Contrairement à certains qui ne s'intéressent qu'aux monuments et aux temples, je me suis intéressé aux quartiers normaux, à l'urbanisme du Japon. Comment ils font leurs rues, comment les secteurs résidentiels sont, etc...
Tout d'abord, une photo d'Aizu-Wakamatsu (会津若松), une ville d'environ 127 000 habitants dans la région du nord-est (Touhoku) entourée de champs.
La photo est celle d'un quartier résidentiel. On peut noter l'artère principale au centre-droit qui est assez similaire à ce que nous pouvons avoir dans nos villes. Mais regardez surtout le nombre de maisons à gauche de l'artère. Ce sont toutes des résidences unifamiliales à 1 ou 2 étages. Comment font-ils pour avoir autant de maisons dans un si petit espace?
Avant de révéler le secret, un peu de chiffres. La densité de population de Aizu-Wakamatsu est officiellement de 330 personnes par kilomètre carré, mais c'est en incluant les champs et les montagnes non habitées. En ne mesurant que les zones habitées, on arrive à une zone urbaine d'environ 15 kilomètre carrés et non 330 kilomètres carrés, pour une densité de population de 8 500 personnes par kilomètre carré, incluant les zones commerciales et industrielles (donc la densité réelle des secteurs résidentiels est un peu plus élevée). En comparaison, la densité des secteur résidentiels des banlieues de Montréal comme Boucherville et Greenfield Park est d'environ 3 000 à 3 500 personnes par kilomètre carré.
Les maisons sont plus petites, c'est vrai, de même que les terrains, mais il y a quelque chose d'autre de plus petit, une caractéristique commune partout au Japon. La rue résidentielle japonaise.
Ces photos ne sont pas de Aizu-Wakamatsu, mais elles représentent des rues résidentielles typiques japonaises, la première est d'un secteur plus résidentiel et moins central de Tokyo, la seconde est d'une ville rurale, Nikko. Non, ce ne sont pas des allées arrières, et non, elles ne sont pas à sens unique non plus.
À noter l'étroitesse de la rue et son manque de séparation entre les usagers. Deux voitures peuvent passer côte à côte, de justesse, et elles devront ralentir pour le faire. Le stationnement sur rue est parfois interdit, parfois accepté (mais seulement dans des espaces identifiés). Il n'y a pas de trottoir identifié ou de piste cyclable.De telles rues donneraient des crises cardiaques aux concepteurs de routes nord-américaines, elles seraient probablement carrément illégales.
Et pourtant, ces rues ont de nombreux avantages.
Premièrement, elles sont sécuritaires pour tous les usagers. Oui, vraiment. Elles sont sécuritaires car elles imposent aux automobilistes de ralentir et les forcent à partager la route. Comme cyclistes et piétons empruntent la route plutôt que d'être cantonnés dans l'accotement ou dans des pistes ou trottoirs à part, les automobilistes n'ont plus la priorité sur la rue, ils ne sont qu'un usager comme tant d'autres. La rue n'appartient pas juste aux voitures, mais à tout le monde.
Deuxièmement, elles rendent la marche et la bicyclette tellement plus confortables. Je n'ai jamais eu peur sur ces rues. Elles ne prennent pas beaucoup de place, donc les distances à parcourir sont plus courtes, ce qui aident à rendre la marche possible en permettant des constructions plus denses. Les piétons peuvent la traverser en quelques pas n'importe où, donc pas besoin de faire de détours de 200 ou 300 mètres pour aller chercher une traverse protégée. Et les automobilistes sont obligés de faire attention et de respecter piétons et cyclistes.
Même s'il y a un accident, les basses vitesses réduisent le risque de mortalité. Ainsi, le Japon a un taux de mortalité sur la route de 3,8 par 100 000 habitants. Le Canada? 7,8. Les États-Unis? 13,9. Les rues étroites ne semblent donc pas nuire à la sécurité routière, bien au contraire.
(Note, je préfère utiliser le taux de mortalité par habitant plutôt que par véhicule-kilomètre parce que c'est plus représentatif de la sécurité réelle sur les routes. La distance des trajets n'a pas rapport au niveau de la sécurité. Si ton trajet pour le travail est de 20 km au lieu de 40 km, et que tu as un accident à chaque 5 ans, tu n'es pas moins en sécurité juste parce que ton trajet est plus court. Le taux idéal serait donc la mortalité par trajet effectué, et non par la distance.)
Que faut-il retenir ici? Que l'idée de toujours séparer les usagers sur les rues est erronée, la sécurité peut être obtenue différemment. Mieux vaut une rue non sécuritaire perçue comme non sécuritaire qu'une rue sécuritaire perçue comme sécuritaire. Une rue partagée est donc très sécuritaire et efficace au niveau de l'usage d'espace. Pensons-y, les rues dans les photos font 5 ou 6 mètres. Maintenant, imaginons une rue résidentielle nord-américaine à usages séparés selon les règles de l'art. Ça prend deux trottoirs de chaque côté de 1,5 mètres de largeur, des pistes cyclables de 1,5 mètre chaque de chaque côté de la rue et deux voies de 3,5 mètres pour les voitures. On parle d'une rue faisant au total 13 mètres, et les stationnements ne sont pas permis sur les accotements (inexistants). La rue en face de chez moi à Lasalle fait 12 mètres, plus 3 mètres pour les trottoirs, pour un total de 15 mètres pour deux voies de circulation et des stationnements sur rue de chaque côté. Et les cyclistes n'ont pas de place réservée, en fait rouler à bicyclette ici est assez inconfortable, beaucoup de gens circulent sur les trottoirs en fait.
C'est clair que des rues comme ça ne marchent pas partout. Quand on s'attend à de forts débits de voitures, il faut donner plus d'espace. Si on veut qu'elles circulent rapidement, il faut séparer les usages. Les rues artérielles au Japon sont comme les nôtres, avec des trottoirs séparés et une plus grande largeur (quoique toujours inférieure aux normes nord-américaines qui appliquent souvent le standard autoroutier aux rues urbaines, une absurdité). Mais en gros, les rues en milieu urbain sont souvent dues pour une diète.
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