vendredi 23 août 2013

Le SRB, une fausse bonne idée. Partie 2: L'explication

Bon, dans une première partie, j'ai décrit ce qu'était un SRB, un Service Rapide par Bus. J'ai fini sur les coûts supposés du SRB comparativement aux tramways et métros, ce qui semble donner un avantage majeur aux SRB. Après tout, si on peut obtenir un service équivalent aux métros avec des autobus à moindre coût, pourquoi se priver, non?

La réalité est beaucoup plus complexe que ça.

Le SRB, une définition glissante...

J'ai mentionné plusieurs éléments pour convertir une ligne normale d'autobus en ligne de SRB dans mon dernier message. Combien de ces éléments doivent être présents pour qu'on puisse qualifier une ligne d'autobus de SRB?

La réponse: peut-être un, peut-être zéro.

Il n'y a pas de définition officielle de SRB qui rassemble une série de critère à remplir pour pouvoir se qualifier de SRB. Le résultat est que deux personnes peuvent parler de SRB et malgré tout parler de choses tout à fait différentes. Quelqu'un peut parler de SRB en parlant d'un système complet avec tous les éléments dont j'ai parlés, un système qui offrirait la même capacité qu'un SLR (système léger sur rail, dont les tramways) avec une vitesse similaire. Quelqu'un d'autre pourrait parler en fait d'un système très dépouillé de SRB: des voies réservées aux heures de pointe et des couleurs différentes sur l'autobus et les arrêts.

Est-ce que c'est vrai qu'un SRB peut égaler la capacité et la vitesse d'un SLR? Oui.
Est-ce que c'est vrai qu'un SRB peut coûter seulement 5 millions par kilomètre? Oui.

Est-ce qu'un SRB peut égaler la capacité et la vitesse d'un SLR ET coûter seulement 5 millions par kilomètre? NON.

Quand on veut un SRB avec toutes les caractéristiques d'un SLR, le SRB finit par coûter aussi cher qu'un SLR. Mais en réalité ce qui se passe souvent, c'est que la définition glisse pendant le projet. On commence avec une vision ambitieuse, mais là ça commence à chiâler "ça coûte trop cher", "comment ça, on va retirer des voies aux voitures dans ce coin là?". Alors le projet continue mais perd des plumes à chaque fois.

Les stations aux arrêts, ça coûte cher, donc on garde des abribus plus normaux. Des systèmes de préemption aux intersections qui arrêtent les voitures pour laisser passer les autobus à chaque 3 à 5 minutes, c'est dérangeant, donc ça saute. Couper le nombre d'arrêt, ça choque ceux qui perdent "leur" arrêt et qui doivent marcher plus loin, donc on garde le même nombre d'arrêt. Etc, etc...

Le résultat est que le SRB obtenu n'est pas si différent d'une ligne normale, dont certaines circulent déjà sur des voies réservées aux heures de pointe (c'est le cas d'autobus sur le boulevard Pie-IX ou sur le boulevard Newman, dans les anciennes banlieues sur l'île). D'ailleurs, Mélanie Joly pourrait pratiquement renommer certaines lignes comme la 106 dans Lasalle comme des lignes de SRB sans y apporter plus de changement. Ça l'aiderait à remplir son quota de 130 km de lignes de SRB.

Le SRB, vraiment équivalent? Qualitatif vs Quantitatif.

Ceux qui font la promotion du SRB aiment prétendre que le SRB est complètement équivalent au SLR, voir aux métros. Ces promoteurs ont une autre chose qu'ils partagent souvent: ce ne sont pas des usagers des transports en commun. Les SRB sont très populaires chez les automobilistes, beaucoup moins chez ceux qui utilisent vraiment les autobus et métros. Il faut dire que les automobilistes en général ne semblent pas aimer les rails, c'est une route qu'ils ne peuvent pas utiliser après tout. Les voies réservées d'autobus, au moins c'est souvent juste pour l'heure de pointe, et ils peuvent toujours faire de la pression pour les faire tomber.

La différence de perspective ignore donc les éléments qualitatifs, c'est une vision strictement comptable: la capacité est de X, le coût est de Y. Les aspects de confort des usagers et de la communauté sont évacués, ce qui est une erreur majeure. Le fait est que les autobus sont moins confortables que les tramways ou que les métros. Ils fonctionnent au diésel, un moteur bruyant créant beaucoup de vibrations, et dont les accélérations sont par à coup. Les systèmes sur rail sont plus confortables au roulement, plus silencieux et ils fonctionnent en général à l'électricité, fournissant de meilleures accélérations plus graduelles. Les tramways peuvent également plus facilement être à plancher bas, plus large et offrir plus de vitres, donnant un véhicule plus plaisant à utiliser.

Le résultat est que le pouvoir attractif des systèmes sur rail est bien supérieur, même aux SRB. Aux États-Unis et au Canada, les projets de SLR tendent à surpasser facilement les attentes au niveau du nombre d'usager, surtout la fin de semaine. La clientèle des transports en commun tend à être divisée en deux groupes: la clientèle captive qui ne possède pas de voiture, et la clientèle élective qui fait le choix de prendre le transport en commun car le service est plus rapide ou confortable. Les SLR attirent les seconds beaucoup plus. Si le but est d'attirer de nouveaux usagers, les SRB sont significativement inférieurs aux SLR, peu importent leurs caractéristiques.

La flexibilité des autobus est un désavantage

C'est choquant pour plusieurs, mais la flexibilité n'est pas toujours bonne avec les transports en commun. Flexibilité veut dire instabilité, les lignes peuvent être changées, ce qui augmente les incertitudes à long terme. Ça ne dérange pas beaucoup les usagers des transports en commun à court terme, mais ça a un impact majeur sur les investisseurs et les promoteurs. Un des buts des systèmes de transport en commun rapide est d'attirer les investissements en ville autour des stations, pour que celles-ci deviennent les coeurs de leurs quartiers.

À ce niveau, la permanence perçu du rail est un grand avantage. Les investisseurs sont très attirés par ceux-ci. Par exemple, à Portland, ils ont fait une ligne de tramway au centre-ville. Avant que la ligne soit terminée, seulement 20% des investissements dans le centre-ville se massaient aux abords de la future ligne. Après qu'elle soit mise en fonction, ce même secteur attirait 55% des investissements du centre-ville.

Vous connaissez le Walkscore? C'est un outil géographique permettant de déterminer si un quartier est marchable ou non, basé sur la présence de commerces et services à proximité. L'image de Montréal est assez intéressante à ce niveau. Voici une image montrant les résultats à Montréal, les zones rouges sont peu marchables, car avec peu de commerces et services, les zones vertes ont de fortes concentrations de commerces et services.
 Voyez-vous pourquoi je dis qu'elle est intéressante?

Non?

Alors un indice de plus, une nouvelle image avec les lignes du métro ajoutées.


Les zones très marchables de Montréal sont concentrées le long des lignes de métro. Certains diraient que la relation est inversée, que les lignes de métro suivent les quartiers denses, ce qui est en partie vrai. Toutefois, ça explique mal pourquoi les extrémités des lignes vertes et orange sont marchables alors qu'elles sont autrement dans des zones très rouges, étant loin du centre-ville.

Le transport en commun structure donc les développements urbains, et les faits indiquent que les transports sur rail réussissent mieux à cet égard que les SRB.

De plus, l'idée de quadriller Montréal avec des SRB est mauvaise car il n'y a qu'un nombre limité d'argent pour les investissements privés. Même si les SRB réussissaient aussi bien, trop en faire rapidement va trop diffuser les investissements, et donc les améliorations tarderont à se faire sentir. Il est préférable de construire le réseau bout par bout pour concentrer les investissements dans les zones une après l'autre, pour que les changements se fassent sentir beaucoup plus vites.

Pour toutes ces raisons, je crois que le plan de Mélanie Joly est une fausse bonne idée. Quadriller la ville de SRB à rabais n'aura pas beaucoup d'effet, ni sur le nombre d'usagers, ni sur les développements.

Ne me méprenez pas. Les SRB ont leur place dans des villes de plus petite taille, qui n'ont pas les moyens d'avoir mieux. Des SRB à Laval ou Longueuil, ça fait du sens (tant que ces villes changent leur zonage pour créer des vrais centres-villes), mais à Montréal? Non. Les SRB ne sont pas des remplacements pour les tramways et les métros, ce sont des améliorations comparativement aux transports locaux par autobus, mais vraiment une coche en-dessous des transports par rails.

AJOUT (2013/08/24)

Le site de Mélanie Joly parle de SRB coûtant 4,8 millions le kilomètre, mais avec des voies dédiées, des stations fermées et climatisées ainsi que de la préemption aux intersections. Le chiffre avancé est complètement irréaliste.  Le Transmileno de Bogota a coûté 5,5 millions de dollars américains (au taux de change actuel) par kilomètre, et ça, c'est avec la main d'oeuvre de Colombie payée à une fraction du coût des travailleurs québécois. Le projet de SRB sur le boulevard Pie-IX était supposé coûter plus de 20 millions par kilomètre, et les stations proposées n'étaient pas climatisées, et le boulevard Pie-IX possède déjà des voies réservées. Le Rapibus de Gatineau qui entrera en fonction bientôt a coûté environ 21 millions par kilomètre, alors que la ville a pu construire la voie dédiée dans un corridor ferroviaire qu'il a acheté pour une bouchée de pains, évitant les expropriations ou le retrait de voies aux automobilistes qui seraient inévitables et coûteuses à Montréal.

Le chiffre avancé est donc tout à fait farfelu.

Le SRB, une fausse bonne idée. Partie 1: Qu'est-ce qu'un SRB

Montréal est présentement en campagne électorale municipale pour le 3 novembre. Bien que les enjeux principaux semblent être la corruption, il y a beaucoup d'autres enjeux qui sont très importants, surtout au niveau de l'urbanisme. Un d'entre eux est le transport en commun. Richard Bergeron du parti Projet Montréal a fait d'un projet de tramway sa pièce maîtresse au niveau du transport en commun. C'est un projet sur lequel tout le monde semble en accord en théorie, mais seulement Projet Montréal semble avoir la volonté politique de la réaliser à courte échéance.

Au contraire, Mélanie Joly, qui se targue d'être la candidate des jeunes et des idées novatrices, propose de remiser toute expansion du métro (sauf de la ligne bleue jusqu'à Pie-IX) et tout projet de tramway. Sa solution? Le SRB, le Service Rapide par Bus.

Qu'est-ce que le SRB

Pour expliquer le SRB, il est préférable d'expliquer un peu la base du transport en commun, il y a essentiellement trois types de transport en commun, que Jarrett Walker de HumanTransit.org qualifie de: local, express et rapide.

Le service local est un service d'autobus (normalement) ordinaire, avec des arrêts fréquents, à chaque 200 mètres environ, qui circule en général sur des voies partagées avec les voitures, et qui fait souvent beaucoup de détours pour maximiser la zone couverte. Le résultat est un service lent, mais qui atteint un grand nombre de personnes.

Le service express est un service qui ressemble au local, mais qui possède un long tronçon où il circule sans s'arrêter à grande vitesse. Par exemple, les lignes d'autobus de banlieue qui font le tour d'un quartier de banlieue éloigné puis embarquent sur l'autoroute pour amener le monde au centre-ville.

Finalement, il y a le service rapide. Comme son nom l'indique, sa caractéristique principale est la vitesse. Les arrêts sont plus espacés, de 400 à 800 mètres en général, et les arrêts sont conçus pour permettre l'entrée et la sortie rapide d'usagers (pensez au métro où des douzaines de portes s'ouvrent en même temps pour permettre aux gens de sortir et d'entrer rapidement). Comme ça, le temps passé aux arrêts est diminué, accélérant le service. Le service est généralement séparé de la circulation ordinaire, que ce soit avec des rails ou sur des voies réservées, de sorte que la congestion n'ait pas ou peu d'impact. Contrairement au service local, le service rapide est généralement en ligne droite, pour la vitesse, encore une fois. Son rôle est de relier le coeur de quartiers denses, chaque arrêt est à la fois origine et destination.


Les transports en commun utilisent différents moyens de transport, il y a les autobus, les métros, les tramways et autres SLR (systèmes légers sur rails), les trains de banlieue, les monorails, etc... Mais de loin le système le plus commun en Amérique du Nord est l'autobus. Toutefois, celui-ci est principalement utilisé pour faire un service local, qui peut être atrocement lent en ville. Le service rapide est plus couramment exploité avec des trains, des métros et des tramways.

L'idée du SRB, c'est de tenter d'utiliser les autobus pour offrir un service rapide, au lieu d'utiliser un métro ou un tramway. Pour ce faire, on copie les manières de faire des métros et des tramways:

  1. Le circuit est plus direct, avec moins de détours: cela réduit la distance à parcourir.
  2. Le nombre d'arrêts est réduit: au lieu d'un arrêt à chaque 200-300 mètres, on ne conserve qu'un arrêt par 400 à 800 mètres, ce qui limite le nombre de fois où les véhicules doivent s'arrêter.
  3. On adopte le pré-paiement et on permet l'entrée à partir de toutes les portes du véhicules: le pré-paiement consiste à payer son passage à l'arrêt, qui est souvent transformé en station plutôt qu'en simple arrêt, de sorte que le conducteur n'ait pas à contrôler chaque personne entrant dans le véhicule. Ceci permet d'accélérer l'embarquement qui peut même se faire à partir de chaque porte.
  4. On fait circuler l'autobus sur des voies réservées, voir sur une route exclusive aux autobus (busway): ceci permet aux autobus de ne pas être affectés par la congestion sur les artères principales.
  5. On accorde la priorité aux autobus aux intersections ou on modifie les routes pour éliminer les intersections: ceci permet également de diminuer le nombre de fois où les autobus doivent s'immobiliser.
Le résultat est un autobus beaucoup plus rapide, surtout en milieu urbain, et un service souvent plus fréquent et fiable pour les usagers. Si vous avez un trajet de 10 km, que vous avez 2 autobus et qu'ils circulent à 10 km/h en moyenne, vous ne pouvez offrir qu'un autobus à chaque 30 minutes, car ça prend une heure à chaque autobus de faire le trajet. Si la vitesse des autobus est augmentée à 30 km/h, alors vous pouvez offrir un service à chaque 10 minutes, sans acheter d'autre autobus.

Ce type de service existe à quelques endroits. Le système le plus près est à Ottawa, où les autobus circulent sur une route interdite aux voitures, le transitway, et où chaque arrêt est en fait une station comme une station de tramway. Les deux villes avec les systèmes de SRB les plus développés sont en Amérique Latine, soit à Curitiba au Brésil et à Bogotá en Colombie où le Transmileno est une route à deux voies par direction empruntée exclusivement par les autobus.

Les promoteurs de l'idée prétendent que le système peut être mis en place à une fraction du coût d'un métro (150 à 300 millions le kilomètre) ou d'un tramway (15 à 70 millions le kilomètre). Mélanie Joly mentionne entre autre un coût de 4,8 millions le kilomètre pour le réseau qu'elle propose, pour un total de 130 kilomètres de SRB pour le coût d'une ligne de tramway de 14 km telle que celle proposée par Projet Montréal.

Ça sonne si bien, alors pourquoi est-ce que je dis que c'est une fausse bonne idée? Je vais l'expliquer dans un prochain message.

mardi 20 août 2013

Ma ville natale, Boucherville #1: Une belle définition d'espace urbain

J'ai passé la quasi totalité de ma vie à Boucherville, une banlieue de Montréal sur la Rive-Sud. C'est une banlieue typique à plusieurs égards, mais qui est hautement prisée, plus que la majorité des autres banlieues sur la Rive-Sud. Elle s'est d'ailleurs retrouvée sur quelques palmarès des meilleures villes où élever des enfants au Canada.
http://www.moneysense.ca/2013/03/20/top-10-small-cities-in-canada/boucherville_450/

Boucherville est une ville que je connais bien, et elle a des réussites et des échecs flagrants au niveau de l'urbanisme. Mais comme je viens de la place, commençons par une de ses forces: ses rues invitantes et plaisantes pour la marche.

Un des gros problèmes des banlieues nord-américaines typiques est la faible définition d'espace public qu'elles offrent. En marchant dans leurs rues, nous n'avons pas l'impression d'être dans une ville, mais dans un champ dans lequel ont poussé des maisons. Le milieu n'est pas invitant du tout pour les marcheurs. (image de la Californie)


 Les rues de Boucherville sont, au contraire, beaucoup plus plaisantes. Voici un exemple typique:


Le secret? Premièrement, une rue plus étroite, comparez les voitures stationnées en bordure de la route de la première et de la seconde image. Dans la première, quatre voitures peuvent se situer à la même hauteur et avoir suffisamment de place pour que celles en mouvement n'aient même pas à ralentir. Dans la seconde, seulement trois voitures peuvent se trouver à la même hauteur. Si deux voitures sont stationnées sur le bord de la rue à la même hauteur, une seule voiture pourra se faufiler entre les deux. En plus, les routes larges incitent les automobilistes à l'excès de vitesse, ce qui effraie avec raison les piétons. Les rues de Boucherville sont à basse vitesse à cause de leur conception et de leur relative étroitesse.

Deuxièmement, il y a les arbres, BEAUCOUP d'arbres, la majorité située près de la bordure de la route. Ces arbres créent pratiquement un corridor vert.

Les deux éléments fonctionnent car ils créent un espace visuellement plus restreint et renfermé. Le piéton se sent donc enveloppé dans un espace urbain mieux défini. Le fait que l'on voit moins loin à cause des arbres permet au paysage de changer plus rapidement pour les piétons, ce qui rend la marche plus intéressante et donne une impression de mouvement. Dans le premier exemple, vous marchez une minute et rien ne semble avoir changé, dans le second, à cause des obstacles à la vue, vous ne pouvez plus voir les maisons que vous voyiez il y a une minute, et les maisons et arbres que vous voyez maintenant, vous ne pouviez pas bien les voir avant.

Cet effet est encore plus fort si les bâtiments sont rapprochés et plus collés, voici un exemple du Plateau-Mont-Royal.

Bref, pour avoir une ville où la marche est plaisante, il faut tenter de créer un espace visuellement plus restreint et offrir un paysage plaisant et varié. Toutefois, pouvoir avoir du plaisir à marcher est une chose... mais il faut avoir quelque part où on peut aller à pied. C'est là que Boucherville échoue. D'où je vivais, il fallait 30 minutes de marche pour atteindre le dépanneur ou le restaurant le plus près. Aller-retour, ça fait 1 heure, ce qui décourage la majorité du monde. Beaucoup de personnes marchent par loisir à Boucherville, peu marchent pour se rendre où que ce soit, en tout cas, pas dans le coin où j'habitais.

lundi 19 août 2013

Erreur d'urbanisme #1: quand la distance n'est pas la distance

J'ai déménagé à Lasalle, or même si cet arrondissement fait partie de Montréal et possède une bonne densité de population, c'est un arrondissement moche, conçu pour la voiture, au contraire des quartiers plus anciens comme Rosemont, Ville-Marie ou Ville-Émard.

Même si en théorie je suis à distance de marche de bien des commerces, la mauvaise planification urbaine conspire à rendre la marche difficile.

Voici un exemple patent, l'épicerie la plus proche.





À vol d'oiseau, l'épicerie se trouve à 400 mètres de chez moi. Ce n'est pas la porte d'à côté, mais je marche rapidement, alors je pourrais théoriquement faire le trajet en 3 ou 4 minutes... si j'avais des ailes (et que je volais à la même vitesse que je marchais). Mais comme vous pouvez le voir, ce n'est pas possible. Il faut que je suive les trottoirs, je fais face à un détour significatif:


Ce trajet est en fait d'une distance de 800 mètres à pied, soit 6 à 10 minutes à pied. C'est encore faisable car j'habite très près, mais l'accessibilité à la marche décline très rapidement avec la distance, donc seulement ceux qui habitent près de l'épicerie vont même penser y aller à pied. Cela limite drastiquement le potentiel de client arrivant à pied.

Quelle est la raison de ce détour? Il y en a deux.

La première, c'est le besoin de stationnement, qu'ils ont mis DEVANT les commerces, une très mauvaise habitude. Ainsi, 200 mètres du détour, soit la moitié de celui-ci, sont dus uniquement au stationnement.

La seconde, c'est l'obsession de la séparation des usages. L'épicerie est un usage commercial, les maisons sont un usage résidentiel, l'habitude dans l'urbanisme conventionnel est de tenter de séparer ceux-ci le plus possible. Parfois, c'est justifié (vous voulez une aluminerie dans votre cour arrière?), mais généralement, c'est absurde, comme c'est le cas ici. Ainsi, les commerces sont bâtis pour faire dos aux résidences et pour en être plus loin, pour que le milieu résidentiel soit strictement résidentiel. Le reste du détour est dû à ce fait.

Résolution

Quand je serai roi du monde, il sera résolu que tous les commerces devront avoir des entrées donnant directement sur le trottoir de la rue sur laquelle ils sont situés. C'est le stationnement qui devrait être situé en arrière des commerces, et non le contraire.

Bref, au lieu de ça:

 On aurait ça:
Pour les automobilistes, ça ne change pas grand chose. La distance à parcourir de leur voiture aux commerces est environ la même. Pour les piéton, cela coupe 2 à 3 minutes de leur trajet. En plus, des devants de magasins sont beaucoup plus beaux que des stationnement aux deux tiers vides, et la présence du bâtiment près de la route servirait à mieux définir l'"endroit" qu'est la route en question.

D'ailleurs, je réduirais de beaucoup la taille du stationnement, celle-ci est peut-être présentement imposée par le zonage de la ville. Non seulement la taille des stationnements actuels est excessive, plus de la moitié étant inutilisée en tout temps, mais si les commerces étaient plus favorables à la marche, alors moins de gens viendraient en voiture. L'espace ainsi récupéré pourrait être utilisé pour construire d'autres commerces ou des résidences mêmes.

Quelques principes: marche vs voiture

Je ne suis pas urbaniste de formation, mais selon mes connaissances et mes opinions, voici les principes qui devraient être la base de toute planification urbaine.

La voiture doit être un moyen de transport comme un autre, et non le seul moyen de transport viable et utile pour une ville. Dans une ville bien faite, la marche, la bicyclette ainsi que le transport en commun doivent être sécuritaires, utiles et confortables. Mais en fait, l'on réalise que l'on peut pratiquement tout résumer à la marche... Les intérêts des cyclistes sont en général assez près de ceux des piétons, et la viabilité du transport en commun est tributaire de la viabilité de la marche. Pratiquement aucun transport en commun ne prend les usagers de la porte de leur domicile jusqu'à la porte du magasin, du bureau ou de l'usine. Conséquemment, les usagers du transport en commun sont des piétons avant et après le trajet en transport en commun.

Malheureusement, les intérêts des automobilistes et des piétons sont contradictoires. Rendre la ville favorable à l'un la rend défavorable à l'autre.

Pensez-y, qu'est-ce qu'il faut pour que la marche soit facile? Le plus important, ce sont des faibles distances à traverser. Un piéton prend 10 à 15 minutes à parcourir 1 kilomètre. Pour que la marche soit viable plus que simplement pour l'exercice, il faut avoir une multitude de services et de destinations à proximité de notre domicile. Si ceux-ci sont trop loin et que ça prend 30 minutes atteindre le restaurant ou le dépanneur le plus proche, nous ne marcherons pas. Une ville plaisante pour les piétons, c'est donc une ville dense, avec des usages mixtes (commerces, services et bureaux intégrés dans des quartiers résidentiels plutôt que séparés).

Au contraire, la voiture a besoin de beaucoup, beaucoup d'espace. Alors que des piétons peuvent marcher confortablement dans une rue de 6 mètres de large, une voiture aura de la misère à s'y aventurer s'il y a de la circulation en sens inverse. C'est ironique, mais les voitures ont beau avoir une vitesse élevée, la CAPACITÉ de leurs chemins en personne par minute est la plus faible de tous les moyens de transport. Une route peut transporter de 1 600 à 2 000 voitures par heure pour une largeur moyenne de 3,5 mètres... un trottoir peut transporter le double facilement dans une largeur de 1,8 mètre, une ligne de chemin de fer peut transporter facilement 20 000 personnes par heure, et même plus, la ligne Yamanote à Tokyo transporte plus de 100 000 personnes par heure par direction. Donc pour gérer un débit élevé de voitures, il faut des routes très larges, beaucoup plus larges que pour les autres moyens de transport, des routes qui sont données exclusivement aux voitures, les piétons doivent les traverser rapidement, car ils ne sont pas en sécurité sur celles-ci.

En plus, les voitures ont besoin de stationnement... de BEAUCOUP de stationnement. Il faut un stationnement devant le domicile, puis devant le bureau, et devant les commerces et services que l'on fréquente. Le résultat est que les stationnements prennent une place gigantesque dans les villes conçues principalement pour la voiture.

Regardez ce centre commercial de Laval (image tirée de Google Maps), plus de la moitié de la surface est occupée par des stationnements, un espace gratuit offert aux automobilistes et qui ne peut être utilisé par rien d'autre que des voitures.



 Ces océans d'asphalte rendent la marche pénible car elles augmentent incroyablement les distances à parcourir, dans un lieu hostile aux piétons et complètement laid. Pour ce centre commercial, un piéton sur le trottoir devra traverser 110 mètres, une minute et demie à deux minutes de marche, en marchant à travers les voitures et en faisant attention pour ne pas être frappé, juste pour atteindre l'entrée du centre commercial.

Comme la voiture et la marche requiert des caractéristiques différentes des villes, il faut trancher. Et où trancher exactement? La logique indique qu'un compromis équitable est une ville où la marche est autant possible que la voiture. Comme la marche est plus sensible à l'organisation urbaine que la voiture, il faut concevoir des villes principalement pour la marche et non pour la voiture.

Introduction

Bon, je m'essaie...

Ceci est un blogue au sujet des enjeux d'urbanisme, de transport en commun et de choses du genre. Je suis né à Boucherville et suis récemment déménagé à Montréal, plus précisément dans l'arrondissement Lasalle, dans le but de vivre dans un milieu plus urbain et de pouvoir faire le plus de transport possible en transport en commun.

Suite à des voyages au Japon, j'ai été estomaqué par la conception des villes et des transports en commun là-bas, et pas seulement dans Tokyo, mais même dans des villes plus reculées. De retour au Québec, je me suis mis à être très inconfortable et même frustré de me retrouver à nouveau dans une ville (Boucherville) où j'étais presque prisonnier si je n'avais pas de voiture. Autrefois objet de liberté, ma voiture m'est apparue pratiquement comme un boulet. Depuis, je réfléchis en lisant sur les enjeux d'urbanisme pour comprendre d'où vient cet inconfort.

Je trouve cet enjeu passionnant, mais je manque d'opportunité pour en discuter, alors j'ai décidé de faire un blogue... bon, d'accord, c'est l'équivalent numérique de manquer de personnes avec qui parler et de décider d'aller hurler sur une falaise perdue dans le milieu des bois en espérant que quelqu'un nous entende, mais bon, on ne sait jamais.