vendredi 21 mars 2014

Le financement des routes et la déresponsabilisation des villes

Le projet qui tient le plus à coeur au maire de Québec, Régis Labeaume, et sur lequel il insiste le plus, c'est l'élargissement de l'autoroute Henri-IV, un projet d'une bagatelle somme de 400 millions de dollars. À Bois-des-Filions, on réclame le prolongement de l'autoroute 19, un autre projet de 400 millions. On réclame également l'élargissement de l'autoroute 30 entre la 20 et la 10.

Partout au Québec, les maires semblent tous réclamer des prolongements ou des élargissements autoroutiers, ou des travaux sur le réseau provincial pour soi-disant améliorer la circulation. Alors que toute la classe politique semble s'accorder sur le besoin de densification et de développer les transports en commun, c'est curieux de voir tous ces maires militer pour de plus en plus de routes...

Mais si on regarde la structure du financement routier au Québec, on comprend mieux la cause de tout ceci.

Le problème, c'est celui que les économistes qualifient de "free rider", du parasitage. L'idée de base est que quelqu'un tire les bénéfices d'un bien ou d'un service dont les coûts sont assumés par un tiers, il n'y a donc aucun incitatif pour celui qui tire les bénéfices de modérer sa consommation de ce bien.

Et justement, au niveau du système routier provincial, c'est exactement ça qui se produit.

Les villes n'assument aucun coût des routes provinciales, elles n'en font qu'en tirer des bénéfices, car les autoroutes attirent les promoteurs, et les développements créent des entrées fiscales pour les villes. C'est le gouvernement du Québec lui-même qui bâtit les routes, les entretient et les refait quand elles arrivent à la limite de leur vie utile. Conséquemment, les maires n'ont aucune raison de ne pas en réclamer: c'est un cadeau gratuit payé par le reste de la province. Ceux qui en bénéficient ne paient rien pour, ils sauvent même souvent de l'argent en fin de compte.

Le résultat, c'est que les municipalités au Québec traite les routes provinciales comme des égouts à voiture. Elles créent des quartiers entiers qui se jettent directement sur des routes provinciales et prennent soin de ne pas créer de chemin alternatif évident sur le réseau municipal. Le résultat de ça, c'est un réseau routier municipal canalisant toutes les rues locales sur un nombre très limité de routes, dont la capacité sera rapidement atteinte, entraînant des revendications pour l'amélioration de la capacité de cette route.

Ce n'est ni plus ni moins qu'une complète déresponsabilisation des villes vis-à-vis la circulation de ses résidents. La ville ne se préoccupe pas de cet enjeu, elle se contente de tout laisser aux pieds du MTQ.

Parce qu'une image vaut mille mots, voici un quartier de Québec typique:

Quartier de Québec, les rues locales jettent leur trafic sur le réseau provincial (en jaune et orangé)
Il n'existe aucun chemin municipal alternatif évident aux routes gérées par le MTQ. Ce n'est pas une coïncidence. On ne veut pas en construire, car si on en construit, on devra gérer la circulation et payer pour l'entretien de ce chemin alternatif. C'est tellement plus facile de tout laisser ça au MTQ. Même si la congestion est due aux déplacements internes, on utilisera l'argument des déplacements longue distance (notamment le camionnage) et le besoin de leur éviter de la congestion pour réclamer des améliorations. En gros, la ville prend la circulation de transit en otage pour avoir ce qu'elle veut, soit des artères routières aux frais du provincial.

Regardez ce que des villes font au contraire quand le gouvernement provincial ne leur offre pas de réseaux complets de routes provinciales. Voici Vancouver et Victoria:
Vancouver, réseau municipal en grille avec de nombreuses alternatives
Victoria, réseau municipal en grille, un peu moins ordonné que Vancouver mais avec autant d'alternatives
Sans routes provinciales majeures, les villes ont simplement assumé leur responsabilité dans la gestion de leurs déplacements internes. Les réseaux illustrés ci-dessus ont une excellente capacité routière, bien plus grande que le réseau de Québec... c'est simplement que la circulation est moins rapide, surtout à cause des nombreux feux de circulation.

L'est de Montréal est également similaire, la grille municipale est encore fonctionnelle et il y a peu de routes gérées par le provincial à l'endroit.

Le pire dans tout ça, c'est que le transport en commun ne bénéficie pas des mêmes largesses. En effet, le transport en commun est financé au Québec à 70-80% par la ville et les usagers. Le provincial fournit un peu de subventions pour l'opération du système, mais même quand il s'agit d'investissements, en général il ne finance que 50-75% des coûts, le reste devant être assumé par l'organisme de transport local, lui-même financé par les usagers et par la ville. Le transport en commun peut être une meilleure solution, plus efficace, aux problèmes de congestion des villes, mais comme les villes doivent en payer une partie, c'est beaucoup moins attrayant que de simplement demander des routes et autoroutes au MTQ. Et rappelons-nous, les usagers et la ville devront défrayer 70-80% des coûts d'opération.

Donc 0% des coûts de construction et 0% des coûts d'opération pour les routes et autoroutes... contre 25-50% des coûts de construction et 70-80% des coûts d'opération pour le transport en commun, quelle est la solution la plus attrayante pour les villes?

Ironiquement, beaucoup de ceux qui tendent à crier le plus fort pour des autoroutes tendent à être les mêmes qui disent que le gouvernement devrait être géré comme une entreprise... or quelle entreprise au monde accepterait de financer des routes à même ses revenus à la demande d'un tiers qui n'en paiera pas une cenne mais qui en obtiendra les bénéfices?

Posons-nous la question, si la ville de Québec ou Bois-des-Filion devaient assumer 50% des coûts des autoroutes qu'elles réclament, ainsi que 70-80% des coûts d'entretien... crieraient-elles toujours aussi fort pour les avoir? Poser la question, c'est y répondre.

Je crois que les tronçons des routes et autoroutes provinciales circulant en milieu urbain et étant utilisés principalement pour des déplacements internes devrait être financés partiellement (50% peut-être) par les villes. Ceci les forcera à accepter la responsabilité de gérer la circulation sur leur territoire plutôt que de la laisser entièrement au MTQ. De plus, cela mettra transports en commun et transport routier sur un pied d'égalité au niveau du traitement financier, éliminant un biais majeur en faveur du second.

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