jeudi 20 mars 2014

Gestion du stationnement

Le stationnement est un élément très important de l'urbanisme. Les déplacements en voiture ont absolument besoin de stationnement pour être possibles, mais la présence de stationnements en surface crée des villes avec une densité très faible, surtout dans les secteurs commerciaux et pour les bureaux, rendant les déplacements à pied et en vélo longs et très déplaisants, et compliquant les transports en commun.

Il est conséquemment presque impossible d'éviter la question du stationnement en urbanisme, la question est de savoir comment s'y prendre, et la solution à retenir. En général, il y a trois types d'approches: la gestion de l'offre, la gestion de la demande et la gestion par le marché.

Gestion de l'offre

La gestion de l'offre, c'est quand on met en place des lois ou des règlements d'urbanisme pour encadrer la quantité de stationnements que les constructeurs construisent quand ils construisent des bâtiments ou quand ils en changent l'usage. On peut noter certaines tendances:

1- Normes de stationnement minimum: le maximum possible est le minimum requis

La première approche est celle que nous retenons en général en Amérique du Nord, surtout dans les banlieues. Les règlements municipaux imposent la construction d'un nombre minimal de places de stationnement aux développeurs. Ce nombre est basé sur la quantité maximale de voitures stationnées que l'on peut prévoir, en supposant qu'essentiellement tous les déplacements se font en voiture et que le stationnement est gratuit. Bref, le minimum requis est la quantité maximale de stationnement qui pourrait potentiellement être utilisée dans l'heure la plus achalandée du jour le plus achalandé de l'année.

Cette approche crée une création d'un nombre totalement excessif de stationnements. Les stationnements commerciaux seront à plus de 50% vides toute l'année, avec un taux d'occupation de 80-85% peut-être une fois ou deux dans l'année. Le stationnements des bureaux seront suffisants pour que tous les employés puissent venir seul en voiture, si le bureau augmente de taille, le stationnement augmentera aussi.

La réflexion à la base de système est la suivante:
  1. Les stationnements sur rue devraient être possibles mais minimisés, car ils sont à la charge de la ville. Comme les stationnements sont requis par des usages (résidentiel, commercial, industriel, bureau, etc...) privés, ce sont les propriétaires des bâtiments attirant les voitures stationnées qui devraient payer pour ces stationnements.
  2. Si un propriétaire ne construit pas suffisamment de stationnement, alors il risque d'y avoir débordement de son stationnement privé dans la rue ou dans le stationnement privé d'à côté. Ceci est en effet un parasitage, car soit la ville, soit le propriétaire adjacent se retrouve à payer le stationnement requis par les usages du terrain de ce propriétaire.
  3. Afin que les développeurs paient le stationnement, et non les autorités publiques, chaque développeur devra construire un stationnement privé, et celui-ci devra être au moins assez grand pour éviter tout débordement.
Cette approche accorde en fait toute l'importance aux déplacements en voiture et aucune aux autres modes de déplacement. On ne considère ni les piétons, ni les cyclistes, ni les usagers du transport en commun. De plus, elle mène à des stationnements gratuits cachant le coût de ces stationnements aux automobilistes, et impose des coûts plus importants à tous les bâtiments, car le coût des stationnements devra être inclus dans tout projet de développement.

Pour la société, cette approche est très dispendieuse, mais les coûts sont répartis également partout, les gens ne le perçoivent donc pas. Cette approche évite les tensions au niveau des stationnements, au prix de l'imposition de coût de faire des affaires très élevés, ce qui peut heurter les PME. Cette approche requière également que de très grandes surfaces soient accaparées aux stationnements, étalant beaucoup les villes et nécessitant des routes à haute vitesse pour donner accès à de nouvelles terres à mesure qu'on s'étale.

2- Normes de stationnement maximum: limiter l'usage de la voiture en limitant le stationnement

Cette approche est rare mais existe dans certains endroits quand les autorités veulent avantager les déplacements non motorisés ou en transport en commun. C'est le cas notamment des environs des arrêts de la voie réservée aux autobus d'Ottawa ainsi que de son centre-ville. L'idée est que, comme il est facile de se rendre à l'endroit en différents moyens de transport, il n'est pas nécessaire de construire un très grand nombre de stationnements.

La réflexion à la base de ces pratiques est la suivante:
  1. Les larges stationnements gratuits incitent les gens à prendre leur voiture, congestionnant nos routes déjà à capacité, de plus, ils réduisent le nombre de bureaux, de commerces ou de résidences pouvant être construits à proximité de nos infrastructures en transport en commun.
  2. Nous avons déjà des alternatives à la voiture à ces endroits qui sont tout à fait viables. Donc le problème de débordement se pose peu ou pas, car les gens vont "déborder" dans le transport en commun plutôt que sur la rue ou dans d'autres stationnements.
  3. Limiter le nombre de places de stationnement ne causera donc pas de problème majeur et permettra d'optimiser les investissements en transport en commun.
Cette pratique atteint en général ses objectifs. Ainsi, à Ottawa, où le nombre de stationnement a été limité, la part modale du transport en commun atteignait plus de 20% avant même que le SRB fut construit, car les gens travaillant au centre-ville n'avaient que peu de stationnement et devaient donc trouver des manières alternatives pour venir travailler.

Le problème majeur de cette approche est qu'il faut des moyens de transport alternatifs viables. Si les stationnements sont  limités dans un coin avec peu ou pas de service en transport en commun et avec une séparation des usages qui rend les déplacements à pied impraticables, alors on ne fait que nuire aux déplacements et à la vitalité des lieux. De plus, les gens peuvent très mal prendre ce genre de politique, sentant qu'on tente de les forcer à se débarrasser de leurs voitures... ce qui est quand même un petit peu vrai.

3- Gestion directe publique ou privée de l'offre de stationnement

Dans cette approche, on se débarrasse des stationnements privés, devant chaque bâtiment. Plutôt, un organisme public ou privé (tel que la chambre de commerce) sera responsable d'acquérir des terrains et d'y construire des stationnements publics que tous pourront utiliser. Des stationnements gratuits ou payants, mais dans les faits, ils seront généralement payants pour financer l'organisme. Ceci peut inclure les stationnements sur rue.

Contrairement aux deux approches précédentes, celle-ci repose sur l'intervention plutôt que le simple cadre réglementaire. Ainsi, elle est flexible, s'il manque fréquemment de stationnements, d'autres stationnements peuvent être construits. Si les stationnements sont sous-utilisés, ils peuvent être partiellement éliminés pour récupérer l'espace à d'autres fins. La flexibilité et la propriété publique des stationnements permet de pratiquer différentes politiques, que ce soit dans le but d'encourager ou de décourager l'usage de l'automobile.

Cette manière de faire élimine le problème de contentieux entre différents propriétaires au sujet des coûts de stationnement. Toutefois, ça ouvre la porte à des contentieux entre les commerçants ou résidents à certains endroits et l'organisme qui est en charge du stationnement. Les gens peuvent faire des pressions pour avoir plus de stationnement ou pour varier les conditions de stationnement. Il faut des dirigeants aux nerfs d'acier pour faire face à ces pressions sans céder.

En général, cette approche est utilisée en ville, dans des anciens quartiers où les bâtiments sont vieux et donc profitent d'un droit acquis les dispensant de fournir un nombre limité de stationnements. Alors la municipalité essaie d'organiser l'offre de stationnement pour répondre aux besoins du quartier.


Gestion de la demande

La gestion de la demande prend le problème de l'autre côté. Au lieu de tenter de gérer la quantité de stationnements disponibles, on tente de gérer le nombre de personnes utilisant ces stationnements et de réduire la demande pour la faire correspondre à l'offre.

Les permis de stationnement limités aux places disponibles


L'idée derrière les permis de stationnement est de ne permettre que les détenteurs de permis de stationner. Ces permis sont limités au nombre de places disponibles, alors le stationnement ne débordera jamais. Par contre, si cette approche est limitée à quelques stationnements seulement et que d'autres places de stationnement sont disponibles à proximité qui ne sont pas soumis à cette règle, alors les gens sans permis peuvent se tourner vers ces stationnements.

De par sa nature, les permis sont limités aux stationnement de relativement longue durée et non aux stationnements commerciaux avec un fort taux de roulement. Donc les stationnements des lieux de travail et les stationnement résidentiels sont adaptés à cette méthode de gestion de la demande, car les gens y laissent leur voiture stationnée pendant de longues heures, soit toute la journée, soit toute la nuit.

Le concept de permis de stationnement limités peut être utilisé dans le cadre de réduction du nombre de stationnement minimum requis si c'est l'approche principale retenue. Ainsi, un développeur qui ne veut pas construire le nombre requis de stationnement pourrait avoir à limiter les permis de stationnement aux employés travaillant à l'endroit, incitant donc ceux sans permis à trouver des moyens alternatifs de venir au travail. Il faut alors faire attention à ceux sans permis cherchant à utiliser d'autres stationnements pour compenser.

Les permis sont généralement payants à prix fixe, ils peuvent être donnés selon le principe "premier arrivé, premier servi". Si les permis sont mis à l'enchère, alors on empiète sur l'approche suivante...

La tarification

La tarification utilise un principe simple: plus un bien coût cher, moins le nombre de personnes voulant en consommer est grand. Le prix élevé décourage donc une partie des consommateurs. La tarification des stationnements peut donc être utilisée pour diminuer le nombre de personnes venant se stationner, ou diminuer la durée de leur stationnement. C'est la tactique utilisée par les parcomètres dans les centre-villes, les tarifs de ceux-ci sont modulés afin de toujours assurer que 10-15% des stationnements seront inoccupés. Le but n'est pas seulement de convaincre les gens de venir avec différents moyens de transport, mais de convaincre ceux qui viennent en voiture de faire leurs achats le plus rapidement possible.

Les permis de stationnement peuvent être une approche par tarification si leur nombre est théoriquement illimité et que le prix est modulé afin de garder le nombre de permis inférieur au nombre de places, ou si les permis sont mis aux enchères.

Un avantage de la tarification est que le prix des stationnements, souvent dissimulé, donnant l'impression aux automobilistes que le stationnement est un droit naturel, devient évident aux automobilistes. Ainsi, on coupe la subvention stationnement, partiellement ou entièrement, aux déplacements en voiture. C'est un peu de l'utilisateur-payeur (je dis un peu car la tarification permettant d'éviter les débordements ne correspond pas nécessairement au prix pour construire et entretenir ces places).


La gestion par le marché

La gestion par le marché est une approche différente, qui vise à laisser la décision de construire ou d'acheter des stationnements principalement aux individus plutôt que d'influencer leurs décisions.

La solution japonaise pour le stationnement résidentiel

J'en ai déjà parlé. Les Japonais requièrent que les gens voulant acheter une voiture prouvent d'abord qu'ils aient un endroit hors rue où ils peuvent stationner leur véhicule près de leur domicile. Ceci n'est pas une solution de "laissez-faire" car la preuve de stationnement est une condition bureaucratique, mais en même temps, le processus de fonctionnement est le marché. Cela force les gens à trouver des places de stationnement à louer s'ils n'en ont pas sur leur terrain. Le résultat est la création d'un marché, certaines personnes dépourvues de places voulant en louer, d'autres ayant des places ou en construisant pour les louer à d'autres. Le prix payé par les locataires dépend du prix coûtant des stationnements pour les propriétaires. À noter que si des normes de stationnement minimum existent, le prix de ces places pourrait être inférieure au prix coûtant.

La règle ne s'applique qu'au stationnement résidentiel par contre, et ne peut être appliquée aux autres usages. Mais elle est utile pour gérer le stock de stationnement résidentiel qui sera construit.

Le laissez-faire

Le laissez-faire est assez simple: on n'impose aucune norme de stationnement ou des normes très faibles, laissant chaque développeurs décider de son propre gré combien de stationnement offrir, s'ils en offrent. Le nombre de stationnement offert relève alors d'un calcul économique, les développeurs ne construiront qu'un nombre de stationnement qu'ils peuvent justifier économiquement.

Par exemple, pour les locaux commerciaux, si l'usage de la voiture est significative, il est dans l'intérêt du commerçant d'offrir des places de stationnement gratuit pour attirer des clients. Toutefois, vu que chaque place de stationnement a des coûts, la quantité construite dépendra du coût de construction et d'entretien des places de stationnement et du profit lié à chaque place de stationnement. A mesure que le nombre de places construites augmente, le taux d'occupation des places de stationnement diminue, à un certain taux, ça ne vaut plus la peine d'en construire, le stationnement coûtera plus cher qu'il rapporte en revenus. Ce taux de stationnement sera bien inférieur au minimum requis habituels, inférieur de 50 à 75%. Dans ce calcul, que quelqu'un ne trouve pas de stationnement n'est pas un drame, tant que ça ne se produit pas trop fréquemment.

De même, s'il manque de stationnement, alors certains pourraient acheter des terrains pour en faire des stationnements payants. Si les gens sont prêts à payer suffisamment pour financer le stationnement et faire un profit. Ce serait de l'utilisateur-payeur dans ce cas-ci.

En général, le laissez-faire va résulter en un nombre très faible de stationnements en ville, mais plus en banlieue où les terrains sont abordables et donc où ça coûte moins cher construire de grands stationnements. Il faut faire attention par contre aux stationnements sur rue. Si ceux-ci sont possibles et gratuits, on crée une distorsion dans le marché et on incite les gens à se stationner sur la rue, quitte à tourner autour 5-10 minutes pour trouver un stationnement sur rue plutôt que de payer un stationnement payant.

L'approche du laissez-faire doit donc être associée à une gestion serrée des stationnements sur rue, soit en les interdisant en général, soit en les limitant, soit en les rendant payants.

Conclusion

Ce n'est qu'un survol des différentes méthodes de gestion des stationnements que je connais. D'autres peuvent exister que j'ignore. Personnellement, je crois qu'une tarification serait préférable, car si les stationnements sont gratuits, on finit par subventionner les déplacements en voiture en passant sournoisement les coûts des stationnements à la population au complet.

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