de l'offre, la gestion de la demande et la gestion par le marché.

Gestion de l'offre

La gestion de l'offre, c'est quand on met en place des lois ou des règlements d'urbanisme pour encadrer la quantité de stationnements que les constructeurs construisent quand ils construisent des bâtiments ou quand ils en changent l'usage. On peut noter certaines tendances:

1- Normes de stationnement minimum: le maximum possible est le minimum requis

La première approche est celle que nous retenons en général en Amérique du Nord, surtout dans les banlieues. Les règlements municipaux imposent la construction d'un nombre minimal de places de stationnement aux développeurs. Ce nombre est basé sur la quantité maximale de voitures stationnées que l'on peut prévoir, en supposant qu'essentiellement tous les déplacements se font en voiture et que le stationnement est gratuit. Bref, le minimum requis est la quantité maximale de stationnement qui pourrait potentiellement être utilisée dans l'heure la plus achalandée du jour le plus achalandé de l'année.

Cette approche crée une création d'un nombre totalement excessif de stationnements. Les stationnements commerciaux seront à plus de 50% vides toute l'année, avec un taux d'occupation de 80-85% peut-être une fois ou deux dans l'année. Le stationnements des bureaux seront suffisants pour que tous les employés puissent venir seul en voiture, si le bureau augmente de taille, le stationnement augmentera aussi.

La réflexion à la base de système est la suivante:
  1. Les stationnements sur rue devraient être possibles mais minimisés, car ils sont à la charge de la ville. Comme les stationnements sont requis par des usages (résidentiel, commercial, industriel, bureau, etc...) privés, ce sont les propriétaires des bâtiments attirant les voitures stationnées qui devraient payer pour ces stationnements.
  2. Si un propriétaire ne construit pas suffisamment de stationnement, alors il risque d'y avoir débordement de son stationnement privé dans la rue ou dans le stationnement privé d'à côté. Ceci est en effet un parasitage, car soit la ville, soit le propriétaire adjacent se retrouve à payer le stationnement requis par les usages du terrain de ce propriétaire.
  3. Afin que les développeurs paient le stationnement, et non les autorités publiques, chaque développeur devra construire un stationnement privé, et celui-ci devra être au moins assez grand pour éviter tout débordement.
Cette approche accorde en fait toute l'importance aux déplacements en voiture et aucune aux autres modes de déplacement. On ne considère ni les piétons, ni les cyclistes, ni les usagers du transport en commun. De plus, elle mène à des stationnements gratuits cachant le coût de ces stationnements aux automobilistes, et impose des coûts plus importants à tous les bâtiments, car le coût des stationnements devra être inclus dans tout projet de développement.

Pour la société, cette approche est très dispendieuse, mais les coûts sont répartis également partout, les gens ne le perçoivent donc pas. Cette approche évite les tensions au niveau des stationnements, au prix de l'imposition de coût de faire des affaires très élevés, ce qui peut heurter les PME. Cette approche requière également que de très grandes surfaces soient accaparées aux stationnements, étalant beaucoup les villes et nécessitant des routes à haute vitesse pour donner accès à de nouvelles terres à mesure qu'on s'étale.

2- Normes de stationnement maximum: limiter l'usage de la voiture en limitant le stationnement

Cette approche est rare mais existe dans certains endroits quand les autorités veulent avantager les déplacements non motorisés ou en transport en commun. C'est le cas notamment des environs des arrêts de la voie réservée aux autobus d'Ottawa ainsi que de son centre-ville. L'idée est que, comme il est facile de se rendre à l'endroit en différents moyens de transport, il n'est pas nécessaire de construire un très grand nombre de stationnements.

La réflexion à la base de ces pratiques est la suivante:
  1. Les larges stationnements gratuits incitent les gens à prendre leur voiture, congestionnant nos routes déjà à capacité, de plus, ils réduisent le nombre de bureaux, de commerces ou de résidences pouvant être construits à proximité de nos infrastructures en transport en commun.
  2. Nous avons déjà des alternatives à la voiture à ces endroits qui sont tout à fait viables. Donc le problème de débordement se pose peu ou pas, car les gens vont "déborder" dans le transport en commun plutôt que sur la rue ou dans d'autres stationnements.
  3. Limiter le nombre de places de stationnement ne causera donc pas de problème majeur et permettra d'optimiser les investissements en transport en commun.
Cette pratique atteint en général ses objectifs. Ainsi, à Ottawa, où le nombre de stationnement a été limité, la part modale du transport en commun atteignait plus de 20% avant même que le SRB fut construit, car les gens travaillant au centre-ville n'avaient que peu de stationnement et devaient donc trouver des manières alternatives pour venir travailler.

Le problème majeur de cette approche est qu'il faut des moyens de transport alternatifs viables. Si les stationnements sont  limités dans un coin avec peu ou pas de service en transport en commun et avec une séparation des usages qui rend les déplacements à pied impraticables, alors on ne fait que nuire aux déplacements et à la vitalité des lieux. De plus, les gens peuvent très mal prendre ce genre de politique, sentant qu'on tente de les forcer à se débarrasser de leurs voitures... ce qui est quand même un petit peu vrai.

3- Gestion directe publique ou privée de l'offre de stationnement

Dans cette approche, on se débarrasse des stationnements privés, devant chaque bâtiment. Plutôt, un organisme public ou privé (tel que la chambre de commerce) sera responsable d'acquérir des terrains et d'y construire des stationnements publics que tous pourront utiliser. Des stationnements gratuits ou payants, mais dans les faits, ils seront généralement payants pour financer l'organisme. Ceci peut inclure les stationnements sur rue.

Contrairement aux deux approches précédentes, celle-ci repose sur l'intervention plutôt que le simple cadre réglementaire. Ainsi, elle est flexible, s'il manque fréquemment de stationnements, d'autres stationnements peuvent être construits. Si les stationnements sont sous-utilisés, ils peuvent être partiellement éliminés pour récupérer l'espace à d'autres fins. La flexibilité et la propriété publique des stationnements permet de pratiquer différentes politiques, que ce soit dans le but d'encourager ou de décourager l'usage de l'automobile.

Cette manière de faire élimine le problème de contentieux entre différents propriétaires au sujet des coûts de stationnement. Toutefois, ça ouvre la porte à des contentieux entre les commerçants ou résidents à certains endroits et l'organisme qui est en charge du stationnement. Les gens peuvent faire des pressions pour avoir plus de stationnement ou pour varier les conditions de stationnement. Il faut des dirigeants aux nerfs d'acier pour faire face à ces pressions sans céder.

En général, cette approche est utilisée en ville, dans des anciens quartiers où les bâtiments sont vieux et donc profitent d'un droit acquis les dispensant de fournir un nombre limité de stationnements. Alors la municipalité essaie d'organiser l'offre de stationnement pour répondre aux besoins du quartier.


Gestion de la demande

La gestion de la demande prend le problème de l'autre côté. Au lieu de tenter de gérer la quantité de stationnements disponibles, on tente de gérer le nombre de personnes utilisant ces stationnements et de réduire la demande pour la faire correspondre à l'offre.

Les permis de stationnement limités aux places disponibles


L'idée derrière les permis de stationnement est de ne permettre que les détenteurs de permis de stationner. Ces permis sont limités au nombre de places disponibles, alors le stationnement ne débordera jamais. Par contre, si cette approche est limitée à quelques stationnements seulement et que d'autres places de stationnement sont disponibles à proximité qui ne sont pas soumis à cette règle, alors les gens sans permis peuvent se tourner vers ces stationnements.

De par sa nature, les permis sont limités aux stationnement de relativement longue durée et non aux stationnements commerciaux avec un fort taux de roulement. Donc les stationnements des lieux de travail et les stationnement résidentiels sont adaptés à cette méthode de gestion de la demande, car les gens y laissent leur voiture stationnée pendant de longues heures, soit toute la journée, soit toute la nuit.

Le concept de permis de stationnement limités peut être utilisé dans le cadre de réduction du nombre de stationnement minimum requis si c'est l'approche principale retenue. Ainsi, un développeur qui ne veut pas construire le nombre requis de stationnement pourrait avoir à limiter les permis de stationnement aux employés travaillant à l'endroit, incitant donc ceux sans permis à trouver des moyens alternatifs de venir au travail. Il faut alors faire attention à ceux sans permis cherchant à utiliser d'autres stationnements pour compenser.

Les permis sont généralement payants à prix fixe, ils peuvent être donnés selon le principe "premier arrivé, premier servi". Si les permis sont mis à l'enchère, alors on empiète sur l'approche suivante...

La tarification

La tarification utilise un principe simple: plus un bien coût cher, moins le nombre de personnes voulant en consommer est grand. Le prix élevé décourage donc une partie des consommateurs. La tarification des stationnements peut donc être utilisée pour diminuer le nombre de personnes venant se stationner, ou diminuer la durée de leur stationnement. C'est la tactique utilisée par les parcomètres dans les centre-villes, les tarifs de ceux-ci sont modulés afin de toujours assurer que 10-15% des stationnements seront inoccupés. Le but n'est pas seulement de convaincre les gens de venir avec différents moyens de transport, mais de convaincre ceux qui viennent en voiture de faire leurs achats le plus rapidement possible.

Les permis de stationnement peuvent être une approche par tarification si leur nombre est théoriquement illimité et que le prix est modulé afin de garder le nombre de permis inférieur au nombre de places, ou si les permis sont mis aux enchères.

Un avantage de la tarification est que le prix des stationnements, souvent dissimulé, donnant l'impression aux automobilistes que le stationnement est un droit naturel, devient évident aux automobilistes. Ainsi, on coupe la subvention stationnement, partiellement ou entièrement, aux déplacements en voiture. C'est un peu de l'utilisateur-payeur (je dis un peu car la tarification permettant d'éviter les débordements ne correspond pas nécessairement au prix pour construire et entretenir ces places).


La gestion par le marché

La gestion par le marché est une approche différente, qui vise à laisser la décision de construire ou d'acheter des stationnements principalement aux individus plutôt que d'influencer leurs décisions.

La solution japonaise pour le stationnement résidentiel

J'en ai déjà parlé. Les Japonais requièrent que les gens voulant acheter une voiture prouvent d'abord qu'ils aient un endroit hors rue où ils peuvent stationner leur véhicule près de leur domicile. Ceci n'est pas une solution de "laissez-faire" car la preuve de stationnement est une condition bureaucratique, mais en même temps, le processus de fonctionnement est le marché. Cela force les gens à trouver des places de stationnement à louer s'ils n'en ont pas sur leur terrain. Le résultat est la création d'un marché, certaines personnes dépourvues de places voulant en louer, d'autres ayant des places ou en construisant pour les louer à d'autres. Le prix payé par les locataires dépend du prix coûtant des stationnements pour les propriétaires. À noter que si des normes de stationnement minimum existent, le prix de ces places pourrait être inférieure au prix coûtant.

La règle ne s'applique qu'au stationnement résidentiel par contre, et ne peut être appliquée aux autres usages. Mais elle est utile pour gérer le stock de stationnement résidentiel qui sera construit.

Le laissez-faire

Le laissez-faire est assez simple: on n'impose aucune norme de stationnement ou des normes très faibles, laissant chaque développeurs décider de son propre gré combien de stationnement offrir, s'ils en offrent. Le nombre de stationnement offert relève alors d'un calcul économique, les développeurs ne construiront qu'un nombre de stationnement qu'ils peuvent justifier économiquement.

Par exemple, pour les locaux commerciaux, si l'usage de la voiture est significative, il est dans l'intérêt du commerçant d'offrir des places de stationnement gratuit pour attirer des clients. Toutefois, vu que chaque place de stationnement a des coûts, la quantité construite dépendra du coût de construction et d'entretien des places de stationnement et du profit lié à chaque place de stationnement. A mesure que le nombre de places construites augmente, le taux d'occupation des places de stationnement diminue, à un certain taux, ça ne vaut plus la peine d'en construire, le stationnement coûtera plus cher qu'il rapporte en revenus. Ce taux de stationnement sera bien inférieur au minimum requis habituels, inférieur de 50 à 75%. Dans ce calcul, que quelqu'un ne trouve pas de stationnement n'est pas un drame, tant que ça ne se produit pas trop fréquemment.

De même, s'il manque de stationnement, alors certains pourraient acheter des terrains pour en faire des stationnements payants. Si les gens sont prêts à payer suffisamment pour financer le stationnement et faire un profit. Ce serait de l'utilisateur-payeur dans ce cas-ci.

En général, le laissez-faire va résulter en un nombre très faible de stationnements en ville, mais plus en banlieue où les terrains sont abordables et donc où ça coûte moins cher construire de grands stationnements. Il faut faire attention par contre aux stationnements sur rue. Si ceux-ci sont possibles et gratuits, on crée une distorsion dans le marché et on incite les gens à se stationner sur la rue, quitte à tourner autour 5-10 minutes pour trouver un stationnement sur rue plutôt que de payer un stationnement payant.

L'approche du laissez-faire doit donc être associée à une gestion serrée des stationnements sur rue, soit en les interdisant en général, soit en les limitant, soit en les rendant payants.

Conclusion

Ce n'est qu'un survol des différentes méthodes de gestion des stationnements que je connais. D'autres peuvent exister que j'ignore. Personnellement, je crois qu'une tarification serait préférable, car si les stationnements sont gratuits, on finit par subventionner les déplacements en voiture en passant sournoisement les coûts des stationnements à la population au complet.

lundi 17 mars 2014

Le prix des maisons à Vancouver et Toronto... la faute au zonage?

Les prix faramineux des maisons à Vancouver et à Toronto font parfois les manchettes, surtout au Canada anglais. C'est rendu que de simples maison relativement étroites valent jusqu'à 600 000 ou 800 000$. Quelle en est la cause?

Tout d'abord, il faut comprendre qu'il y a deux aspects du prix des logements, qui sont interreliés. Le premier, c'est le coût de construction, qui comprend deux choses:
  • Le coût d'acquisition d'un terrain (incluant le bâtiment à remplacer au cas échéant)
  • Le coût de construction
Le second prix, c'est-à-dire le prix auquel les bâtiments peuvent trouver preneurs sur le marché. L'offre et la demande, si plus de gens veulent d'une certaine demeure qu'il n'y a, les prix tendent à monter.

Par contre, si le coût de construction d'une maison ou d'un logement est inférieur au prix sur le marché, alors des maisons ou logements seront construits. Si quelqu'un vend sa maison 500 000$, mais que le terrain adjacent est vide et qu'on peut y construire un maison pour 300 000$, on construira une nouvelle maison plutôt que d'acheter l'ancienne. Afin de vendre sa maison, le propriétaire devra baisser son prix pour être environ le même ou moins haut que le prix de construction d'une nouvelle maison similaire.

Le problème, c'est que des terrains, on peut venir à en manquer. Les gens voulant habiter dans une ville ne toléreront pas d'habiter à 1 heure de route de leur lieu de travail et des commerces, ils voudront habiter relativement près. S'il n'y a plus de terrains à développer.... alors on est dans le trouble.

C'est justement là où Toronto et Vancouver sont. Le problème est premièrement géographique:
Toronto

Vancouver
En général, les gens veulent habiter proche du centre-ville, or les centres-villes de Toronto et de Vancouver sont situés de sorte à empêcher les développements dans toutes les directions.

Toronto est sur le bord d'un Grand Lac, ce qui veut dire que son développement ne peut que ce faire dans un arc de 180 degrés. L'est et le sud sont constitués d'eau, ce qui diminue les développements possibles par 50% à l'opposé d'une ville en plein champ.

Vancouver semble un peu moins pire au premier regard, mais il y a l'océan pas loin a l'ouest, qui limite la croissance de la ville dans ce sens, et les montagnes au nord qui empêchent les développements dans cette direction. La ville de Vancouver ne peut s'étendre qu'au sud et à l'est.

Pas seulement la superficie, mais également la densité

Il y a une manière de compenser le manque de terrains, c'est en augmenter la densité. Plus on construit d'unités de logement par hectare, moins on a besoin d'hectare pour loger le même nombre de personnes. Si on construit dense dès le départ, on atteint les limites géographiques moins rapidement. Mais même si on a atteint les limites, la densité peut servir à "créer" du terrain. En remplaçant une maison par deux maisons plus petites, ou par un duplexe (un logement par-dessus l'autre, chacun avec sa porte sur l'extérieur), on peut diminuer le coût de chaque logement et augmenter le nombre de logement sans consommer de terrains supplémentaires.

Mais voilà, ce qui choque avec le développement de Toronto et de Vancouver pour un habitué de Montréal, c'est le manque de développements de densité moyenne. Il y a des blocs appartements et des tours à condos gigantesques... puis des maisons unifamiliales. Celles-ci ont au moins une densité plus grande que nos bungalows typiques, mais ça varie entre 20 et 30 logements par hectare.

Centre-ville de Toronto, gratte-ciels au centre, maisons unifamiliales à gauche et à droite
Détails des maisons unifamiliales de Toronto, 25-30 unités par hectare

Centre-ville de Vancouver, plein de tours à condos très hautes

Maisons unifamiliales typiques de Vancouver à un peu plus d'un kilomètre du centre-ville, 20-25 unités par hectare
Ni Toronto, ni Vancouver ne possède les quartiers de multiplexes collés l'un à l'autre qui caractérisent Montréal et, dans une moindre mesure, Québec.
Quartier de multiples de Montréal, conçus avant la voiture, 60 à 120 logements par hectare

Quartier de multiplexes de Montréal, conçus après la voiture, 30 à 50 unités par hectare

De visu, on peut définir les villes selon des zones de très haute densité, caractérisées par des tours d'habitation (en rouge), des zones de densité moyenne, caractérisées par des multiplexes avec 40 à 120 unités par hectare (en orange), et des zones de faible densité, caractérisées par des unifamiliales avec 15 à 30 unités par hectare (en vert). À noter que ce n'est qu'une approximation visuelle, il y a des tours à appartements éparpillés dans les zones vertes.

Zones de densité de Toronto
Zones de densité de Vancouver

Zones de densité de Montréal
Montréal est la seule des trois villes avec des zones de densité moyenne avec des logements superposés l'un sur l'autre dans des bâtiments de 2 ou 3 étages.

La domination de zones de basse densité à Toronto et Vancouver veut dire que les limites ont été rapidement atteintes au niveau de l'étalement des villes. La densité est dorénavant la seule manière pour eux d'augmenter le nombre de logements dans les limites des villes. Comme je l'ai déjà dit, les usages multifamiliaux génèrent plus de revenus que les usages unifamiliaux, donc il devrait être possible de remplacer des maisons unifamiliales par des duplexes ou triplexes un à un. Ils pourraient acheter une maison unifamiliale, la démolir et construire un triplexe sur la même empreinte au sol. Si la maison valait 800 000$, chacun des logements, de taille correcte quand même, pourrait se vendre 500 000$. Ça soulagerait la pression sur les logements. Malheureusement, ce n'est pas actuellement possible...

Gare au zonage


Le zonage euclidien dont j'ai déjà parlé refait surface. La majorité des zones unifamiliales de Toronto et de Vancouver ne permettent QUE de l'unifamilial. Donc la transformation de maisons unifamiliales en maisons attachées, en multiplexes ou en plusieurs maisons plus petites (rendue possible par les allées arrières dans toute la ville), est largement illégale. Chaque projet doit se battre contre des pas dans ma cour, ce qui veut dire des délais incroyables et des frais importants pour convaincre le conseil de ville et le milieu de cesser de s'opposer et d'accorder des dérogations.

Inutile de le dire (mais je le dis quand même), ça veut dire que de la densification maison par maison ne vaut pas la peine. Seuls les projets d'envergure valent la peine que les promoteurs se battent pour, et là on parle de tours à condos très hautes. Sauf que les gens qui recherchent des maisons unifamiliales, s'ils pourraient être attirés par des maisons en rangée ou à la limite des duplexes ou triplexes, ne voudront rien savoir d'habiter au trentième étage d'une tour à condo. Qui achète ces condos? Surtout des célibataires professionnels, des couples retraités ou des investisseurs étrangers.

Les autorités de Vancouver ont introduit récemment le concept de "laneway house", permettant la construction de petites maisons donnant sur la ruelle, car la majorité des maisons de Vancouver ont des ruelles. Plusieurs centaines de ces "maisons de ruelles" ont été construites, mais c'est une goutte d'eau dans l'océan, et chaque projet cause des tensions dans le voisinage.

Ce dont Toronto et Vancouver ont besoin, c'est de relaxation des zonages.
  1. Éliminer la distinction entre unifamiliale et multifamiliale, le résidentiel, c'est du résidentiel, point à la ligne.
  2. Remplacer des critères absurdes de dimensions à respecter par des limites sur les surfaces de plancher au sol, pour éviter d'avoir des tours de 10 étages et plus poussant au milieu de quartier à 1 ou 2 étages.
  3. Idéalement, appliquer un zonage dynamique, plus la superficie de planchers des terrains est grande, plus on permet une grande superficie de plancher pour les nouvelles constructions (par exemple: limite de superficie de plancher égal à la superficie de plancher moyenne des terrains sur la rue plus 50%). Donc plus un quartier se densifie, plus on peut construire dense. Ça éviterait de se battre à chaque fois pour des changements de zonage.
  4. Permettre de scinder ou de fusionner les terrains si les propriétaires le désirent.
À défaut de cela, les prix des logements risquent de toujours être excessivement élevés à Toronto et à Vancouver.

samedi 15 mars 2014

Le prix du stationnement

Un des éléments qui n'est souvent pas pris en compte dans le coût des déplacements automobiles est le stationnement, généralement parce qu'au Québec, comme dans la majorité de l'Amérique du Nord, la grande majorité des stationnements sont gratuits. Les endroits qui imposent des frais de stationnement sont très minoritaires, largement concentrés à certains centres-villes. Nous avons une grande abondance de stationnements en général, et des stationnements gratuits.

Pourtant, les stationnements ne sont pas gratuits, à un certain niveau, quelqu'un doit bien payer pour le terrain et pour les construire. C'est certain qu'ils ont une certaine utilité en facilitant les gens venant magasiner ou travailler à certains endroits. Est-ce que les stationnements sont construits par rationalisme des constructeurs immobiliers?

Et bien non. La réalité est que le Québec, comme le reste de l'Amérique du Nord, a adopté une gestion de l'offre de stationnement qui assure un stationnement abondant, et souvent gratuit. C'est le modèle du stationnement minimum.

Stationnement minimum: surabondance assurée, subvention sournoise


Pratiquement toutes les villes du Québec ont adopté des normes par rapport au nombre de stationnements que tout promoteur doit construire, que ce soit pour du résidentiel, du commercial ou de l'industriel. Ainsi, dans la majorité des villes, il y a des normes du genre: "toute maison unifamiliale doit avoir un minimum de 2 places de stationnement hors-rue", "tout immeuble résidentiel doit offrir 1,5 places de stationnement hors-rue par unité de logement", "toute épicerie doit offrir une place de stationnement par XXXX pieds carrés de surface", etc, etc, etc...

Le but de ces normes est théoriquement d'offrir suffisamment de stationnement pour les résidents, les clients ou les employés de chaque endroit, afin d'éviter les débordements. C'est-à-dire le stationnement sur rue ou dans les stationnements adjacents.

Bon, ça peut faire du sens à première vue... le problème, ce sont les suppositions à la base de la méthode ainsi que les conséquences de celle-ci.

La supposition la plus néfaste est celle que tous les déplacements se feront en voiture, ce qui est ce que les anglais appellent une "self-fulfilling prophecy", une prophétie qui se réalise par elle-même. En effet, en supposant que tous les déplacements se font en voiture, on impose une si grande quantité de stationnement qu'on rend tous les modes de déplacement autres que la voiture inadaptés, forçant les gens à venir en voiture et à utiliser le stationnement. Or, s'il avait été plus facile de se déplacer autrement, aurait-on besoin d'autant de stationnement?

Les stationnements prennent beaucoup de place, réduisant la densité effective significativement, augmentant les distances à parcourir de beaucoup entre les bâtiments et créant un environnement hostile à la marche et à la bicyclette. La faible densité nuit aussi aux transports en commun, qui doivent multiplier les arrêts en en mettant pratiquement un devant chaque bâtiment sur les artères commerciales, ce qui crée un problème avec le paradoxe du service des autobus (un autobus peut être peu utilisé, infréquent mais rapide, ou fortement utilisé, donc fréquent, et lent, mais il ne peut être fréquent et rapide), limitant le nombre de personnes pouvant venir en transport en commun.

Cette norme a pour conséquence d'incorporer dans le coût des bâtiments le coût du stationnement. Ce coût peut être significatif, en ville, un stationnement souterrain dans un garage peut ajouter 30 000 à 50 000$ au coût d'une résidence. En banlieue, les terrains sont abordables, donc on peut se contenter de places hors terre... qui coûteront environ 4 000$- 5 000$ par place en moyenne (chaque place prend environ 20 mètres carrés, le terrain en banlieue coûte environ 100$ par mètre carré et on peut rajouter 100$-150$ pour aménager et paver le stationnement). Quand on pense aux stationnements commerciaux, le coût peut être très important. Si on impose 100 places de stationnement, ça représente un coût de 500 000$ imposé au constructeur, sans parler de l'entretien annuel de ce stationnement ainsi que le drainage ou les réparations.

Si le stationnement est offert gratuitement, tous les clients sont forcés de payer un supplément, sans le savoir, pour payer le stationnement. Ou, pour un bureau, le coût du stationnement est inclus dans le loyer des entreprises louant l'espace, et diminuent les revenus qui pourraient autrement être utilisés pour payer les employés ou pour investir dans l'entreprise.

Petite leçon d'économie: pourquoi la surabondance de stationnement entraîne des stationnements gratuits

Dans une économie de marché, le fonctionnement de base au niveau du prix est la conciliation entre l'offre et la demande. Plus le prix d'un bien est élevé, moins les gens en achèteront, mais plus les fournisseurs de bien seront prêts à en fabriquer. Bref, on symbolise le tout souvent avec deux courbes, une de l'offre (la quantité de biens offerts sur le marché) et une de la demande (la quantité de biens que les consommateurs achètent).
Courbe typique, offre et demande
Ce que l'exemple veut dire, c'est qu'au prix unitaire P, la quantité consommée d'un bien égalera la quantité produite, il s'agit de la quantité Q. Si le prix est inférieur, il y a pénurie, on produit trop peu de biens pour la consommation désirée des gens, certains qui voudraient en acheter n'en auront pas. Si le prix est supérieur, on est en surplus, on produit plus d'unités que les gens ne veulent acheter au prix actuel, il faudra une baisse des prix pour écouler les stocks.

Ceci s'applique également aux stationnements, la quantité étant le nombre de stationnements construits ou occupés. Plus on charge cher le stationnement, moins de gens en utiliseront: soit ils viendront moins souvent, soit ils resteront moins longtemps (pour payer moins cher) soit ils viendront différemment (à pied, en vélo, en transport en commun). Mais plus le prix des stationnement est élevé, plus les développeurs auront tendance à en construire, car les stationnements paieront une partie, voir la totalité de leurs coûts... ils seront même peut-être une source de revenus.

Imaginons que les stationnements soient gratuits, qu'est-ce qui arrive? Le prix est donc à 0, comme les stationnements permettent d'attirer des clients, un certain nombre de stationnements sera offert, mais comme les stationnements représentent une dépense et n'offre pas de revenus, le nombre construit sera limité. Par contre, comme les stationnements sont gratuits, un grand nombre de gens viendront en voiture, car on leur simplifie beaucoup la vie. Donc on construit peu de stationnements et beaucoup veulent en utiliser... on a une pénurie. Dans les moments chargés, le nombre de personnes venant en voiture sera supérieur au nombre de stationnements, plusieurs ne pourront pas stationner.

Stationnement gratuit: situation de pénurie
La quantité demandée maximale sera Q, la quantité offerte (construite) sera q. La différence entre les deux (Q-q) représente une pénurie et risque d'occasionner un débordement du stationnement dans la rue ou dans d'autres stationnements.

Justement, c'est en observant de telles situations où le stationnement était gratuit que les normes de stationnement minimum ont été conçues. Ils prenaient des cas où tous les déplacements étaient en voiture (exemple: des commerces sur le bord de l'autoroute) avec du stationnement gratuit, puis ils envoyaient du monde compter le nombre de voitures arrivant sur le site durant la pire journée de l'année au niveau de l'achalandage. En gros, ils ont calculé la quantité Q, la demande quand le prix est zéro.

Ils ont pris cette quantité et ils l'ont transformé en quantité minimale imposée aux développeurs construisant des commerces ou des bureaux. Bref, ils ont utilisé la loi pour imposer un changement dans la courbe de l'offre. Quel que soit le prix du stationnement, l'offre de stationnement (la quantité construite) doit être égale ou supérieure à Q, la quantité de stationnements utilisée si le prix est nul. Ça donne ça:
Effet de normes de stationnement minimum
En imposant une offre minimale de stationnement si élevée qu'elle surpasse la quantité maximale de stationnements utilisée en tout temps, on crée une situation où le prix "d'équilibre" est effectivement zéro. Principalement car le gouvernement impose de construire un nombre excessif de stationnements, le coût est donc incorporé dans le coût de construction. Que le stationnement soit peu utilisé ou très utilisé, les coûts sont les mêmes. On n'a pas besoin d'imposer que les stationnements soient gratuits, en s'assurant que l'offre de stationnement sera toujours très abondante, on fait en sorte que, par les lois économiques, les stationnements seront gratuits.

Le stationnement gratuit: un incitatif majeur pour la voiture


J'ai déjà dit qu'un des facteurs majeurs déterminant le choix d'un mode de transport est la vitesse. Un autre facteur très important est le prix. Or, il faut comprendre la psychologie humaine: un prix marginal a beaucoup plus d'effet qu'un prix fixe. Par exemple, une passe de transport en commun coûtant 80$ par mois incitera les gens à faire plus de déplacements que des billets à 2$ l'unité, car chaque fois que l'on prend les transports, on doit payer. Avec une passe, le coût marginal (coût d'un déplacement additionnel) est nul, tu as ta passe, tu peux l'utiliser comme il te plaît.

Pour la voiture, c'est la même chose... mais de tous les coûts d'une voiture, la très grande majorité est fixe. Le coût de la voiture est fixe, l'immatriculation, les droits de permis, les assurance, l'entretien (plus ou moins)... pratiquement le seul coût marginal est l'essence, et même là, c'est un prix qui n'est pas évident, notre voiture ne nous dit pas combien chaque voyage a coûté, on fait le plein une fois par semaine ou au besoin.

Le coût de stationnement est donc un incitatif majeur à favoriser d'autres modes de transport, car c'est un coût marginal, surtout s'il s'agit d'un coût à la journée. Le simple fait de mettre un coût de stationnement de 2 ou 3$ la journée dans un lieu de travail peut entraîner de 10 à 30% des employés à trouver un moyen alternatif pour venir au travail.


Conclusion

Il n'est pas juste et une très mauvaise idée d'imposer une surabondance de stationnement et de faire passer ces coûts sournoisement dans le prix de tout. Non seulement on gaspille une quantité effarante de terrains et qu'on impose pratiquement la voiture pour se déplacer, mais il y a aussi une question de justice. Pourquoi tous devraient payer pour ceux qui utilisent du stationnement, qu'ils l'utilisent ou non? C'est une subvention à l'usage de l'automobile, cette manière de faire n'est juste que si 100% des gens viennent en voiture et utilisent le stationnement.

La Californie a d'ailleurs passé une loi obligeant les employeurs à donner un bonus à tous leurs employés s'engageant à ne pas utiliser de stationnement au travail correspondant au coût du stationnement par employé, cette simple loi a entraîné une diminution des gens venant en voiture seule au travail allant de 13% en moyenne, allant jusqu'à 25% dans des endroits bien desservis en transport en commun.

Ce qui est surtout important ici, c'est de diminuer les normes de stationnement minimum, laissons les constructeurs choisir de construire le nombre de stationnements qu'ils jugent approprié. Quant au problème de débordement, je crois que ce n'est pas au gouvernement de s'en charger. Le gouvernement doit se contenter d'appliquer des règles comme l'interdiction de stationner sur les trottoirs ou en double, ou les zones de stationnement interdites. S'il y a des problèmes de débordement entre des commerces, qu'ils s'arrangent entre eux. Assurer un endroit pour garer une voiture ne devrait pas être une mission prioritaire des gouvernements, ni même une de ses missions.

Alternativement, une approche différente pourrait être la collectivisation des stationnements. Au lieu d'imposer la construction de stationnements privés devant chaque commerce, les gouvernements municipaux pourraient charger une taxe sur chaque nouveau bâtiment équivalent au coût de construire un certain nombre de stationnements, et c'est le gouvernement qui assumerait le coût et la gestion des stationnements. La différence serait que ces stationnements seraient publics et partagés, plutôt que privés et exclusifs à chaque commerce. Ceci permettrait de diminuer le nombre de stationnements nécessaires et de régler le problème de débordement. Cela faciliterait la mise en place de tarification sur les stationnements si c'est ce que ça prend pour éviter la pénurie.

mardi 11 mars 2014

Zonage japonais

Tout d'abord, je ne suis pas un expert de l'urbanisme japonais, ce que j'en sais tient d'un document explicatif publié en anglais par le ministère du sol et des transports japonais, que vous pouvez trouver à l'adresse suivante:

Je vais souligner les éléments spécifiques au zonage japonais que je trouve particulièrement intéressant.

1- Le zonage relève d'une loi nationale

C'est la caractéristique la plus surprenante du zonage japonais. En Amérique du Nord, les municipalités sont rois et maîtres du zonage, elles le conçoivent et l'appliquent, ce qui ne semble pas très sage considérant que beaucoup de municipalités n'ont simplement pas l'expertise de faire une planification urbaine très poussée, qui est requise pour une application décente du zonage euclidien. Au Japon, la loi régissant le zonage est conçue par le gouvernement national, qui est capable de mobiliser l'expertise nécessaire pour concevoir une loi qui fait du sens.

Par contre, si la loi encadrant le zonage est définie par le gouvernement national, son application est laissée aux municipalités. Les villes ont donc un certain pouvoir, mais elles sont limitées par la loi nationale, ce qui me semble un très bon compromis, même si ça élimine des possibilités d'expérimentation en terme de zonage, car les villes ne peuvent pas essayer d'autres formes de zonage.

2- Il n'y a que 12 zones différentes

Dans le zonage nord-américain, il y a souvent des centaines de zones différentes avec des caractéristiques différentes. Dans le zonage japonais, les villes ne peuvent définir que 12 zones différentes, allant d'une zone résidentielle à bas étage jusqu'à zone exclusivement industrielle. Il y a des variations sur ces zones, notamment le rapport maximal entre le bâtiment et le terrain et le rapport de plancher par rapport au sol. Ces caractéristiques sont importantes pour définir la densité des zones. Le premier est le rapport entre la superficie du terrain occupée par le bâtiment et la superficie totale du terrain. Le second est le rapport entre la somme des superficies de chacun des étages sur la superficie totale du terrain. Toutefois, les municipalités ne peuvent pas choisir n'importe quelle valeur arbitraire, elles n'ont que certains choix.

Par exemple, pour la zone résidentielle de bas étage I, les villes ne peuvent choisir qu'un rapport entre la superficie du bâtiment et celle du terrain de 30, 40, 50 ou 60%. Le plus faible rapport entre la superficie totale des étages et la superficie du terrain disponible est de 50%. En comparaison, dans la norme de Saint-Jean-sur-Richelieu que j'ai mentionnée, en suivant les règles des marges latérales, avant et arrière, et en tenant compte d'un terrain avec la superficie minimale, ce rapport entre la somme des superficies de plancher et du terrain n'est que de 33% maximum, et fréquemment 20-25% dans nos banlieues.
Les 12 zones japonaises

3- Les zones restreignent les usages, mais sont plus flexibles, elles imposent un usage "maximal" plutôt qu'un usage exclusif

Dans le zonage nord-américain, les zones définissent clairement quels usages sont permis. Chaque zone typiquement ne tolère qu'un usage, ou deux à la limite. Par exemple, une zone résidentielle unifamiliale ne tolère que des maisons unifamiliales, une zone multifamiliale ne tolère que de du multifamilial, les maisons unifamiliales y sont interdites. Dans une zone commerciale, seuls les commerces sont tolérés, le résidentiel est proscrit, etc...

Si on voulait donner une idée de ce que ça aurait l'air sous forme de grille, ça donnerait ça:
Exemple théorique du zonage nord-américain
Les colonnes représentent les zones différentes, les lignes représentent les usages. Lorsque la case est rouge, ça veut dire que l'usage en question est interdit dans la zone, lorsqu'elle est verte, ça veut dire que l'usage est permis. Notez que j'ai mis les usages en ordre de nuisance. Le concept de nuisance est associé intrinsèquement au zonage. La nuisance inclut une activité et une circulation accrue, des bruits, de la pollution, etc... Ainsi, une école est considérée comme ayant un degré plus élevé de "nuisance" que le résidentiel car beaucoup de personnes et d'enfants passent la journée là, ce qui amène du bruit et une circulation accrue, mais un degré moins élevé que les commerces.

L'approche japonaise au niveau du zonage, c'est plutôt ça:
Exemple théorique du zonage japonais
La différence saute aux yeux, il y a beaucoup plus de vert. La raison est que le zonage japonais considère les limites sur l'usage plus comme un degré maximal de nuisance permis plutôt qu'un usage exclusif permis. Ainsi, les bâtiments considérés comme étant de faible nuisance sont permis dans presque toutes les zones. Ce qui veut dire que les zones japonaises permettent des usages mixtes à différents degrés, ce qui n'est pas vrai du zonage nord-américain. Bon, les zones nord-américaines peuvent permettre la mixité des usages, mais ce n'est pas la règle, plutôt l'exception.

En pratique, le zonage nord-américain, par sa restriction très serrée des usages, crée un besoin pressant de beaucoup d'expertise de la part du service d'urbanisme qui doit planifier le zonage jusque dans les moins détails afin d'avoir une ville qui a de l'allure, devant s'assurer de permettre les bons usages aux bons endroits et découpant la ville en des milliers de zones différentes de petite taille... Or, comme ces services sont souvent popoches, ça fait des villes poches où on exclut plein d'usages à proximité des quartiers résidentiels, usages qui sont bâtis seulement en périphérie de la ville, et nécessitant donc des déplacements de longue distance pour les résidents, imposant pratiquement l'usage de la voiture. Au contraire, le zonage japonais permet plus de latitude dans chaque zone, il est donc possible de définir de larges zones et de laisser les gens s'organiser par la suite. Même s'il n'y a pas assez de zones résidentielles, comme le résidentiel peut être construit essentiellement partout, ce n'est pas un problème.

On pourrait dire que le zonage nord-américain est exclusif alors que le zonage japonais est plus inclusif.

En passant, voici le tableau réel des normes japonaises. Comme je l'ai dit, quand un usage devient permis dans une zone (la case est jaune), il reste permis dans toutes les zones plus élevées (les cases à droite restent jaunes). La seule exception à la règle, c'est la zone exclusivement industrielle, qui ne permet, comme son nom l'indique, uniquement les usages industriels lourds.
Usages permis dans chaque zone japonaise
4- Le zonage japonais ne différencie pas les types d'usage résidentiel

Comme je l'avais dit dans l'article précédent, au Japon, le résidentiel, c'est du résidentiel. Contrairement au zonage nord-américain qui considère des maisons unifamiliales isolées comme un usage différent des maisons unifamiliales attachées, et le multifamilial comme un usage différent des deux autres, le zonage japonais ne se casse pas la tête. Si un bâtiment sert essentiellement à donner un abri à des gens, c'est du résidentiel, point à la ligne.

Ça ne veut pas nécessairement dire que des blocs appartements de 10 étages trônent parmi des rangées de maisons unifamiliales. Bon, ça arrive de temps en temps, mais le zonage tend à restreindre les étages en utilisant les limites sur le coefficient d'occupation du sol et le rapport de la superficie des planchers aux terrains. Ce qui veut dire que les appartements en milieu résidentiel de bas étage doivent également avoir peu d'étages, menant à des bâtiments composés d'une série d'appartements que nous qualifierions de studios, une seule salle multifonctionnelle avec une toilette.

Cohabitation unifamiliale et multifamiliale dans zone résidentielle à bas étage, Sendai
Vue aérienne, en vert l'unifamilial, en rouge le multifamilial
Encore une fois, cette flexibilité diminue la nécessité d'avoir un zonage précis et bien fait. Dans les villes nord-américaines, si l'agence de zonage ne planifie pas assez de multifamilial ou d'unifamilial, ça peut causer des gros problèmes, soit une hausse du coût de l'unifamilial, soit une crise du logement par le manque de logement locatif. En ne différenciant pas entre les deux, il se bâtit ce qui est en demande. Et s'il manque de multifamilial, il est même possible de remplacer une maison unifamiliale un peu crasseuse qui se vend à bas prix par un petit bloc d'appartements.

En pratique par contre, le multifamilial tend à se concentrer près des écoles, des secteurs commerciaux et des gares. Ce qui fait du sens. Comme je l'ai dit, les revenus par mètre carré de superficie du multifamilial tendent à être plus élevés que ceux de l'unifamilial. Alors si les deux sont en concurrence pour des terrains prisés pour leur proximité aux services, le multifamilial tend à l'emporter.

5- Le zonage inclut des restrictions sur la hauteur des bâtiments qui sont rationnelles

Dans le zonage nord-américain, on fait souvent des restrictions d'étage de façon arbitraire. On limite les bâtiments à X étages seulement car les bâtiments autour sont à X étages. Or, il y a effectivement une raison de limiter les étages qui est rationnelle: le besoin de laisser passer le soleil dans la rue et d'éviter de plonger des bâtiments dans la pénombre éternelle. Au Japon, les limites d'étages sont inclus dans le zonage, mais elles sont rationnelles, basées sur la largeur de la rue et le besoin de préserver l'ensoleillement. Ça donne ces petites images:
Restriction de la forme des bâtiments pour préserver l'ensoleillement
Donc à mesure que le bâtiment s'éloigne de la rue, la hauteur permise augmente, et plus la rue est large, plus ils permettent le bâtiment d'être haut. Il est par contre possible de ne pas appliquer ces règles dans certaines zones spécifiques, afin de permettre les gratte-ciel aux centres-villes notamment.

6- Les villes conservent le droit d'établir quelques critères géométriques

Malgré l'encadrement national, les villes ne sont pas dépourvues de pouvoir. Elles peuvent par exemple identifier des zones où certains critères ne sont pas appliqués pour faciliter la densification et la construction en hauteur. Elles peuvent également établir certains critères comme un pourcentage d'aires vertes sur chaque terrain, une marge entre les bâtiments et la rue, etc... Mais elles ne peuvent changer les règles de base du zonage.

Conclusion

Ceci n'est qu'une description du zonage d'un autre pays pour montrer comment on pourrait faire différent. Personnellement, je crois que ce zonage fait beaucoup plus de sens que le zonage actuel que l'on utilise. L'application d'une loi nationale encadrant les zonages municipaux simplifiant le nombre de zones est une très bonne idée, de même que l'élimination des distinctions entre les catégories de résidentiel et l'allègement des restrictions d'usages pour permettre la mixité sur la base du principe d'un degré de "nuisance" maximal plutôt que des usages exclusifs. L'application d'un critère rationnel aux dimensions des bâtiments est une excellente idée.

Bref, le zonage japonais fait beaucoup plus de sens que le zonage typique que l'on utilise.

Ce n'est pas le seul modèle de zonage alternatif. Les Nouveaux Urbanistes proposent un zonage basé sur la forme des bâtiments afin de favoriser des bâtiments favorables à la marche. Houston au Texas est reconnu comme une ville sans restriction d'usage dans son zonage, n'importe quoi peut être construit n'importe où, bien qu'il y a des règles comme le nombre de stationnements minimum et de dimensions minimales de lots qui limitent beaucoup la densité, et des règles contre la nuisance qui permet aux gens de contester légalement la construction de bâtiments qui causerait des nuisances aux résidents.

Le point important à se rappeler, c'est que les pratiques actuelles de zonage sont indéfendables. La question n'est pas de savoir si on devrait les changer, mais comment on devrait les changer.

dimanche 9 mars 2014

Zonage: pratiques actuelles

Si vous pouviez vous payer un petit tour en avion ou en hélicoptère au-dessus de nos banlieues, ou si vous allez voir les cartes aériennes de Bing Maps, vous pourriez voir ceci:
Banlieue typique vue des airs
Des quartiers entiers de maisons unifamiliales à perte de vue, souvent identiques, ou presque, ayant au moins les mêmes dimensions et étant sur des terrains de dimensions très similaires. C'est ce que nous construisons le plus et on accepte ça comme si ça allait de soi. Comme si c'était la manière normale de se développer.

Or, derrière ce type de développement se cache quelque chose dont l'on parle pas, qui oriente et définit  les développements urbains en utilisant rien de moins que la force de la loi. C'est le zonage.

Le zonage est un règlement municipal définissant qu'est-ce qui peut être construit et où. Il y a plusieurs sortes de zonages différents dans le monde, mais en Amérique du Nord, le zonage typique est un zonage dit euclidien, de la ville d'Euclid en Ohio. Ce zonage est très strict au niveau de ce qui est permis de bâtir, les usages permis, les dimensions des lots et des bâtiments. Le territoire de la municipalité est découpé en une multitude de zones différentes, chacune étant strictement spécifiée.

Voici un exemple de ce type de zonage, tiré du règlement d'urbanisme de Saint-Jean-sur-Richelieu:
Exemple des caractéristiques d'une zone

Représenté graphiquement, ça donne ceci:
Dimensions minimales prescrites par la norme
Le vert représente les dimensions minimales d'un terrain. Sur ce terrain, seule une maison unifamiliale peut être construite, celle-ci ne peut être construite que dans la zone vert pâle, avec les dimensions minimales illustrées en rouge. Ceci est le cas d'une maison à 1 étage, la norme permet aussi des maisons à 2 étages, mais sur le même terrain.

Je souligne que la séparation dans le zonage du multifamilial et de l'unifamilial est une caractéristique propre au zonage nord-américain. Dans les zonages de plusieurs autres pays européens et asiatiques, le résidentiel, c'est du résidentiel, ils ne traitent pas les habitants des bâtiments multifamiliaux comme des pestiférés à conserver séparés des gens habitant dans des maisons unifamiliales. C'est en fait le résultat de discrimination raciale et sociale des États-Unis, où les résidents des bâtiments multifamiliaux sont souvent noirs et pauvres, donc le zonage américain s'est mis au service de la ségrégation raciale et des classes en séparant unifamilial et multifamilial. Cette séparation de l'unifamilial et du multifamilial est un développement récent, comme le prouve cette image du vieux Sorel, montrant, de droite à gauche: une maison unifamiliale isolée, un duplexe et deux maisons unifamiliales attachées.

Unifamiliales attachées, duplexe et unifamiliale isolée côte à côte, désormais illégal dans nos villes
À noter que ce zonage limite grandement la densité possible. Effectivement, en interdisant tout sauf l'unifamilial isolé, on ne permet la construction que d'une seule unité d'habitation par terrain. Ce terrain doit également être de 450 mètres carrés minimum. Par ces restrictions, on impose donc une densité maximale de 22,2 unités par hectare, sans compter les rues et parcs. Si on suppose des rues de 9 mètres avec des trottoirs de 1,5 mètres, alors la partie des rues rattachées à ce terrain aura une profondeur de 6 mètres (la moitié de la chaussée plus le trottoir adjacent au terrain), le terrain n'occupera que 30 mètres de profondeur sur 36, donc 83% de la superficie du quartier, sans compter les rues perpendiculaires. Donc on peut supposer que les terrains résidentiels ne représenteront que 80% des terrains du quartier, ce qui limite encore plus la densité à 17,7 unités par hectare.

Ça, c'est la densité maximale possible, la densité réelle sera encore plus faible car certains terrains seront plus gros encore.

Et combien de ces zones est-ce que la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu a? Et bien, cette ville de 100 000 habitants environ en a des centaines, voir des milliers, de zones similairement définies. Voici d'ailleurs une image du plan des zones de la ville:
Plan des zones d'un quartier de la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu
Tous les traits foncés représentent les limites des différentes zones, qui sont identifiées avec des codes comme "H-2572". On peut voir tous les lots existants sur cette carte, et chaque zone en général contient de 15 à 50 terrains, avec quelques exceptions, comme H-2748 qui ne contient qu'un seul (!) terrain.
Tout bâtiment non conforme au zonage est interdit à moins d'obtenir une dérogation mineure ou une modification de zonage, ce à quoi les résidents peuvent s'opposer.

Pourquoi un tel zonage aussi merdique?

 

Le zonage euclidien est favorisé car, malgré sa complexité apparente, il est très simple à appliquer. Il suffit de calculer certaines dimensions et de les comparer à ce qui est imposé dans le zonage pour accepter ou refuser un permis de bâtir. Même pas le besoin de penser, juste de mettre quelques chiffres dans un tablier et de laisser le monde s'arranger avec ça. Appliquer le règlement ne nécessite qu'un ruban à mesurer.

Ceux qui supportent ce genre de zonage soulignent "l'harmonie" résultant de celui-ci, ainsi que la certitude accordée aux résidents que leur quartier ne changera pas une fois qu'ils y sont établis. Vous achetez une maison sur une rue et il y a bien peu de chances que vous voyez pousser des condos ou des commerces sur cette rue de votre vivant.

Les conséquences désastreuses de ce zonage


Le résultat de tout ça, c'est un bordel indescriptible. Toute modification des normes, ce serait-ce que de quelques centimètres, requière des dérogations, qui implique des séances où les voisins peuvent s'objecter et enclencher un conflit de zonage menant à un délai des projets de plusieurs mois, voir à la fin du projet... même si ce projet n'est que la construction d'une véranda.

Ce zonage là étouffe complètement le développement et sert à conserver les quartiers dans du formaldéhyde, interdisant la construction de quoi que ce soit qui n'est pas identique à ce qui est déjà sur les lieux. Or, les villes doivent évoluer. On peut argumenter que le changement doit être apprivoisé et orienté, mais le zonage euclidien a comme effet en pratique d'interdire carrément le changement.

Ce zonage donne aussi le pouvoir aux "pas dans ma cour" en leur donnant des leviers pour tout bloquer. C'est notamment pourquoi les développements en Amérique du Nord sont fréquemment de l'étalement urbain. Comme les quartiers déjà bâtis sont déjà zonés et que les obstacles pour modifier ces zonages sont très nombreux et difficiles, les promoteurs ne prendront souvent pas le risque de lancer des projets de densification. Ils choisiront la voie facile en construisant en périphérie, là où il n'y a rien autour. Dans ces endroits, les développeurs peuvent être rois et maîtres en proposant à la ville des nouvelles zones, avec personne ou presque pour s'y opposer.

C'est pourquoi on voit souvent des condos apparaître en périphérie des villes. Ces condos là sont illégaux dans les quartiers déjà bâtis, donc la seule possibilité pour les construire, c'est d'aller dans des secteurs non bâtis ou abandonnés (anciens commerces ou usines).

Ce zonage a un impact majeur également sur la valeur des terrains. Si on permettait tous les usages sur tous les terrains, les terrains de choix seraient rapidement attribués aux commerces et aux bâtiment multifamiliaux, pour la simple raison que la marge de profit par mètre carré de terrain est beaucoup plus élevé pour ce genre d'usage que pour de l'unifamilial. Si on a un terrain près d'une rue passante avec des lignes d'autobus fréquentes sur la rue, en général, les commerces sauteraient sur ceux-ci, ou à défaut de commerces, ce sont des développements multifamiliaux qui se les approprieraient, car les développeurs de ces types de bâtiments sont près à payer plus cher par mètre carré que les développeurs de maisons unifamiliales. Mais si le terrain est réservé à de l'unifamilial, alors la valeur du terrain est artificiellement rabaissée, les usages plus profitables sont interdits sur celui-ci.

Le pire est que les villes s'entêtent souvent à zoner principalement de l'unifamilial. Le résultat est qu'il y a surabondance de terrains pour les maisons unifamiliales, ce qui réduit la valeur de ces terrains, rendant plus abordable les maisons unifamiliales dans les quartiers centraux. Par contre, il y a souvent pénurie de terrains pour les bâtiments multifamiliaux et commerciaux, les terrains valent alors très cher, ce qui complique les projets multifamiliaux et commerciaux, augmentant les coûts de ceux-ci. Ceci a la conséquence de rendre les maisons unifamiliales plus abordables tout en rendant les aménagements résidentiels alternatifs plus denses plus dispendieux, même si en réalité, c'est l'inverse qui devrait être vrai.

Il y a finalement un autre effet: la corruption. Quand un promoteur riche a un projet bien juteux qui se heurte au zonage actuel, il doit demander un changement de zonage. Or, ce changement de zonage est soumis aux désirs des élus qui reçoivent des pressions de "pas dans ma cour" pour le bloquer. Du coup, les promoteurs ont un incitatif à devenir chum des élus et à leur offrir des avantages financiers pour faire passer le changement de zonage malgré la pression de certains électeurs. Avant de blâmer les promoteurs qui font ça, on doit comprendre que la majorité préférerait probablement ne pas dépenser ces sommes pour acheter des élus. Le problème, c'est le système et le zonage actuel, c'est lui qui mène à la corruption.

Dans un prochain article, je parlerai du zonage japonais, qui est complètement différent.