dimanche 15 septembre 2013

Hiérarchisation: analogie entre transport en commun et réseau routier

Nous avons au Québec et en Amérique du Nord une très grande lacune au niveau transport en commun en comparaison au Japon et à l'Europe. Pour bien l'expliquer, je crois qu'il est préférable de commencer par une analogie entre le réseau routier et les réseaux de transport en commun.

Toutes les routes ne sont pas équivalentes, il y a une hiérarchisation. Il y a des rues locales, des collectrices, des routes régionales, des routes nationales et des autoroutes. La différence entre les différentes routes est leur vitesse et les accès. Par exemple, les rues locales sont à très basse vitesse mais avec beaucoup d'accès, c'est-à-dire un très grand nombre de maisons ayant accès direct sur la rue. À l'autre extrême, il y a les autoroutes, à très grande vitesse mais avec aucun accès, il faut sortir de l'autoroute à un échangeur pour accéder aux commerces et résidences, car en général il est interdit d'avoir un accès privé à l'autoroute, afin d'en préserver la fluidité.

Pensez à votre ville, vous verrez quelques types de rues.

Tout d'abord, il y a les rues locales dans les coins résidentiels. La vitesse y est basse car les rues sont étroites, souvent sinueuses et avec un très grand nombre de résidences, mais pratiquement pas de commerces ou d'autres attractions. Le but de cette rue n'est pas le déplacement, mais simplement de donner accès au plus de terrains possibles, personne ne veut circuler sur ces rues sur de longues distances, on ne les utilise que pour aller rejoindre d'autres rues plus droites et rapides.
Ce qui nous amène à un nouveau type de rue, les rues collectrices. Elles ont encore un nombre d'accès important, mais elles sont plus en ligne droite et plus larges, la signalisation (notamment le marquage au sol) est plus présente pour améliorer la fluidité. Certains commerces de proximité y sont situés, comme des dépanneurs et des épiceries de quartier et même parfois quelques centres commerciaux, mais plusieurs résidences sont encore présentes, le nombre d'accès est donc important, mais la vitesse est un souci additionnel.
 Il y a également les boulevards. Des rues très larges, avec 2 ou 3 voies par direction, des feux de circulation et un nombre limité d'accès, de façon à assurer la vitesse et la fluidité, permettant des déplacements rapides à l'intérieur de la ville. On tend à privilégier des centres commerciaux avec accès unique, plutôt que chaque commerce possédant sa propre entrée, ils ont un stationnement en commun avec une ou deux entrées. La rue est conçue pour gérer un débit important de transit, et les commerces sont attirés par ce débit, ils vont donc s'établir en bordure du boulevard.
Finalement, il y a les autoroutes, où la vitesse prime sur tout, qui sert essentiellement aux déplacements interurbains. Il est interdit d'avoir des accès directs à l'autoroute, ce qui n'empêche pas les gros commerces de chercher à s'établir aux échangeurs, les seuls points d'accès du réseau.

Je dis ça pour expliquer la hiérarchisation des transports en commun, qui fait écho à celle des routes, dont la hiérarchisation est mieux développée et plus familière pour les Québécois. Oui, les transports en commun ont la même hiérarchisation.

Équivalent aux rues locales, il y a les services d'autobus dans les secteurs résidentiels. Ce sont des autobus souvent peu fréquents (à chaque 30 minutes ou chaque heure) faisant des circuits en boucle avec un très grand nombre d'arrêts afin d'aller chercher autant de personnes que possible, mais qui ne mènent pas à des destinations importantes sur leurs trajets. La boucle maximise le nombre de résidences couvertes, mais une boucle en transport en commun est généralement horrible au niveau de la qualité de service: elle n'offre pas de lien direct entre le point A et le point B, imposant de longs détours qui nuisent à la vitesse du service. La raison de chercher à maximiser la population couverte est la prévision d'un faible achalandage.

Équivalent aux collectrices, il y a les lignes fréquentes d'autobus en ligne droite. Le service étant fréquent, la capacité de la ligne est meilleure, le trajet étant en ligne droite, la vitesse est également améliorée, par contre, elles ont un nombre important d'arrêts pour maximiser les zones couvertes. Certains commerces sont attirés par ces lignes, mais comme la capacité et la vitesse restent limitées par le fait que les autobus (ou streetcars) sont pris dans le trafic et servent un nombre important d'arrêts, le pouvoir d'attraction est plus faible.

À noter que parfois, une seule ligne d'autobus peut jouer le rôle à la fois de la boucle locale et de la ligne droite fréquente. C'est ce que j'appelle la ligne en yo-yo, une ligne droite se terminant par une boucle qui revient vers cette même ligne droite. Par exemple, quand j'allais au CÉGEP, je devais faire une partie du voyage sur le chemin Chambly, sur la partie du trajet que j'effectuais, 3 lignes se chevauchaient, la 8, la 28 et la 88. Le résultat était un service fréquent sur le tronçon, mais plus loin ces 3 lignes de divisaient, chacun pour desservir sa propre boucle. De plus, dans certains réseaux très denses et développés, c'est la marche qui remplace les boucles d'autobus, car la majorité des habitants est à distance de marche des lignes fréquentes.

Équivalent aux boulevards urbains, il y a les services rapides, services rapides par bus, tramway, train léger et métros. Ces derniers ont des différences de capacité, de confort et de vitesse, toutefois, ils ont toute la particularité d'offrir une capacité supérieure aux services locaux car les véhicules peuvent transporter plus de passagers, ainsi qu'une meilleure vitesse, car ils ont moins d'arrêts (un arrêt par 500 à 1 000 mètres en général plutôt qu'un par 200-300 mètres) et ont des voies dédiées.  Le résultat est qu'ils desservent directement un territoire plus restreint, mais ils permettent de voyager d'une partie de la ville à une autre plus rapidement et efficacement. Les débits transportés attirent fortement les commerces et promoteurs résidentiels, tout comme les boulevards.

Finalement, il y a le dernier niveau: l'équivalent aux autoroutes... Mais quel est-il? Au Québec, ça s'arrête pas mal au métro, qui est le summum du transport en commun, mais encore un transport essentiellement intramunicipal, pour se déplacer dans une ville. Il y a bien des autobus interurbains, mais si leur vitesse est grande, leur capacité elle est pourrie.

La réponse: c'est le train. Pas besoin d'un train à grande vitesse, juste un train régional circulant à 100-150 km/h et s'arrêtant dans le centre-ville de toutes les villes significatives sur son trajet peut faire l'affaire, soit des arrêts séparés par des dizaines de kilomètres à chaque fois. Un seul train peut transporter en confort de 500 à 1 000 personnes. Le pouvoir attractif des gares devient donc majeur si le train est fortement utilisé, tout comme aux échangeurs des autoroutes.

C'est ça qui manque cruellement aux transports en commun au Québec et en Amérique du Nord en général. Même si on améliore les transports en commun urbains, si on ne se dote pas d'un réseau de trains régionaux qui a de l'allure (désolé VIA, ça prend plus que 5 trains par jour entre Québec et Montréal pour avoir de l'allure), on ne créera jamais un réseau de transport en commun qui peut réellement offrir une alternative à la voiture, car ceux sans voiture se retrouveront prisonniers de leur ville, incapable de compter sur un réseau pouvant les amener à l'extérieur de leurs villes.

Un réseau de transport en commun sans trains régionaux, c'est comme un réseau routier sans autoroute. Si la seule route entre Montréal et Québec était un boulevard limité à 50 km/h, les gens ne voyageraient entre Montréal et Québec que si c'était absolument nécessaire.

Les trains régionaux peuvent également joué un rôle dans le transport en commun plus local entre villes rapprochées d'une région métropolitaine. Par exemple, au Japon les villes d'une certaine taille tendent à voir plusieurs gares de train, le train régional servant donc de métro entre les différents secteurs de la ville. Voici un exemple de la carte de tarifs de la gare de Kooriyama (郡山), une ville de 330 000 habitants:

 Les trains fonctionnent par paiement à la distance (comme tous les transports en commun d'ailleurs). Ainsi, passer de la gare centrale de Kooriyama à la gare de Mogi à 5 kilomètres, dans un autre secteur de la ville, coûtera seulement 180 yen (environ 2$) alors que d'aller à la gare centrale d'Iwaki, une ville importante sur la côte à 60 km de Kooriyama coûtera 1 620 yen (environ 18-19$).

Si nous sommes sérieux dans notre quête d'offrir une offre de transport en commun qui peut concurrencer la voiture, il faudra rebâtir nos trains régionaux (je dis bien rebâtir car les réseaux existent DÉJÀ, ils sont simplement désaffectés ou convertis en piste cyclable (absurde)).

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