lundi 16 septembre 2013

Des tours dans des parcs... un concept à jeter

Depuis le début de l'histoire jusqu'au 19e siècle, la manière de construire des villes avait bien peu changer. Le mode de déplacement dominant était la marche, et construire des bâtiments sur plus que 3 ou 4 étages était très difficile, l'apanage d'architectes au service de rois ou d'Églises. Le résultat était que toutes les villes étaient bâties pour être denses, avec des rues étroites, pour que tout soit à distance de marche, mais les bâtiments eux-mêmes n'étaient en général pas si hauts. On peut en voir des exemples typiques encore dans les vieilles villes européennes, comme cette rue de Rome:

Au 19e siècle, les innovations de l'ère industrielle arrivent vite. Plusieurs vont changer le visage des villes. C'est l'exemple du train et des tramways, qui entraîne la création de banlieues pour les classes populaires, permettant aux villes de s'étendre plus loin qu'elles ne le faisaient auparavant en accélérant les déplacements dans celles-ci. Les gens restent quand même essentiellement des piétons, mais ils peuvent désormais se déplacer rapidement d'un quartier à un autre, et les rues se font un peu plus larges pour accommoder ces nouveaux moyens de transport. Les villes s'étendent, mais elles ressemblent encore à des villes traditionnelles, mais bâties autour de lignes de tramway, c'est le cas de beaucoup de quartiers de Montréal comme le Plateau Mont-Royal, Rosemont ou Hochelaga-Maisonneuve.

Mais le progrès ne s'arrête pas là, les voitures viennent transformer les piétons en automobilistes, et les nouvelles techniques de construction permettent désormais de créer des bâtiments avec des dizaines et des dizaines d'étages. Certains architectes sautent sur l'occasion, l'heure est au modernisme, au rejet des traditions car on peut, non, on doit! repenser la société de sa base jusqu'au sommet.

Plusieurs se penchent sur l'avenir des villes. La ville traditionnelle était souvent viciée, sombre et glauque. On sait maintenant que nos nouvelles technologies peuvent solutionner ces problèmes, grâce aux toilettes modernes et aux égouts, de même qu'avec les lampadaires et l'éclairage électrique, permettant d'apporter la lumière jusque dans les coins les plus sombres. L'évolution des services publics permet également d'organiser des collectes de déchets et de nettoyer les villes. Mais pour les modernistes, ce n'est pas assez, on propose plutôt une "cité radieuse" pour aérer la ville moderne.

Voici l'idée de base, prenons un quartier traditionnel, des maisons entassées l'une sur l'autre en rangée, autour de rues étroites avec peut-être des arbres en bordure de la rue.



Ces bâtiments ont peut-être deux étages, mais l'idée des modernistes comme Le Corbusier est de remplacer ces multiples bâtiments de deux étages par des immenses tours de 10 à 20 étages. Du coup, une seule tour peut remplacer une rangée de bâtiments, prenant 3 ou 4 fois moins d'espace. On peut utiliser cet espace gagné pour des parcs, ainsi, l'on aurait une série de tours dans des parcs au lieu de maisons en rangée. Et les déplacements ne sont plus un problème, grâce aux voitures que tous les habitants auraient, stationnées dans des stationnements souterrains, il suffit d'élargir les rues pour gérer le trafic. On obtiendrait ça.


Est-ce que c'est une bonne idée? En tout cas, ça a de la gueule sur les maquettes, une série de tours avec des petits arbres en dessous, c'est bien mieux qu'une masse informe de bâtiments de 2 ou 3 étages. Mais dans la vraie vie? C'est une horreur absolue.

Une des forces des villes est leur interconnectivité, tous les quartiers sont rattachés ensemble, permettant de créer un tout uni et maximisant les contacts sur les rues. C'est un milieu favorable à la marche, car il y a beaucoup de choses à voir, chaque bâtiment ayant sa personnalité propre, et il y a souvent beaucoup de magasins et autres. La rue est également un milieu partagé. À l'opposé, les tours sont déconnectées, chacune étant son propre quartier, séparé par une centaine de mètres des autres. Pire encore, il n'y a pas vraiment de lieu en commun, les corridors des tours sont des no man's land, des corridors pleins de portes fermées, où personne ne se tient, des endroits encore plus sombres et lugubres que les ruelles des villes traditionnelles, et complètement stériles. Les gens sont donc isolés dans ces tours, le résultat est catastrophique pour la communauté et est fréquemment associé à la criminalité.

Pire encore, les stationnements souterrains coûtent cher, donc pour économiser, on prend les parcs, et on en fait des stationnements. On obtient des tours dans des stationnements:
Oui, il y a plus de verdure, mais ce ne sont pas des parcs. Ce sont des bandes gazonnées avec une poignée d'arbres, qui ne peuvent cacher le vide et la laideur des lieux.

Voyons à hauteur d'homme de ce que ces développements ont l'air. Voici un quartier à Prague, car les pays communistes étaient friands de ces développements:


Ce quartier a l'avantage d'avoir des transports en commun à proximité, héritage de l'ère communiste. Sans cela, le besoin de voiture aurait vite englouti les espaces verts et auraient encore plus enlaidi le coin. Un peu comme ça:


Cette horreur ne se trouve pas en Russie, ni en Biélorussie, c'est un "quartier" de condos à Anjou, près de l'échangeur de la 40 et de la 25.

À retenir

La force de la ville, c'est son tissu urbain. Insérer des espaces verts ça et là n'aident pas à faire de la ville un meilleur endroit où vivre. Il est préférable de concentrer les espaces verts dans des parcs de quartier plutôt que d'avoir des bandes étroites de gazons entourant chaque bâtiment. La verdure dans les rues résidentielles doit principalement prendre la forme d'arbre, et non de gazon, pour offrir de l'ombre et un "toit" aux piétons circulant sur les trottoirs.

Ce qui m'amène à parler de ça, c'est la lecture rapide du programme de Marcel Côté, candidat à la mairie de Montréal. Il demande d'imposer 20% de verdure à tous les projets immobiliers. Une belle connerie, j'ai vu ça et je me suis dit: "des tours dans des parcs", c'est le même idéal désastreux qui a détruit tellement de communautés urbaines. Concentrez les espaces verts dans des parcs ouverts au public qui méritent d'être visités plutôt, et construisez les villes plus densément.

Il n'y a pas de problème à construire en hauteur, mais il faut intégrer ces bâtiments dans le milieu bâti et non tenter de le séparer dans son coin, entouré de gazon, une utilisation vraiment inefficace de l'espace.

dimanche 15 septembre 2013

Hiérarchisation: analogie entre transport en commun et réseau routier

Nous avons au Québec et en Amérique du Nord une très grande lacune au niveau transport en commun en comparaison au Japon et à l'Europe. Pour bien l'expliquer, je crois qu'il est préférable de commencer par une analogie entre le réseau routier et les réseaux de transport en commun.

Toutes les routes ne sont pas équivalentes, il y a une hiérarchisation. Il y a des rues locales, des collectrices, des routes régionales, des routes nationales et des autoroutes. La différence entre les différentes routes est leur vitesse et les accès. Par exemple, les rues locales sont à très basse vitesse mais avec beaucoup d'accès, c'est-à-dire un très grand nombre de maisons ayant accès direct sur la rue. À l'autre extrême, il y a les autoroutes, à très grande vitesse mais avec aucun accès, il faut sortir de l'autoroute à un échangeur pour accéder aux commerces et résidences, car en général il est interdit d'avoir un accès privé à l'autoroute, afin d'en préserver la fluidité.

Pensez à votre ville, vous verrez quelques types de rues.

Tout d'abord, il y a les rues locales dans les coins résidentiels. La vitesse y est basse car les rues sont étroites, souvent sinueuses et avec un très grand nombre de résidences, mais pratiquement pas de commerces ou d'autres attractions. Le but de cette rue n'est pas le déplacement, mais simplement de donner accès au plus de terrains possibles, personne ne veut circuler sur ces rues sur de longues distances, on ne les utilise que pour aller rejoindre d'autres rues plus droites et rapides.
Ce qui nous amène à un nouveau type de rue, les rues collectrices. Elles ont encore un nombre d'accès important, mais elles sont plus en ligne droite et plus larges, la signalisation (notamment le marquage au sol) est plus présente pour améliorer la fluidité. Certains commerces de proximité y sont situés, comme des dépanneurs et des épiceries de quartier et même parfois quelques centres commerciaux, mais plusieurs résidences sont encore présentes, le nombre d'accès est donc important, mais la vitesse est un souci additionnel.
 Il y a également les boulevards. Des rues très larges, avec 2 ou 3 voies par direction, des feux de circulation et un nombre limité d'accès, de façon à assurer la vitesse et la fluidité, permettant des déplacements rapides à l'intérieur de la ville. On tend à privilégier des centres commerciaux avec accès unique, plutôt que chaque commerce possédant sa propre entrée, ils ont un stationnement en commun avec une ou deux entrées. La rue est conçue pour gérer un débit important de transit, et les commerces sont attirés par ce débit, ils vont donc s'établir en bordure du boulevard.
Finalement, il y a les autoroutes, où la vitesse prime sur tout, qui sert essentiellement aux déplacements interurbains. Il est interdit d'avoir des accès directs à l'autoroute, ce qui n'empêche pas les gros commerces de chercher à s'établir aux échangeurs, les seuls points d'accès du réseau.

Je dis ça pour expliquer la hiérarchisation des transports en commun, qui fait écho à celle des routes, dont la hiérarchisation est mieux développée et plus familière pour les Québécois. Oui, les transports en commun ont la même hiérarchisation.

Équivalent aux rues locales, il y a les services d'autobus dans les secteurs résidentiels. Ce sont des autobus souvent peu fréquents (à chaque 30 minutes ou chaque heure) faisant des circuits en boucle avec un très grand nombre d'arrêts afin d'aller chercher autant de personnes que possible, mais qui ne mènent pas à des destinations importantes sur leurs trajets. La boucle maximise le nombre de résidences couvertes, mais une boucle en transport en commun est généralement horrible au niveau de la qualité de service: elle n'offre pas de lien direct entre le point A et le point B, imposant de longs détours qui nuisent à la vitesse du service. La raison de chercher à maximiser la population couverte est la prévision d'un faible achalandage.

Équivalent aux collectrices, il y a les lignes fréquentes d'autobus en ligne droite. Le service étant fréquent, la capacité de la ligne est meilleure, le trajet étant en ligne droite, la vitesse est également améliorée, par contre, elles ont un nombre important d'arrêts pour maximiser les zones couvertes. Certains commerces sont attirés par ces lignes, mais comme la capacité et la vitesse restent limitées par le fait que les autobus (ou streetcars) sont pris dans le trafic et servent un nombre important d'arrêts, le pouvoir d'attraction est plus faible.

À noter que parfois, une seule ligne d'autobus peut jouer le rôle à la fois de la boucle locale et de la ligne droite fréquente. C'est ce que j'appelle la ligne en yo-yo, une ligne droite se terminant par une boucle qui revient vers cette même ligne droite. Par exemple, quand j'allais au CÉGEP, je devais faire une partie du voyage sur le chemin Chambly, sur la partie du trajet que j'effectuais, 3 lignes se chevauchaient, la 8, la 28 et la 88. Le résultat était un service fréquent sur le tronçon, mais plus loin ces 3 lignes de divisaient, chacun pour desservir sa propre boucle. De plus, dans certains réseaux très denses et développés, c'est la marche qui remplace les boucles d'autobus, car la majorité des habitants est à distance de marche des lignes fréquentes.

Équivalent aux boulevards urbains, il y a les services rapides, services rapides par bus, tramway, train léger et métros. Ces derniers ont des différences de capacité, de confort et de vitesse, toutefois, ils ont toute la particularité d'offrir une capacité supérieure aux services locaux car les véhicules peuvent transporter plus de passagers, ainsi qu'une meilleure vitesse, car ils ont moins d'arrêts (un arrêt par 500 à 1 000 mètres en général plutôt qu'un par 200-300 mètres) et ont des voies dédiées.  Le résultat est qu'ils desservent directement un territoire plus restreint, mais ils permettent de voyager d'une partie de la ville à une autre plus rapidement et efficacement. Les débits transportés attirent fortement les commerces et promoteurs résidentiels, tout comme les boulevards.

Finalement, il y a le dernier niveau: l'équivalent aux autoroutes... Mais quel est-il? Au Québec, ça s'arrête pas mal au métro, qui est le summum du transport en commun, mais encore un transport essentiellement intramunicipal, pour se déplacer dans une ville. Il y a bien des autobus interurbains, mais si leur vitesse est grande, leur capacité elle est pourrie.

La réponse: c'est le train. Pas besoin d'un train à grande vitesse, juste un train régional circulant à 100-150 km/h et s'arrêtant dans le centre-ville de toutes les villes significatives sur son trajet peut faire l'affaire, soit des arrêts séparés par des dizaines de kilomètres à chaque fois. Un seul train peut transporter en confort de 500 à 1 000 personnes. Le pouvoir attractif des gares devient donc majeur si le train est fortement utilisé, tout comme aux échangeurs des autoroutes.

C'est ça qui manque cruellement aux transports en commun au Québec et en Amérique du Nord en général. Même si on améliore les transports en commun urbains, si on ne se dote pas d'un réseau de trains régionaux qui a de l'allure (désolé VIA, ça prend plus que 5 trains par jour entre Québec et Montréal pour avoir de l'allure), on ne créera jamais un réseau de transport en commun qui peut réellement offrir une alternative à la voiture, car ceux sans voiture se retrouveront prisonniers de leur ville, incapable de compter sur un réseau pouvant les amener à l'extérieur de leurs villes.

Un réseau de transport en commun sans trains régionaux, c'est comme un réseau routier sans autoroute. Si la seule route entre Montréal et Québec était un boulevard limité à 50 km/h, les gens ne voyageraient entre Montréal et Québec que si c'était absolument nécessaire.

Les trains régionaux peuvent également joué un rôle dans le transport en commun plus local entre villes rapprochées d'une région métropolitaine. Par exemple, au Japon les villes d'une certaine taille tendent à voir plusieurs gares de train, le train régional servant donc de métro entre les différents secteurs de la ville. Voici un exemple de la carte de tarifs de la gare de Kooriyama (郡山), une ville de 330 000 habitants:

 Les trains fonctionnent par paiement à la distance (comme tous les transports en commun d'ailleurs). Ainsi, passer de la gare centrale de Kooriyama à la gare de Mogi à 5 kilomètres, dans un autre secteur de la ville, coûtera seulement 180 yen (environ 2$) alors que d'aller à la gare centrale d'Iwaki, une ville importante sur la côte à 60 km de Kooriyama coûtera 1 620 yen (environ 18-19$).

Si nous sommes sérieux dans notre quête d'offrir une offre de transport en commun qui peut concurrencer la voiture, il faudra rebâtir nos trains régionaux (je dis bien rebâtir car les réseaux existent DÉJÀ, ils sont simplement désaffectés ou convertis en piste cyclable (absurde)).

jeudi 5 septembre 2013

L'urbanisme au Japon, observations de touriste

Je suis allé au Japon en tant que touriste, une expérience que je recommande fortement, surtout avec des petits groupes genre GAP Adventures ou Intrepid. Ces groupes ont l'avantage d'accorder plus de liberté tout en permettant de mieux vivre la réalité locale car ils n'enferment pas les voyageurs dans des autobus, ne les laissant sortir que pour voir des lieux prédéterminés. Surtout, les petits groupes font un usage presque exclusif des transports en commun.

Contrairement à certains qui ne s'intéressent qu'aux monuments et aux temples, je me suis intéressé aux quartiers normaux, à l'urbanisme du Japon. Comment ils font leurs rues, comment les secteurs résidentiels sont, etc...

Tout d'abord, une photo d'Aizu-Wakamatsu (会津若松), une ville d'environ 127 000 habitants dans la région du nord-est (Touhoku) entourée de champs.


La photo est celle d'un quartier résidentiel. On peut noter l'artère principale au centre-droit qui est assez similaire à ce que nous pouvons avoir dans nos villes. Mais regardez surtout le nombre de maisons à gauche de l'artère. Ce sont toutes des résidences unifamiliales à 1 ou 2 étages. Comment font-ils pour avoir autant de maisons dans un si petit espace?

Avant de révéler le secret, un peu de chiffres. La densité de population de Aizu-Wakamatsu est officiellement de 330 personnes par kilomètre carré, mais c'est en incluant les champs et les montagnes non habitées. En ne mesurant que les zones habitées, on arrive à une zone urbaine d'environ 15 kilomètre carrés et non 330 kilomètres carrés, pour une densité de population de 8 500 personnes par kilomètre carré, incluant les zones commerciales et industrielles (donc la densité réelle des secteurs résidentiels est un peu plus élevée). En comparaison, la densité des secteur résidentiels des banlieues de Montréal comme Boucherville et Greenfield Park est d'environ 3 000 à 3 500 personnes par kilomètre carré.

Les maisons sont plus petites, c'est vrai, de même que les terrains, mais il y a quelque chose d'autre de plus petit, une caractéristique commune partout au Japon. La rue résidentielle japonaise.


Ces photos ne sont pas de Aizu-Wakamatsu, mais elles représentent des rues résidentielles typiques japonaises, la première est d'un secteur plus résidentiel et moins central de Tokyo, la seconde est d'une ville rurale, Nikko. Non, ce ne sont pas des allées arrières, et non, elles ne sont pas à sens unique non plus.

À noter l'étroitesse de la rue et son manque de séparation entre les usagers. Deux voitures peuvent passer côte à côte, de justesse, et elles devront ralentir pour le faire. Le stationnement sur rue est parfois interdit, parfois accepté (mais seulement dans des espaces identifiés). Il n'y a pas de trottoir identifié ou de piste cyclable.De telles rues donneraient des crises cardiaques aux concepteurs de routes nord-américaines, elles seraient probablement carrément illégales.

Et pourtant, ces rues ont de nombreux avantages.

Premièrement, elles sont sécuritaires pour tous les usagers. Oui, vraiment. Elles sont sécuritaires car elles imposent aux automobilistes de ralentir et les forcent à partager la route. Comme cyclistes et piétons empruntent la route plutôt que d'être cantonnés dans l'accotement ou dans des pistes ou trottoirs à part, les automobilistes n'ont plus la priorité sur la rue, ils ne sont qu'un usager comme tant d'autres. La rue n'appartient pas juste aux voitures, mais à tout le monde.

Deuxièmement, elles rendent la marche et la bicyclette tellement plus confortables. Je n'ai jamais eu peur sur ces rues. Elles ne prennent pas beaucoup de place, donc les distances à parcourir sont plus courtes, ce qui aident à rendre la marche possible en permettant des constructions plus denses. Les piétons peuvent la traverser en quelques pas n'importe où, donc pas besoin de faire de détours de 200 ou 300 mètres pour aller chercher une traverse protégée. Et les automobilistes sont obligés de faire attention et de respecter piétons et cyclistes.

Même s'il y a un accident, les basses vitesses réduisent le risque de mortalité. Ainsi, le Japon a un taux de mortalité sur la route de 3,8 par 100 000 habitants. Le Canada? 7,8. Les États-Unis? 13,9. Les rues étroites ne semblent donc pas nuire à la sécurité routière, bien au contraire.

(Note, je préfère utiliser le taux de mortalité par habitant plutôt que par véhicule-kilomètre parce que c'est plus représentatif de la sécurité réelle sur les routes. La distance des trajets n'a pas rapport au niveau de la sécurité. Si ton trajet pour le travail est de 20 km au lieu de 40 km, et que tu as un accident à chaque 5 ans, tu n'es pas moins en sécurité juste parce que ton trajet est plus court. Le taux idéal serait donc la mortalité par trajet effectué, et non par la distance.)

Que faut-il retenir ici? Que l'idée de toujours séparer les usagers sur les rues est erronée, la sécurité peut être obtenue différemment. Mieux vaut une rue non sécuritaire perçue comme non sécuritaire qu'une rue sécuritaire perçue comme sécuritaire. Une rue partagée est donc très sécuritaire et efficace au niveau de l'usage d'espace. Pensons-y, les rues dans les photos font 5 ou 6 mètres. Maintenant, imaginons une rue résidentielle nord-américaine à usages séparés selon les règles de l'art. Ça prend deux trottoirs de chaque côté de 1,5 mètres de largeur, des pistes cyclables de 1,5 mètre chaque de chaque côté de la rue et deux voies de 3,5 mètres pour les voitures. On parle d'une rue faisant au total 13 mètres, et les stationnements ne sont pas permis sur les accotements (inexistants). La rue en face de chez moi à Lasalle fait 12 mètres, plus 3 mètres pour les trottoirs, pour un total de 15 mètres pour deux voies de circulation et des stationnements sur rue de chaque côté. Et les cyclistes n'ont pas de place réservée, en fait rouler à bicyclette ici est assez inconfortable, beaucoup de gens circulent sur les trottoirs en fait.

C'est clair que des rues comme ça ne marchent pas partout. Quand on s'attend à de forts débits de voitures, il faut donner plus d'espace. Si on veut qu'elles circulent rapidement, il faut séparer les usages. Les rues artérielles au Japon sont comme les nôtres, avec des trottoirs séparés et une plus grande largeur (quoique toujours inférieure aux normes nord-américaines qui appliquent souvent le standard autoroutier aux rues urbaines, une absurdité). Mais en gros, les rues en milieu urbain sont souvent dues pour une diète.