vendredi 23 août 2013

Le SRB, une fausse bonne idée. Partie 2: L'explication

Bon, dans une première partie, j'ai décrit ce qu'était un SRB, un Service Rapide par Bus. J'ai fini sur les coûts supposés du SRB comparativement aux tramways et métros, ce qui semble donner un avantage majeur aux SRB. Après tout, si on peut obtenir un service équivalent aux métros avec des autobus à moindre coût, pourquoi se priver, non?

La réalité est beaucoup plus complexe que ça.

Le SRB, une définition glissante...

J'ai mentionné plusieurs éléments pour convertir une ligne normale d'autobus en ligne de SRB dans mon dernier message. Combien de ces éléments doivent être présents pour qu'on puisse qualifier une ligne d'autobus de SRB?

La réponse: peut-être un, peut-être zéro.

Il n'y a pas de définition officielle de SRB qui rassemble une série de critère à remplir pour pouvoir se qualifier de SRB. Le résultat est que deux personnes peuvent parler de SRB et malgré tout parler de choses tout à fait différentes. Quelqu'un peut parler de SRB en parlant d'un système complet avec tous les éléments dont j'ai parlés, un système qui offrirait la même capacité qu'un SLR (système léger sur rail, dont les tramways) avec une vitesse similaire. Quelqu'un d'autre pourrait parler en fait d'un système très dépouillé de SRB: des voies réservées aux heures de pointe et des couleurs différentes sur l'autobus et les arrêts.

Est-ce que c'est vrai qu'un SRB peut égaler la capacité et la vitesse d'un SLR? Oui.
Est-ce que c'est vrai qu'un SRB peut coûter seulement 5 millions par kilomètre? Oui.

Est-ce qu'un SRB peut égaler la capacité et la vitesse d'un SLR ET coûter seulement 5 millions par kilomètre? NON.

Quand on veut un SRB avec toutes les caractéristiques d'un SLR, le SRB finit par coûter aussi cher qu'un SLR. Mais en réalité ce qui se passe souvent, c'est que la définition glisse pendant le projet. On commence avec une vision ambitieuse, mais là ça commence à chiâler "ça coûte trop cher", "comment ça, on va retirer des voies aux voitures dans ce coin là?". Alors le projet continue mais perd des plumes à chaque fois.

Les stations aux arrêts, ça coûte cher, donc on garde des abribus plus normaux. Des systèmes de préemption aux intersections qui arrêtent les voitures pour laisser passer les autobus à chaque 3 à 5 minutes, c'est dérangeant, donc ça saute. Couper le nombre d'arrêt, ça choque ceux qui perdent "leur" arrêt et qui doivent marcher plus loin, donc on garde le même nombre d'arrêt. Etc, etc...

Le résultat est que le SRB obtenu n'est pas si différent d'une ligne normale, dont certaines circulent déjà sur des voies réservées aux heures de pointe (c'est le cas d'autobus sur le boulevard Pie-IX ou sur le boulevard Newman, dans les anciennes banlieues sur l'île). D'ailleurs, Mélanie Joly pourrait pratiquement renommer certaines lignes comme la 106 dans Lasalle comme des lignes de SRB sans y apporter plus de changement. Ça l'aiderait à remplir son quota de 130 km de lignes de SRB.

Le SRB, vraiment équivalent? Qualitatif vs Quantitatif.

Ceux qui font la promotion du SRB aiment prétendre que le SRB est complètement équivalent au SLR, voir aux métros. Ces promoteurs ont une autre chose qu'ils partagent souvent: ce ne sont pas des usagers des transports en commun. Les SRB sont très populaires chez les automobilistes, beaucoup moins chez ceux qui utilisent vraiment les autobus et métros. Il faut dire que les automobilistes en général ne semblent pas aimer les rails, c'est une route qu'ils ne peuvent pas utiliser après tout. Les voies réservées d'autobus, au moins c'est souvent juste pour l'heure de pointe, et ils peuvent toujours faire de la pression pour les faire tomber.

La différence de perspective ignore donc les éléments qualitatifs, c'est une vision strictement comptable: la capacité est de X, le coût est de Y. Les aspects de confort des usagers et de la communauté sont évacués, ce qui est une erreur majeure. Le fait est que les autobus sont moins confortables que les tramways ou que les métros. Ils fonctionnent au diésel, un moteur bruyant créant beaucoup de vibrations, et dont les accélérations sont par à coup. Les systèmes sur rail sont plus confortables au roulement, plus silencieux et ils fonctionnent en général à l'électricité, fournissant de meilleures accélérations plus graduelles. Les tramways peuvent également plus facilement être à plancher bas, plus large et offrir plus de vitres, donnant un véhicule plus plaisant à utiliser.

Le résultat est que le pouvoir attractif des systèmes sur rail est bien supérieur, même aux SRB. Aux États-Unis et au Canada, les projets de SLR tendent à surpasser facilement les attentes au niveau du nombre d'usager, surtout la fin de semaine. La clientèle des transports en commun tend à être divisée en deux groupes: la clientèle captive qui ne possède pas de voiture, et la clientèle élective qui fait le choix de prendre le transport en commun car le service est plus rapide ou confortable. Les SLR attirent les seconds beaucoup plus. Si le but est d'attirer de nouveaux usagers, les SRB sont significativement inférieurs aux SLR, peu importent leurs caractéristiques.

La flexibilité des autobus est un désavantage

C'est choquant pour plusieurs, mais la flexibilité n'est pas toujours bonne avec les transports en commun. Flexibilité veut dire instabilité, les lignes peuvent être changées, ce qui augmente les incertitudes à long terme. Ça ne dérange pas beaucoup les usagers des transports en commun à court terme, mais ça a un impact majeur sur les investisseurs et les promoteurs. Un des buts des systèmes de transport en commun rapide est d'attirer les investissements en ville autour des stations, pour que celles-ci deviennent les coeurs de leurs quartiers.

À ce niveau, la permanence perçu du rail est un grand avantage. Les investisseurs sont très attirés par ceux-ci. Par exemple, à Portland, ils ont fait une ligne de tramway au centre-ville. Avant que la ligne soit terminée, seulement 20% des investissements dans le centre-ville se massaient aux abords de la future ligne. Après qu'elle soit mise en fonction, ce même secteur attirait 55% des investissements du centre-ville.

Vous connaissez le Walkscore? C'est un outil géographique permettant de déterminer si un quartier est marchable ou non, basé sur la présence de commerces et services à proximité. L'image de Montréal est assez intéressante à ce niveau. Voici une image montrant les résultats à Montréal, les zones rouges sont peu marchables, car avec peu de commerces et services, les zones vertes ont de fortes concentrations de commerces et services.
 Voyez-vous pourquoi je dis qu'elle est intéressante?

Non?

Alors un indice de plus, une nouvelle image avec les lignes du métro ajoutées.


Les zones très marchables de Montréal sont concentrées le long des lignes de métro. Certains diraient que la relation est inversée, que les lignes de métro suivent les quartiers denses, ce qui est en partie vrai. Toutefois, ça explique mal pourquoi les extrémités des lignes vertes et orange sont marchables alors qu'elles sont autrement dans des zones très rouges, étant loin du centre-ville.

Le transport en commun structure donc les développements urbains, et les faits indiquent que les transports sur rail réussissent mieux à cet égard que les SRB.

De plus, l'idée de quadriller Montréal avec des SRB est mauvaise car il n'y a qu'un nombre limité d'argent pour les investissements privés. Même si les SRB réussissaient aussi bien, trop en faire rapidement va trop diffuser les investissements, et donc les améliorations tarderont à se faire sentir. Il est préférable de construire le réseau bout par bout pour concentrer les investissements dans les zones une après l'autre, pour que les changements se fassent sentir beaucoup plus vites.

Pour toutes ces raisons, je crois que le plan de Mélanie Joly est une fausse bonne idée. Quadriller la ville de SRB à rabais n'aura pas beaucoup d'effet, ni sur le nombre d'usagers, ni sur les développements.

Ne me méprenez pas. Les SRB ont leur place dans des villes de plus petite taille, qui n'ont pas les moyens d'avoir mieux. Des SRB à Laval ou Longueuil, ça fait du sens (tant que ces villes changent leur zonage pour créer des vrais centres-villes), mais à Montréal? Non. Les SRB ne sont pas des remplacements pour les tramways et les métros, ce sont des améliorations comparativement aux transports locaux par autobus, mais vraiment une coche en-dessous des transports par rails.

AJOUT (2013/08/24)

Le site de Mélanie Joly parle de SRB coûtant 4,8 millions le kilomètre, mais avec des voies dédiées, des stations fermées et climatisées ainsi que de la préemption aux intersections. Le chiffre avancé est complètement irréaliste.  Le Transmileno de Bogota a coûté 5,5 millions de dollars américains (au taux de change actuel) par kilomètre, et ça, c'est avec la main d'oeuvre de Colombie payée à une fraction du coût des travailleurs québécois. Le projet de SRB sur le boulevard Pie-IX était supposé coûter plus de 20 millions par kilomètre, et les stations proposées n'étaient pas climatisées, et le boulevard Pie-IX possède déjà des voies réservées. Le Rapibus de Gatineau qui entrera en fonction bientôt a coûté environ 21 millions par kilomètre, alors que la ville a pu construire la voie dédiée dans un corridor ferroviaire qu'il a acheté pour une bouchée de pains, évitant les expropriations ou le retrait de voies aux automobilistes qui seraient inévitables et coûteuses à Montréal.

Le chiffre avancé est donc tout à fait farfelu.

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