mardi 25 février 2014

Les autoroutes urbaines en valent-elles le coût? Autoroute Décarie vs métro...

J'ai déjà expliqué pourquoi les autoroutes urbaines avaient des effets négatifs sur les développements urbains et sur les choix des modes de transport dans un article précédent sur l'importance de la vitesse dans la sélection des transports. Maintenant, j'aimerais souligner un autre point important à propos des autoroutes urbaines, en utilisant une comparaison.

Prenons l'autoroute Décarie, cette autoroute en tranchée de 6,4 kilomètres a été achevée en 1967, elle possède trois voies par direction, en supposant 2 000 véhicules par heure et 1,3 personnes par véhicule en moyenne, ça fait une capacité de 7 800 personnes par heure par direction.



En même temps que l'autoroute Décarie, on construisait le réseau initial du métro de Montréal, long de 25 kilomètres, composé de la ligne orange, la ligne verte et la ligne jaune. À noter que la ligne verte et la ligne orange n'étaient pas "complètes". Ça donnait quelque chose comme ceci:
Le métro de Montréal dispose d'une capacité d'environ 20 000 passagers par heure par direction.

Voici donc deux projets d'envergure impliquant beaucoup de travaux de déblayage ou en tunnel, réalisés en même temps. Voici le portrait des coûts:

Métro de Montréal
  • 25 km
  • 214 millions de dollars de 1967, soit 8,5 millions de dollars par kilomètre
  • 1 500 millions de dollars de 2012, soit 60 millions le kilomètre
Autoroute Décarie
  • 6,4 km
  • 370 millions de dollars de 1967, soit 58 millions de dollars le kilomètre
  • 2 600 millions de dollars de 2012, soit 405 millions le kilomètre
  • Avec les débits actuels, si l'autoroute avait été à péage, pour s'auto-financer il aurait fallu un péage de 36 cents le kilomètre parcouru.
Le tout veut dire que si nous avions choisi de ne pas construire l'autoroute Décarie, avec les prix de l'époque, il aurait été possible de construire:
  • 43 kilomètres additionnels de métro, soit assez pour faire Baie d'Urfé à Rivière-des-Prairie
ou
  • 100 km ou plus de trains léger en surface ou de tramways
Présentement, l'échangeur Turcot est en réfection, un projet de 3,7 milliards de dollars. Pour ce montant, aux prix actuels, on pourrait construire 20 kilomètres de nouveaux métros, soit assez pour finir la boucle de la ligne orange tout en allongeant de quelques kilomètres la ligne jaune. Alternativement, on pourrait faire le réseau de tramways de 100 km proposés par Projet Montréal il y a quelques années.

Conclusion


J'ai écrit cet article pour démontrer les sommes colossales qu'engloutissent les ouvrages autoroutiers en milieu urbain, des sommes que l'on accepte de dépenser sans rechigner ou même sans interrogation. On assume que ce sont toujours des coûts justifiés. Pourtant, pour ces mêmes sommes, nous pourrions augmenter significativement l'offre en transport en commun rapide qui offrirait une bien meilleure capacité que le réseau autoroutier et qui permettrait même de réduire les coûts des déplacements, car les coût d'opération des métros et tramways sont moins élevés par passager que ceux des autobus.

Avec un réseau de transport en commun rapide et bien intégré, la circulation sur le reste du réseau routier serait moindre, donc la congestion ne serait pas pire qu'elle l'est actuellement. Elle ne serait pas nécessairement meilleure, mais pas pire.

Les autoroutes urbaines ne sont pas qu'une mauvaise décision au niveau de l'urbanisme, mais également au niveau financier. Elles sont un trou sans fond.

Densification au sol vs densification en hauteur

J'ai déjà parlé de la densification dans un autre article, mais j'aimerais revenir sur le sujet pour différencier deux types de densification différents. La densification, bien entendu, implique d'augmenter la superficie résidentielle ou commerciale d'une superficie donnée: qu'on la mesure en population par kilomètre carré, en unités de logement par hectare ou en emplois par kilomètre carré ou autre.

Mais pour ce faire, il y a deux manières de densifier. Il y a la densification au sol et la densification en hauteur.

Prenons un cas typique de bungalows de basse densité:
Bungalows québécois typiques
Dans ce contexte, la maison fait 8 mètres par 15 mètres sur un terrain de 20 mètres par 30 mètres. 8 m fois 15 m, ça fait 120 mètres carrés. Le terrain, c'est 20 m fois 30 mètres, donc 600 mètres carrés. 120 mètres carrés sur 600 mètres carré, c'est 20% du terrain qui est occupé par un bâtiment.

Si on veut densifier, en général ça veut dire augmenter la surface bâtie sur ce terrain. La première manière, je l'ai déjà explorée dans un autre article, c'est la densification au sol. L'idée est d'augmenter la superficie du terrain qui est occupée par des bâtiments. Voici deux exemples de comment ceci peut être fait dans la superficie précédente:
Densification au sol 1

Densification au sol 2
Dans le premier cas, la superficie occupée par des bâtiments est de 30%, dans le second, c'est 40%. C'est une sorte de densification.

L'autre sorte de densification est la densification en hauteur, au lieu de construire des bâtiments plus rapprochés et étendus, on construit plus d'étages. On peut voir cette tactique dans les tours à condos qui poussent en banlieue ces temps-ci:
Densification en hauteur: condos en banlieue

Ici, les bâtiments n'occupent qu'environ 20% de l'espace, comme pour les bungalows, mais comme il y a 4 étages, en fait la superficie bâtie additionnée de tous les étages est de 80% de la superficie du terrain (ce rapport s'appelle le Floor-Area Ratio en anglais, coefficient d'occupation des sols en français ou indice de superficie de plancher).

La densification en hauteur est bien utile, surtout dans les bas étages. Si on passe de 1 à 2 étages, on double la superficie habitable. Si on passe de 2 à 3 étages, on augmente la superficie de 50%. De 3 à 4 étages, on augmente de 33%. De 4 à 5, de 25%, etc...


La densification à prioriser: constituer le tissu urbain

Quel type de densification devrait-on privilégier? Et bien, au niveau de l'urbanisme, la priorité est de constituer le tissu urbain. Qu'est-ce que le tissu urbain? Et bien c'est une continuité de bâtiments de part et d'autre des rues, donnant un ensemble continu urbain plutôt que des bâtiments épars séparés l'un de l'autre. Ce tissu urbain permet de fournir une impression de couverture des gens dans la rue.

Anjou: tissu urbain faible
Rosemont: tissu urbain fort
Dans les deux images précédentes, la densité en terme de logements par hectare est environ la même, la différence est que dans le premier, c'est une densité en hauteur surtout, dans le second, c'est une densité au sol surtout, avec des bâtiments limités en hauteur.

Quels sont les avantages d'un bon tissu urbain?
  1. Les bâtiments flanquant la rue protègent les piétons des vents, rendant la marche plus plaisante
  2. Il y a plus de choses à voir et à regarder, ce qui rend la marche plus intéressante.
  3. Les bâtiments sont plus ouverts, avec des portes et fenêtres fréquentes au niveau de la rue ou pas très haut, ce qui est une caractéristique rassurante pour les piétons et ce qui augmente la sécurité, par le principe du nombre de paires de yeux regardant la rue (eyes on the street). Comme il y a plein de témoins potentiels, la sécurité est accrue.
  4. La présence de personnes le long des rues favorise les rencontres sociales, transformant la rue en lieu social plutôt que simplement un lien de transport.
Il est donc préférable en banlieue, où la densité au sol est en général très faible, de limiter les hauteurs des nouveaux bâtiments afin de favoriser une augmentation de la superficie bâtie pour créer ce tissue urbain. Si on permet des bâtiments trop hauts, on risque d'obtenir la bonne vieille folie de tours dans des parcs, des tours élevées isolées les unes des autres. Le problème des banlieues qui impose les déplacements en voiture en rendant les autres modes de transport inutiles ou déplaisants restera entier.

Par contre, dans des quartiers possédant déjà un bon tissu urbain, comme Rosemont ci-dessus, alors la densification en hauteur doit être permise et encouragée. La réalité est que dans de tels quartiers, qui sont très prisés car possédant déjà de multiples services et alternatives de transport, la demande de logement est très élevée. Afin de construire des nouveaux logements, il faut permettre la construction en hauteur, ceci permettra d'utiliser à plein escient les quelques espaces vacants où des bâtiments peuvent être construits ainsi que d'ouvrir la porte au remplacement de bâtiment actuel de bas étage. Si on limite les bâtiments à 3 étages, pas exemple, et qu'on a un vieux duplexe en mauvais état, l'acheter et le remplacer par un bâtiment de 3 étages n'en vaudra pas la peine, ou plutôt, le coût d'acquisition du duplexe et de sa destruction rendrait le bâtiment construit en remplacement beaucoup trop dispendieux pour être abordable à la majorité de la population. Si on pouvait plutôt remplacer le duplexe par un bâtiment de 5 ou 6 étages, alors ça change la donne, car le coût du duplexe peut être amorti sur beaucoup plus de logements et ainsi dilué à un niveau acceptable.

L'absurdité actuelle

Pour résumer, l'idéal en terme de densification, c'est de limiter les hauteurs dans les quartiers étalés afin de densifier au sol en premier et de créer un tissu urbain serré. Dans les quartiers urbains, il faut relaxer les limites de hauteur afin de pouvoir continuer à densifier dans les quartiers attrayants, ainsi limitant la hausse du coût des logements.

En pratique, malheureusement, nous faisons souvent l'inverse. Les zonages des banlieues imposent aux bâtiments unifamiliaux des normes dimensionnelles très strictes au niveau des marges, des dimensions des lots, etc...
Chacune de ces caractéristiques est définie dans les zonages de banlieue
Le résultat est que la densification au sol est très difficile dans les banlieues, car il faut lutter à chaque fois contre chaque dérogation à chacune des caractéristiques de ce zonage. Chaque fois qu'il y a dérogation, les "pas dans ma cour" sortent en masse.

Le résultat est que la densification en banlieue se fait souvent en construisant des tours à condos dans des endroits encore non zonés ou avec peu ou pas de résidents, souvent en périphérie. Les bâtiments multifamiliaux ont également des normes définies en ce qui touche aux dimensions des lots et des marges, de plus que des normes de stationnement minimum excessives (par exemple, 1,5 stationnement par unité de logement). De plus, la création de bâtiments en hauteur réduit le besoin de bâtir plusieurs bâtiments, donc les "trous" dans le tissu urbain se remplissent moins vite car chaque trou est rempli par un bâtiment en hauteur qui réduit de beaucoup le besoin d'en construire d'autres. Le résultat est une densité respectable, mais un tissu urbain très pauvre. Les cyniques diraient "tous les désavantages de la densité, sans les avantages".

En ville, les militants anti-gentrification et les pas dans ma cour s'unissent contre les bâtiments en hauteur en imposant des limites d'étage très strictes. Ce qui réduit presque au néant les possibilités de densification. On permet, voir on demande, des bâtiments collés les uns aux autres occupant une grande part de la superficie du terrain, mais on ne tolère pas les bâtiments en hauteur. C'est absurde. Le tissu urbain est déjà fort, donc c'est inutile de limiter les hauteurs, la seule chose que favoriser plus de bâtiments mais des bâtiments de petite taille fait, c'est d'épuiser plus rapidement les quelques opportunités de densification qui existent. Dans ce contexte, il faut alléger les limites de hauteur pour densifier par le haut, car c'est la seule manière de densifier et même de renouveler les quartiers existants.

Bref, on fait exactement l'inverse de ce que l'on devrait faire.

vendredi 21 février 2014

Comparaison de villes conçues pour la voiture, Québec vs Asahikawa

J'aimerais faire une comparaison de deux villes de taille similaire, dont le mode de transport principal est la voiture, mais dont les cultures de développement sont diamétralement opposés. D'un côté, la ville de Québec, qui est souvent qualifiée de ville avec le plus de kilomètre d'autoroute par habitant au Canada, et de l'autre, Asahikawa, deuxième ville d'importance de la préfecture d'Hokkaido au Japon. Quelques comparaisons en chiffres:

Québec
  • 500 000 habitants
  • 316 cm de neige par année
  • Température maximale moyenne en bas de 0 degré celsius de décembre à février
Asahikawa
  • 350 000 habitants
  • 760 cm de neige par année
  • Température maximale moyenne en bas de 0 degré celsius de décembre à février
Dans les deux cas, les villes ont un mode de développement axé principalement sur la voiture. Ni Québec, ni Asahikawa n'ont de transport en commun rapide pour se déplacer en ville. Asahikawa a quelques lignes de trains régionaux pouvant jouer ce rôle, mais leur fréquence est trop faible pour le faire (un train à l'heure aux heures de pointe). Le transport en commun est donc essentiellement constitué d'autobus dans les deux cas.

 Donc les déplacements dans les deux villes sont faits pour favoriser la voiture, mais le schéma des rues est complètement différent.

Schéma des rues: concept de base

 

Il y a plusieurs manières différentes de concevoir les rues d'une ville. La manière traditionnelle est la grille:


La grille
 La grille est une manière très simple de faire une ville. Il y a quelques artères (en rouge), mais toutes les rues forment un quadrillage. Elle maximise les intersections et les chemins possibles à prendre pour se rendre où que ce soit. L'avantage principal pour la circulation automobile est une capacité très grande, les désavantages sont que la circulation de transit se trouve favorisée sur un grand nombre de rues, ce qui peut en perturber les résidents et la vitesse moyenne sur les rues tend à être plutôt faible.

Afin de solutionner le problème de la circulation de transit, il y a une forme transitionnelle qu'on pourrait appeler la "quasi-grille".
La quasi-grille
Les rues sont encore en grille, mais les branches sont décalées près des artères afin de décourager la circulation de transit au augmentant le nombre de virages requis à ceux qui traversent les rues non-artérielles. Toutefois, ces mouvements sont encore possibles.

Il y a un autre mode encore plus poussé qui est très prisé dans les banlieues. J'appellerais ça le style en canaux (je ne connais pas le nom technique) car les rues canalisent les déplacements sur quelques artères uniquement:
Les canaux
Ce style de rues règle le problème de la circulation de transit par les quartiers résidentiels en éliminant carrément les chemins de détour, ou en les rendant tellement long et difficiles que les gens abandonnent. En fait, tout mouvement d'un quartier à un autre se doit absolument de passer par les artères principales, il faut donc que les artères soient particulièrement grosses afin d'avoir une capacité suffisante, car essentiellement tous les déplacements emprunteront à un moment ou à un autre les artères.

Dans tous les styles de rue, les commerces et centres d'emploi vont préférer être sur les artères pour favoriser leur accessibilité à un plus grand bassin de clients ou d'employés potentiels. Toutefois, dans le mode en canaux, le résultat est plus que la concentration des commerces et emplois sur les artères, mais leur séparation physique des quartiers résidentiels. C'est ce qu'on appelle la "séparation des usages", qui peut être appliquée par les règlements municipaux dans tous les cas, mais qui est inscrit dans le roc dans le mode de développement en canaux.

Québec et Asahikawa

 

Tout d'abord, voici une idée des aires urbaines de Québec et d'Asahikawa:
Québec, aire urbaine en bleu

Asahikawa, aire urbaine en rouge
 On remarque tout de suite qu'Asahikawa semble être  plus concentrique que Québec, qui semble avoir un développement plus tentaculaire, suivant les autoroutes existantes (ce qui démontre mon article sur l'influence des autoroutes sur le développement urbain) . En parlant des autoroutes, comme c'est difficile à voir sur les images précédentes, voici les réseaux routiers des deux villes.
Réseau routier d'Asahikawa

Réseau routier de Québec
Les autoroutes sont en orange foncé. Notez qu'il n'y a qu'une seule autoroute à Asahikawa, et elle est en périphérie de la ville. Pire, l'autoroute est à péage, donc même aux heures de pointe, Google Maps indique aucune congestion car la majorité du monde l'évite. Au contraire, il y a 7 autoroutes à Québec qui fragmentent l'aire urbaine, sauf dans le vieux coeur de la ville. Il y a même une autoroute non identifiée comme telle sur la carte de Québec.

Il y a bien des traits jaunes dans Asahikawa qui portent le nom "Highway", mais voici de quoi ces routes ont l'air:
"Highway" d'Asahikawa
C'est plus un boulevard qu'une autoroute, on s'entend là-dessus.

Finalement, juste une comparaison de taille des aires urbaines des deux villes:
Aires urbaine: Asahikawa vs Québec
L'aire urbaine de Québec est plus étendue, mais on pouvait s'y attendre car la population est plus grande. Mais Asahikawa est plus compacte plutôt que tentaculaire. Quant à la densité de population, le centre-ville de Québec est beaucoup plus dense que le centre-ville d'Asahikawa. Québec est dense en son centre, mais très étalée en banlieue. Par opposition, la densité semble être répartie plus également à Asahikawa, dont les quartiers ont environ 30 unités de logement par hectare contre 10-15 pour la banlieue de Québec, donc une densité de 2 à 3 fois celle des banlieues de Québec.

La différence marquée au niveau des transports entre Asahikawa et Québec est due à la vitesse... Asahikawa n'a pas d'autoroute urbaine, les boulevards urbains sont limités à 50, voir 40, km/h. La vitesse pratiquée en voiture est donc de loin inférieure à celle pratiquée à Québec. La vitesse moyenne des itinéraires en voiture de Google est d'environ 20-25 km/h à Asahikawa. Conséquemment, les gens veulent habiter le plus près du reste de la ville que possible. Comme Québec a des autoroutes, le besoin de proximité spatiale est moins important, il suffit d'être proche d'une autoroute pour être proche de tout ce qui est proche des autoroutes dans la région, le seul problème étant la congestion aux heures de pointe.

Question de capacité: autoroutes contre la grille

 

Dans le raisonnement des planificateurs urbains et de transport du Québec, la mobilité requière des autoroutes, la capacité du réseau routier est estimée par les autoroutes. Quand une route vient au point de saturation, on pense à ajouter une autoroute. C'est une vraie obsession. Et ce qui caractérise une autoroute est une route séparée des rues, que l'on peut accéder uniquement par des échangeurs qui sont rares, un à chaque kilomètre ou plus. Il n'y a pas d'intersections sur une autoroute, seulement des bretelles d'entrée et de sortie.

Comme le réseau routier de Québec repose sur les autoroutes, son schéma routier est le mode en canaux, les autoroutes formant les canaux principaux de la ville.

Par opposition, Asahikawa a un système principalement en grille, ou en quasi-grille.

La comparaison de la capacité routière peut être très intéressante. Voici d'abord la section nord de Québec:
Voies nord-sud dans le nord de Québec
Sur une largeur de 8 kilomètres, il n'y a que 7 voies par direction sur des routes nord-sud qui permettent les déplacements tout droits d'un quartier à l'autre. L'équivalent de 1,14 kilomètre par voie.
Voies nord-sud dans une section d'Asahikawa
Dans l'image précédente, trouver les artères étaient assez difficile à cause de la forme en quasi-grille, des rues droites sur plusieurs centaines de mètre pouvaient finir sur des culs-de-sac. Mais j'ai trouvé un truc: les feux de circulation sont identifiés, alors les artères sont les rues avec des feux de circulation. Le résultat est 6 voies par direction nord-sud pour une distance de 1,7 kilomètre, soit 280 mètres par voie environ.

Même en tenant compte de la capacité par voie inférieure des rues d'Asahikawa, qui peut être la moitié de la capacité d'une voie d'autoroute, la capacité du réseau routier d'Asahikawa est probablement deux fois plus grande que celle du réseau routier de Québec et de ses autoroutes.

Vitesse et capacité sur le réseau routier sont deux choses complètement différentes. Ce n'est pas parce qu'une route permet une vitesse élevée qu'elle a nécessairement une meilleure capacité.

Au Québec, on priorise la vitesse en construisant des autoroutes, mais ces autoroutes coûtent un bras à construire (20-30 millions le kilomètre en milieu rural, 100 millions et plus le kilomètre en milieu urbain) et prennent beaucoup de place, donc on ne peut en construire beaucoup. Le résultat est que les autoroutes congestionnent rapidement. Au nom de la vitesse, on obtient de la congestion importante aux heures de pointe. À Asahikawa, la vitesse est une préoccupation secondaire, la capacité routière semble privilégiée. Ça ne va peut-être pas vite, mais la congestion doit être bien moins fréquente, donc la vitesse des déplacements en automobile est plus fiable, variant moins durant les périodes de la journée.

Impacts du réseau routier sur les autres modes de transport


Le schéma de rues a des impacts sur tous les modes de transport. Le réseau routier de Québec, par sa vitesse élevée, sa canalisation sur les autoroutes et sa séparation des usages inscrite dans la configuration de la ville, est très hostile aux déplacements à pied ou en vélo. Quand les rues sont conçues pour décourager la circulation automobile de transit en imposant des détours et en créant des dédales comme des labyrinthes, on décourage en même la temps les piétons et les cyclistes, qui sont plus sensibles aux distances à parcourir que les automobilistes. Les schémas de rue en grille ou en quasi-grille aident donc les piétons à raccourcir leurs déplacements et à planifier plus aisément leurs trajets.

La vitesse inférieure de la grille d'Asahikawa favorise également sinon la mixité des usages au moins la proximité entre eux. Les commerces et bureaux sont plus près des quartiers résidentiels. Le résultat étant que la marche et le vélo sont beaucoup plus viables à Asahikawa qu'à Québec.

Les rues d'Asahikawa sont également beaucoup moins larges que celles de Québec, mais plus que dans la majorité des villes japonaises, probablement à cause de la neige. Les rues font en moyenne de 6 à 9 mètres de large, et les bâtiments sont proches des bordures des rues, contrairement à 9 à 14 mètres avec des dégagements importants de chaque côté à Québec. Le résultat est que la circulation est apaisée, pas par le schéma du réseau routier, mais par la forme de la rue en elle-même.
Rue typique à une voie par direction à Asahikawa
Rue typique à une voie par direction à Québec
Le résultat de tout ça, c'est que 82% des déplacements à Québec se font en voiture, contre 73% à Asahikawa. La différence, c'est dans la marche. plus de 20% des déplacements à Asahikawa se font à pied, contre moins de 10% à Québec. Et si on ne regardait que les banlieues de Québec, le nombre de déplacement à pied tomberait facilement à 5% ou moins. Ça peut ne pas paraître beaucoup, mais 73%, c'est proche de la part modale de la voiture à Montréal, Ottawa et Toronto. Le tout sans métro, sans tramway, sans SRB, sans blocs appartement à perte de vue, seulement en ayant un mode de développement axé sur la voiture moins hostile aux autres modes de déplacement et avec une densité plus élevée dans toute la ville (mais restant clairement en-dessous de la densité observée dans les grandes villes).

Le but de cette comparaison n'est pas de monter Asahikawa comme ville exemplaire. À plusieurs égards, elle témoigne des problèmes communs aux villes conçues pour la voiture: séparation des usages, larges stationnements hors rue à plusieurs endroits, etc... Mais elle démontre que même en terme de conception urbain fondée sur la voiture, il y a moyen de faire différent des pratiques québécoises.

lundi 17 février 2014

Densification et stationnement

Quand on parle de densification de quartiers existants, il y a souvent une tranche de la population qui s'y oppose. La raison énoncée est souvent le supposé "caractère" du quartier, ce qui veut tout dire et rien dire à la fois. Cette expression cache souvent d'autres raisons plus concrètes, parmi celles-ci: le stationnement.

C'est une raison particulière aux secteurs déjà urbanisés, principalement ceux qui utilisent beaucoup le stationnement sur rue. La crainte est que l'arrivée de nouveaux résidents, surtout dans des habitations denses avec peu de stationnement hors rue, risque d'amener un plus grand nombre de voitures sur les rues, rendant plus difficile le stationnement des résidents actuels. C'est un des problèmes majeurs de l'utilisation des stationnements sur rue (dont j'ai déjà parlé en long et en large).

Pour compenser ça, on utilise souvent des normes de stationnement minimum excessives, bref on impose légalement la construction d'un nombre excessif de stationnements hors rue. Mais ces stationnements excessifs réduisent la densité des nouveaux développements car ils occupent beaucoup de place inutilement. On peut les construire sous les bâtiments dans des garages, mais faire ainsi coûte de 20 000$ à 30 000$ par place de stationnement, ce qui se répercute sur le prix des logements.

Entre imposer la construction d'un nombre excessif de stationnements hors rue et bloquer les projets de haute densité, y a-t-il une alternative? Il y en a une, venant... encore... du Japon.

La solution japonaise...


Contrairement à nos amis urbanistes américains, les Japonais n'aiment pas les stationnements sur rue en général. Il faut dire que les rues sont déjà très étroites, fréquemment de seulement 5-6 mètres de large, sans trottoir. Donc si le stationnement sur rue est fortement utilisé, l'espace restant sera minime sur la rue. Ça va s'il n'y a qu'une voiture ou deux stationnées sur une rue de 150 mètres, mais s'il y a une file de voitures, ça devient invivable rapidement. Il faudrait mettre toutes les rues à sens unique et la cohabitation piétons, cyclistes et automobiles s'en trouverait vite compliquée.

Lorsque la motorisation est venue au Japon dans les années 50, le problème a rapidement été identifié. Les autorités se trouvaient devant une impasse. En Amérique du Nord et en Europe, afin de laisser plus d'espace aux automobiles stationnés, on a réduit bien souvent les trottoirs au maximum pour donner plus d'espace aux voitures. Mais il n'y a pas de trottoir à sacrifier dans les villes japonaises. Imposer des stationnements hors rue excessifs ne semblaient pas non plus populaire, et ça ne réglait pas le problème des quartiers existants.

Que faire? Que faire?

La solution qui a été adoptée avait le bénéfice d'être simple, comme les meilleures solutions le sont en général. Des normes de stationnement minimum ont été adoptées, mais elles sont minimes au point d'être inexistantes (par exemple, une place de stationnement par 4 unités de logement dans les blocs appartement). Ce n'est pas là que les Japonais ont trouvé la solution.

La preuve de stationnement


Les autorités japonaises ont décidé d'adopter une politique déléguant la responsabilité de trouver des places de stationnement hors rue aux individus sans l'imposer à tous. Elles ont obtenu ce résultat en demandant une preuve de stationnement comme condition à l'immatriculation d'une voiture.

Disons-le clairement: au Japon, pour pouvoir immatriculer son véhicule (une nécessité pour l'utiliser sur la voie publique), il faut présenter au département automobile une preuve que l'on dispose d'un stationnement hors rue où on peut stationner notre voiture.

Si les gens n'ont pas de stationnement hors rue, alors ils ne peuvent pas immatriculer leur véhicule. ce qui empêche pratiquement les gens d'acheter une voiture.

Mais le but de cette règle n'est pas d'empêcher les gens d'acheter une voiture.  C'est important à souligner. D'ailleurs, si c'était l'objectif, c'est raté... il y a environ autant de voiture par habitant au Japon qu'au Canada.

Le but est de créer une demande pour des stationnements hors rue. Les gens voulant avoir une voiture mais ne possédant pas de place de stationnement partent à la recherche de stationnement à louer. Cette demande est satisfaite car des gens flairent la bonne affaire et offrent des espaces inutilisés sur leur terrain en location, voir achètent des lots en quartier résidentiels pour en faire des stationnements hors rue dont ils louent les places. Si quelqu'un est prêt à dépenser 20 000$ et plus pour une voiture en plus des frais annuels pour son fonctionnement, ce n'est pas 50$ ou 100$ par mois pour louer une place de stationnement hors rue qui l'en dissuadera.

Par contre, dans les grandes villes, où les terrains valent très cher, les stationnements hors rue sont très dispendieux, ce qui crée un incitatif pour se passer de voiture. À noter que ce n'est pas que les gens en ville sont punis d'avoir des voitures... c'est qu'ils doivent payer ce que ça coûte pour le stationnement, qui n'est plus subventionné ou caché dans le prix du logement.

Le résultat


Le résultat de ce système, c'est que chaque propriétaire de voiture dispose à proximité de sa résidence d'un stationnement hors rue. Ainsi, les stationnements sur rue sont peu utilisés car les résidents, qui sont ceux qui utilisent le stationnement sur rue dans les quartiers résidentiels la grande majorité du temps, ont tous des places de stationnement hors rue. Les visiteurs peuvent alors utiliser les stationnements sur rue, et comme il y a peu de visiteurs en général, les rues sont majoritairement vides de voiture la grande majorité du temps, et que quelques voitures à la fois même quand il y en a, ce qui limite les désagréments pour les autres usagers de la route.

C'est un système qui fonctionne très bien et qui est très gracieux. Il évite de créer une surabondance de stationnement ou d'interdire la densité. Il n'y a que le nombre de stationnement que la population veut. Quand il y a trop de stationnement, des stationnements sont vendus pour construire des maisons à la place. Quand il manque de stationnement, ça peut devenir rentable d'acheter une maison en mauvais état pour la remplacer par un stationnement hors rue.

Rien ne nous empêche de transposer ce système ici. Pour la majorité des Québécois habitant dans des quartiers avec surabondance de stationnement, ça ne changera rien, ils auront beaucoup de preuves de stationnement juste avec leur terrain. Pour les quartiers plus denses, ça peut être très utile. On peut même intégrer les stationnements sur rue dans ce système, en distribuant des preuves de stationnement résidentiel sur rue que l'on pourrait louer aux résidents, un peu comme les permis de stationnement actuels. Par exemple s'il y a de la place pour 60 voitures des deux côtés de la rue, on pourrait distribuer 30 preuves de stationnement résidentiel sur cette rue. 

Même pas besoin d'utiliser la police pour imposer cette règle, car tous les résidents possédant une voiture dans le coin devraient avoir une preuve de stationnement à proximité pour avoir une voiture. Donc tout résident qui possède une voiture à l'endroit a une place pour stationner sa voiture. S'il y a 50 voitures sur une rue qui a 30 preuves de stationnement, les 20 voitures restantes ont des stationnement ailleurs, et seront donc généralement stationnées à ces endroits, et non sur la rue.

C'est quoi le rapport avec l'opposition à la densification?


Et bien, le rapport c'est que ce système assure aux gens que leur place de stationnement actuel restera disponible sans être surchargée par l'arrivée de nouveaux résidents. Ça peut soulager leurs inquiétudes, car ils savent que même s'il y a plus de monde, ces gens devront se trouver des places de stationnement ailleurs afin de pouvoir immatriculer leur véhicule, et ils ne surchargeront pas les places existantes.

vendredi 14 février 2014

Retour sur le péage autoroutier et sur l'utilisateur-payeur

J'en ai déjà parlé dans un autre article, mais je reviens sur l'enjeu de l'utilisateur-payeur, de la taxe sur l'essence et du péage autoroutier.

Utilisateur-payeur

La notion de l'utilisateur-payeur est une notion qui, du moins dans le cas qui nous concerne, fait le consensus de toutes les idéologies cohérentes. 

La mentalité libérale n'aime pas les subventions ou les produits fournis gratuitement, mais croit que tous doivent payer le prix du marché des biens et services qu'ils consomment. Toute subvention consiste en une "distorsion" des prix du marché en cachant les informations contenues dans le prix des biens et services.

La mentalité sociale-démocrate ou dirigiste dit également qu'il faut utiliser les subventions et les taxes comme carottes et bâtons afin de guider les choix des individus pour favoriser des choix qui sont plus bénéfiques pour la société. S'il y a un comportement bénéfique pour un individu mais avec beaucoup de conséquences néfastes pour la société, alors il est justifié de taxer ce comportement et de subventionner les comportements alternatifs plus bénéfiques.

Finalement, la mentalité écologiste prescrit de faire payer aux individus le plein prix des ressources limitées qu'ils utilisent afin d'en décourager l'abus. Si les coûts sont collectivisés mais que les bénéfices sont individualisés, alors on incite les gens à gaspiller les ressources que nous avons.

La seule mentalité contre l'utilisateur-payeur est le populisme. Ce n'est pas une mentalité cohérente, mais c'est quand même toute une résistance. Quand la population est habituée de payer un prix subventionné d'un bien, il est difficile de réintroduire un prix élevé, et ceci même si la subvention entraîne des coûts indirects à toute la société, et donc que la majorité fait les frais des abus. Un coût direct est toujours plus déplaisant qu'un coût indirect, caché dans un taux d'impôt ou de taxe.

Pourquoi appliquer l'utilisateur-payeur aux routes?

Utiliser l'utilisateur-payeur aux routes a une simple raison: si les routes sont subventionnées, on incite les gens à utiliser de plus en plus la voiture. Cette surutilisation de la voiture a plusieurs conséquences:
  1. Sur le plan économique: la voiture est un moyen de transport très dispendieux, si on incite ou on impose l'usage de la voiture, la part des dépenses en transport dans l'économie augmentera, ce qui réduira la qualité de vie, car ça veut dire que le transport accapare plus de ressources que nécessaire.
  2. Sur le plan commercial: le secteur de l'automobile au Québec entraîne un déficit commercial titanesque, entre 15 et 20 milliards de dollars par année qui affaiblissent notre économie*. Le Québec ne produit pas de pétrole, pas de voitures et à peine de pièces automobiles. Tout est importé.
  3. Sur le plan environnemental: la voiture pollue beaucoup et contribue aux changements climatiques.
  4. Sur le plan social: la congestion et la circulation automobile nuisent beaucoup à la qualité de vie des résidents des villes.
Ce bilan nous met devant une évidence: l'usage de la voiture a de graves conséquences collectives, il faut que l'individu ait des incitatifs à faire des choix réduisant les coûts sociaux et non à abuser des routes.

Pourquoi la structure actuelle de financement du réseau routier ne fait ni queue ni tête

Présentement, le réseau routier est financé d'une multitude de façons.
  • Les rues locales sont financées par les taxes sur la propriété dans les villes.
  • Les travaux de construction et de réfection du réseau routier provincial sont financés par un mélange de contributions sur les immatriculations et permis ainsi que par la taxe d'accise sur le carburant.
  • L'entretien et la gestion du réseau est financé par les taxes et impôts (budget du MTQ)
Le réseau local n'est donc pas du tout de l'utilisateur-payeur, ce sont les résidents qui paient pour les rues et boulevards municipaux par leurs taxes sur la propriété. Le financement de la gestion du réseau routier et de l'entretien hivernal n'est pas de l'utilisateur-payeur non plus, étant financé à partir du fond général du gouvernement.

Ça laisse le financement des travaux de construction, réfection et réparation, qui relève du FORT (FOnd des Réseaux de Transport terrestre). Ce financement vient de deux sources majeures: une partie des cotisations d'immatriculation et de permis, et la taxe sur l'essence.

Les cotisations d'immatriculation et de permis ne varient pas selon l'usage des réseaux routiers, ce ne sont pas de l'utilisateur-payeur. La taxe sur l'essence est la source de financement qui s'approche le plus de l'utilisateur-payeur. En théorie, plus on conduit, plus on consomme de l'essence, plus on paie de la taxe sur l'essence.

La taxe sur l'essence, inappropriée pour l'utilisateur-payeur

Un tarif d'utilisateur-payeur approprié pour la voiture se mesure en cent par kilomètre parcouru. Plus l'infrastructure (la route) coûte cher à construire et à entretenir, plus l'on devrait payer cher. Et à ce niveau, rien ne coûte plus cher qu'une autoroute.

J'avais déjà estimé le coût du réseau provincial en moyenne à environ 7 cents le kilomètre parcouru, et bien cela représente le tarif moyen, la moyenne de toutes les autoroutes (les 2 200 km d'autoroute du Québec), les routes nationales et régionales et les collectrices. En tout, ça fait 29 000 km de routes provinciales.

Combien coûte les autoroutes par kilomètre parcouru? On peut approximer le tout en regardant les autoroutes à péage partout dans le monde.
  • Au Japon, le péage moyen sur les autoroutes est de 25 yen le kilomètre, soit environ 28 cents le kilomètre en devise canadienne. Il faut dire que le Japon est très montagneux et que construire des autoroutes est très dispendieux car il faut faire plein de tunnels et de sections surélevées.
  • En France, les autoroutes ont été privatisées et le péage moyen est de 8,5 centimes par kilomètre, l'équivalent d'environ 11 cents le kilomètre. La France est relativement plate sauf pour quelques montagnes et les travaux en génie civil sont relativement abordables.
  • En Ontario, l'autoroute 407 est un PPP financé uniquement avec les péages. Ceux-ci varient de 20 à 27 cents le kilomètre, mais il y a une marge de profit de 20%, on parle donc d'environ 16 cents le kilomètre.
On peut donc estimer le coût d'un kilomètre parcouru en autoroute à entre 10 et 15 cents au Québec. Ce qui voudrait dire que le coût d'un kilomètre parcouru sur une route nationale ou régionale serait probablement aux alentours de 4-5 cents le kilomètre.

Pourquoi les autoroutes sont plus cher? Parce qu'une autoroute ne peut pas avoir d'intersection, elle ne peut avoir que des échangeurs, ce qui veut dire tunnels et viaducs à répétition. Les autoroutes requièrent également de larges terrains dégagés pour la sécurité au cas où les conducteurs prendraient le fossé. Pour assurer une vitesse élevée, il faut des trajets droits avec peu de courbes, ce qui coûte également cher.

Bon, est-ce que c'est ce qu'on paie? Voyons voir...

Exemple 1: banlieusard éloigné

Imaginons un banlieusard de banlieue éloignée, un cas assez extrême. Celui-ci utilise principalement des autoroutes pour se déplacer et il fait 25 000 kilomètres par année, dont 20 000 kilomètres sur l'autoroute, le reste sur le réseau municipal. Voici ce qu'il paiera en frais pour les infrastructures routières:
  • 150$ par année à travers les frais d'immatriculation et de permis de conduire (ce qui exclut les contributions à la SAAQ)
  • Comme il conduit surtout sur l'autoroute, sa consommation d'essence sera basse, admettons 7 L/100 km. À 20 cents le litre comme taxe sur l'essence, le tout représente 350$.
  • Total: 500$, ou 2 cents par kilomètre parcouru
Et combien coûte-t-il au gouvernement provincial?
  • Il roule 5 000 km sur le réseau municipal, qui est financé par les taxes sur la propriété, donc payé par les villes, coût pour le provincial: 0$
  • Il roule 20 000 km sur l'autoroute, qui coûte environ 10 cents par kilomètre parcouru au gouvernement provincial: 2 000$
  • Coût total: 2 000$ ou 8 cents par kilomètre parcouru
Le banlieusard dans l'exemple contribue donc 500$ au réseau provincial, mais son utilisation du réseau entraîne une dépense de 2 000$, un manque à gagner de 1 500$. C'est une subvention significative. Par comparaison, si ce banlieusard a un salaire de 40 000$, il paiera 4 200$ en impôt provincial, maximum. Cette subvention représente donc l'équivalent de presque 40% de la valeur de l'impôt provincial.

Qui donc finance ce manque à gagner?

Exemple 2: l'automobiliste montréalais

Voyons voir maintenant un automobiliste montréalais, qui fait 8 000 km en moyenne dans sa voiture, presque exclusivement sur le réseau local. Voici ce qu'il paiera:
  • 150$ par les contributions d'immatriculation et de permis de conduire
  • Comme il conduit surtout en ville, supposons une consommation d'essence de 12 L/100 km.  Ça fait environ 200$ en taxe sur l'essence.
  • Total: 350$, ou 4,4 cents le kilomètre parcouru
Et combien coûte-t-il au gouvernement provincial?
  • Il roule 8 000 km sur le réseau municipal, financé par les taxes sur la propriété, donc 0$
  • Il roule 0 km sur le réseau provincial, ou environ, donc 0$
  • Coût total: 0$
Cet automobiliste urbain va donc payer 350$ pour des infrastructures routières qu'il n'utilise pas.

Utilisateur-payeur inversé: un incitatif pervers

Le résultat de ce système, c'est que plus les gens utilisent l'autoroute, moins ils paient cher pour le réseau routier, car l'autoroute permet de réduire la consommation d'essence et augmenter le kilométrage permet d'amortir la contribution annuelle de l'immatriculation et du permis. Or, au niveau de l'utilisateur-payeur, c'est l'inverse qu'on veut: comme les autoroutes sont beaucoup plus dispendieuses que les routes régulières et les rues à construire et entretenir, il faudrait avoir une structure tarifaire où il est plus dispendieux d'utiliser l'autoroute que d'utiliser des rues ou des routes nationales. Ainsi, on peut décourager l'abus des autoroutes, un abus qui mène à de la congestion et à la construction de plus d'autoroutes et à des élargissements des autoroutes existants.

Cette structure tarifaire est également une subvention extraordinaire à l'étalement urbain, représente une subvention de plusieurs centaines de dollars, voir même de mille dollars et plus par banlieusard éloigné. Cela favorise également les centres commerciaux et les parcs industriels isolés des quartiers résidentiels, sur le bord de l'autoroute. Des endroits peu accessibles autrement qu'en voiture, et donc qui imposent l'achat de voiture et leur utilisation pour accéder aux emplois et commerces y étant situés.

De quoi aurait l'air l'utilisateur-payeur?

 Pour l'utilisateur-payeur, voici de quoi devrait avoir l'air les tarifs pour les voitures:
  • Élimination de la contribution au réseau routier des tarifs d'immatriculation et de permis, donc 150$ de moins, car c'est une charge qui n'est pas variable à l'utilisation
  • Les rues municipales devraient être financées par la taxe sur l'essence et non par les taxes sur la propriété. Environ 40-50% des revenus de la taxe sur l'essence devraient y être consacrés, en étant transférés aux villes. La taxe sur l'essence devrait probablement augmenter de 10 cents le litre (mais en éliminant la taxe fédérale, donc le prix de l'essence devrait rester stable)
  • Péage sur toutes les autoroutes de 10 cents le kilomètre parcouru
Dans l'article précédent sur le sujet, je disais ne pas être en faveur des péages sur les autoroutes, même si je n'arrivais pas à expliquer mon refuse de supporter cette mesure rationnellement... et bien, j'ai évolué. Je crois maintenant qu'introduire un péage sur toutes les autoroutes québécoises est une mesure positive qu'il faudrait prendre.

* Sources pour les importations et exportations du Québec:
http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/comrc_exter/comrc_inter_inter/imp_prod_2012.htm
http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/comrc_exter/comrc_inter_inter/exp_prod_2012.htm

vendredi 7 février 2014

L'importance de la vitesse

L'urbanisme ne peut pas se dissocier de l'étude des transports. À la base, tous les développements urbains suivent toujours les axes de transport disponibles. Au Québec, toutes les villes les plus importantes, soit Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay, Saint-Jean-sur-Richelieu, Gatineau, sont toutes situées sur les berges de fleuve ou de rivières, car à l'époque, c'était les voies maritimes qui représentaient les liens de transport les importants.

Pareillement, le caractère des développements sera influencé par les axes de transport principaux. Une ville bâtie autour de lignes de trains et de métros sera bien différente d'une ville bâtie au coeur d'un réseau d'autoroute.

Et quand il y a compétition entre différents modes de transport, c'est-à-dire entre la marche, le vélo, les transports en commun et la voiture, qu'est-ce qui dicte quel transport l'emportera? Qu'est-ce qui fait en sorte que seulement 37% des déplacements à Munich se font en voiture contre 88% des déplacements à Houston au Texas?

En un mot: la vitesse.

Il y a d'autres facteurs, comme le coût, la sécurité et le confort, mais le facteur primordial, c'est la vitesse. Plus précisément la vitesse relative des modes de transport entre eux. Un moyen de transport peut être excessivement confortable et ne rien vous coûter, mais si vous perdez trois heures dedans à chaque fois que vous allez quelque part, alors qu'un autre moyen de transport vous y amène en 15 minutes, vous ne le prendrez jamais.

Donc, plus un moyen de transport est rapide, plus il sera attirant. Or, en terme de vitesse, la voiture a souvent un avantage. Elle peut aller bien plus vite que nous pouvons nous déplacer à pied ou à bicyclette, et contrairement aux transports en commun, elle n'a pas à s'arrêter périodiquement pour faire monter ou débarquer des usagers, elle n'a pas d'attente obligatoire avant d'embarquer non plus.

Prenons une rue typique, avec des intersections, des feux et des arrêts, sur laquelle circule des piétons, des cyclistes, des autobus et des voitures, sans voie réservée. Quelle est la vitesse de chaque mode? Et bien, la voiture ira à 30 km/h en moyenne (à cause des arrêts et des feux ainsi que la limite de 50 km/h), l'autobus ira à 15 km/h en moyenne (pour une ligne d'autobus avec une forte fréquentation) et les piétons iront à 5 km/h.

Une ville de base

De quoi aurait l'air une ville avec seulement des rues de ce genre? Et bien les gens typiquement vont tolérer une distance d'environ 45 minutes avec leur lieu de travail, si une ville a un centre-ville très fort, les gens pourraient vouloir habiter à 45 minutes ou moins du centre de la ville. Si la ville a des rues en grille est-ouest et nord-sud, le résultat est qu'il y aura trois "zones", trois typologies marquées de la ville.


La zone en vert est la zone où la marche est un moyen de transport viable pour atteindre le centre-ville. La zone orangée est celle où la marche n'est plus viable, mais le transport en commun l'est encore. Finalement, la zone en rouge est celle où seule la voiture est viable pour atteindre le centre-ville. Ces zones vont représenter des différences marquées en terme de la forme des développements. La zone verte sera dense et à usage mixte, car les piétons ont besoin de proximité et n'ont pas besoin de beaucoup d'espace pour leurs déplacements. La zone orangée ressemblera beaucoup à la zone verte, mais un peu moins dense, car les usagers du transport en commun sont également piétons et voudront de la proximité pour leurs déplacements secondaires (épicerie par exemple). La zone rouge sera de l'étalement urbain. Comme le seul moyen de transport viable est la voiture et que celle-ci requière beaucoup d'espace, les développements seront moins dense.

De quoi aurait l'air la part modale des déplacements dans cette ville? Et bien, la surface rouge représente 74,5% de la superficie de la ville, la surface orangée en représente 22,5% et la surface verte, 3%. Mais c'est sans compter la densité plus importante des zones vertes et orange. La population de la ville serait probablement répartie comme suit: 10% dans les zones vertes, 40% dans les zones orangées et 50% dans les zones rouges.

Mais toutes les villes ne ressemblent pas à ça. Les villes peuvent avoir plusieurs "centres" qui réduisent l'importance de lien rapide vers le centre-ville par exemple. Mais si on ignore ce facteur, il y a un autre élément qui sera marquant dans le développement de la ville: les liens rapides.

Les liens rapides

Il est très rare que les villes soient constituées uniquement de rues à 50 km/h que tous les usagers peuvent prendre. Il y a de nos jours très fréquemment des liens rapides, qui viennent sous deux formes principales, la première est l'autoroute, la seconde est les lignes de transport en commun rapide (trains, métros, train léger, tramways, SRB).

L'autoroute, comme son nom l'indique, est une route réservée aux voitures, sur laquelle celles-ci peuvent conduire à vitesse constante, sans s'arrêter, car il n'y a aucune intersection, aucun feu de circulation et aucun arrêt. On ne peut qu'entrer et sortir de l'autoroute qu'à partir de certains échangeurs distancés en général de quelques kilomètres de distance. En général, la vitesse moyenne sera d'environ 100 km/h.

Les transports en commun rapides sont un peu similaires... leur nombre d'arrêt est limité et ils sont situés sur des voies exclusives où ils peuvent atteindre des vitesses importantes. Mais les arrêts nécessaires font en sorte que la vitesse moyenne est limitée à environ 40 km/h.

Ces liens rapides sont des raccourcis... mais les autoroutes sont essentiellement des raccourcis seulement pour les voitures. Les piétons n'y ont pas accès et les autobus peuvent les emprunter, mais seulement en mode express, vers le centre-ville, donc une flexibilité pourrie. Si on prend notre ville de base et qu'on ajoute deux autoroutes, une dans l'axe est-ouest et l'autre dans l'axe nord-sud, des terrains qui autrefois étaient trop loin du centre sont désormais à une distance acceptable. L'important est d'habiter à proximité d'un échangeur. Donc, si l'autoroute à partir d'un échangeur permet d'atteindre le centre-ville en 15 minutes, on tolérera d'habiter à 30 minutes ou moins en voiture de cet échangeur.

Voici ce que ça donne, les autoroutes sont les traits noirs, les échangeurs sont les bulles blanches.

Les zones vertes et orangées sont de même dimension qu'avant, mais regardez ce qui s'est passée avec la zone rouge. Elle a pris beaucoup d'expansion et domine désormais. La grande majorité de la ville sera de l'étalement urbain où seule la voiture est viable comme mode de transport.

C'est ce qu'ont fait les villes américaines comme Houston, plein d'autoroutes mais avec peu de transport en commun rapide. La majorité de la ville impose l'usage de la voiture, il n'y a pas de choix. Conséquemment, la part modale de la voiture est de près de 90%.

Maintenant, évitons l'autoroute, mettons deux lignes de métro à la place. Les stations de métro ont la particularité d'être accessibles à la fois aux usagers des transports en commun et aux piétons. Le métro est donc également un raccourci dans un déplacement piéton. Le résultat est très différent:
Comme on peut le voir, le métro vient de renverser la tendance. La majorité de la ville est donc accessible à pied ou en transport en commun, il n'y a que très peu de terrains où seule la voiture est viable comme moyen de transport. La ville sera donc moins étalée et beaucoup plus dense.

Il est important de noter que la voiture peut être utilisée également dans les zones vertes et orangées. En fait, dans les zones vertes, tous les moyens de transport sont viables, dans les zones orangées, le transport en commun et la voiture sont viables, mais dans les zones rouges, il n'y a plus de choix, seule la voiture est viable.

Bon, dans l'image précédente, j'ai supposé qu'il n'y avait pas de stationnement incitatif, s'il y en a, alors les déplacements en voiture peuvent également utiliser le métro, ça donne plutôt ceci:
Ça ne change pas beaucoup la donne, mais ça ajoute un peu de terrains rouges.

Les images précédentes ne sont pas toutes à la même échelle par contre. Si on les compare à la même échelle, ça donne ceci:
Notez à quel point l'autoroute permet de rejoindre plus de terrains grâce à sa grande vitesse. Ça veut dire que dès qu'il y a une autoroute dans une ville, il y aura du développement avoisinant qui sera dépendant à la voiture. D'ailleurs, si on suppose une ville avec deux autoroutes et deux métros, ça donne l'image suivante:
Oui, les zones vertes et orangées sont étendues, mais les terrains rouges liés à l'autoroute dominent encore beaucoup la ville. Le transport en commun urbain, même rapide, ne peut pas concurrencer l'autoroute.

Note de passage: la congestion

La congestion permet d'égaliser un peu la lutte entre transport en commun et la voiture. Quand des autoroutes ou des rues sont congestionnées, la vitesse moyenne diminue drastiquement. Si les transports en commun peuvent contourner la congestion, alors ça peut réduire l'écart. Toutefois, la congestion n'est là qu'aux heures de pointe, donc pour tous les autres déplacements, la voiture aura un avantage majeur. Une ville congestionnée peut donc avoir un meilleur équilibre entre les modes de transport à l'heure de pointe... mais elle sera toujours aussi déséquilibrée le reste de la journée.


Conclusion

Si nous prenons comme acquis que nous voulions construire des villes où une multitude de moyens de transport différents sont viables pour la grande majorité des résidents, alors nous ne pouvons éviter une simple conclusion: les autoroutes n'ont rien à faire dans un milieu urbain, si elles sont présentes, elles doivent être converties en boulevards urbains, réduisant ainsi la vitesse pratiquée et mettant les moyens de transport sur un pied d'égalité. De même, les transports en commun rapides sont vitaux pour assurer un choix de transport à un plus grand nombre de personnes, afin de contrebalancer l'avantage inhérent des voitures au niveau de la vitesse.

Donc, en ville, autoroute, non, métro, oui.

Je noterai également que cette leçon est bien comprise par plusieurs autres peuples. Par exemple, en Allemagne, il y a bel et bien un réseau très développé d'autoroutes qui n'ont souvent pas de limite de vitesse, les autobahns, Toutefois, ces autobahns ne pénètrent pas les villes de façon générale, mais laissent leurs utilisateurs à plusieurs kilomètres des centre-villes, le reste du trajet se faisant sur des boulevards urbains limités à 50 ou 60 km/h avec plusieurs intersections.

Voici l'exemple de Munich (qui n'a jamais été dans le giron communiste et possède une industrie très forte)
Les autobahns sont en orange foncé, les traits jaunes sont les boulevards urbains ou des routes régionales. Le coeur de Munich n'a aucune autoroute, en fait il y a une zone d'environ 150 kilomètres carrés sans autoroute au centre de la ville. Par contre, si on regarde les lignes de transport en commun de Munich...
On remarque un réseau de transport en commun rapide très étendu, incluant des stadtbahns en traits verts (mi-train de banlieue, mi-tramway) qui vont bien en-delà des frontières de la ville et rejoignent les banlieues, de sorte que même dans les banlieues éloignées, le transport en commun reste compétitif au niveau de la vitesse pour rejoindre le centre-ville.

C'est pourquoi seulement 37% des déplacements se font en voiture à Munich, ce qui représente une distribution très équilibrée entre voitures, transports en commun et modes actifs (piétons et cyclistes).

samedi 1 février 2014

Les trottoirs sont-ils essentiels?

Une des premières choses que l'on vérifie quand on veut savoir si un endroit est marchable ou non est la présence de trottoirs, ces dalles de béton surélevées interdites aux voitures et réservées aux piétons. En général, dès qu'il n'y a pas de trottoirs, on tend à assumer que le coin est hostile aux piétons. Je le croyais aussi, jusqu'à ce que je tombe sur des rues comme ça en voyage au Japon:




Ces rues sont complètement dépourvues de trottoirs, il y a bien des lignes en bordure parfois qui peuvent être vues comme des délimitations de trottoirs en marquage. Toutefois, c'est plus une recommandation qu'une imposition, les cyclistes et piétons occupent bien souvent le centre de la rue. Le tout m'a fait repenser à l'idée que les trottoirs sont nécessaires si on veut des rues sécuritaires et confortables pour les piétons. Voici ce que j'en conclus:

Les trottoirs sont utilisés non pas pour sécuriser les piétons ou rendre la marche plus confortables, mais pour séparer les piétons de la circulation automobile et ainsi permettre à celle-ci de circuler plus rapidement car ils n'ont plus les piétons dans les pattes.

En effet, quand les rues sont étroites et que tous les usagers sont mis sur un pied d'égalité, les automobilistes n'ont pas le choix, ils doivent lever le pied. Ceci peut être très frustrant pour les automobilistes car ils ont un véhicule qui peut aller très vite, mais ils sont forcés d'aller à une vitesse pas tellement plus vite que les cyclistes autour d'eux.

Au niveau de la sécurité, il faut comprendre le principe de la compensation du risque. Ce principe dit que que nous avons tous un certain degré de risque personnel que nous tolérons, quand le risque est trop élevé pour nous, nous essayons de le diminuer. Quand le risque est très faible, nous pouvons adopter des habitudes qui l'augmentent. Ainsi, une rue qui est en apparence complètement sécuritaire, car elle est dégagée et large et que les piétons et cyclistes sont repoussés sur les trottoirs ou sur des pistes cyclables, incitera les automobilistes à conduire plus vite et à faire moins attention aux autres, ce qui augmente le risque.

Une rue étroite avec des objets fixes à proximité (arbres, bâtiments, etc...) et où les automobilistes peuvent croiser des piétons et cyclistes, est perçue comme une environnement moins sécuritaire, donc les gens vont conduire moins vite et faire plus attention.

Mais voilà, la perception et la réalité sont deux choses différentes. En fait, la rue large et dégagée est plus dangereuse pour les piétons qui doivent la traverser. Donc, bien souvent la rue d'apparence sécuritaire sera MOINS sécuritaire.

L'idée que nous devons à tout prix séparer les usagers de la route résultent en des rues excessivement larges. Prenons un exemple d'une rue de base, conçue avec la mentalité de séparation des usagers. Voici de quoi cette rue aura l'air:
Cette rue, séparant piétons, cyclistes, voitures en mouvement et voitures stationnées fera donc 18 mètres de large, minimum. Selon la mentalité actuelle, c'est ça que ça prend absolument pour être sécuritaire.

Mais moi, je crois que la rue suivante est toute aussi sécuritaire:
Cette rue ne fait que 5 mètres de large et piétons, cyclistes et voitures peuvent circuler dessus. La proximité impose le respect et l'attention. Vous pouvez même avoir quelques places de stationnement sur rue si vous le voulez, les voitures en mouvement devront passer dans un sens à la fois, mais tant qu'il n'y a pas trop de monde, ça va.

Et c'est cette dernière particularité qui est à retenir: "tant qu'il n'y a pas trop de monde". Les deux rues précédents sont aussi sécuritaires l'une que l'autre, mais la première a beaucoup plus de capacité, et une vitesse plus grande. Donc si on est sur des collectrices, des artérielles ou d'autres rues conçues pour des grands débits, alors oui, la séparation des usages est préférable afin d'optimiser l'usage de la rue, de donner un peu d'ordre et d'améliorer la vitesse. Mais sur les rues résidentielles à faible débit, construisons la deuxième sorte de rue.

Non seulement elle coûtera 60-75% moins cher à faire et à entretenir tout en permettant une plus grande densité, mais elle aura un effet dissuasif majeur sur la circulation de transit. Pas besoin de mesures d'apaisement de circulation, la rue elle-même apaisera la circulation.

Attention, si une rue résidentielle est très large, alors il faudrait des trottoirs. Les piétons seront dans l'accotement et les conducteurs percevront la rue comme sécuritaire, malgré la présence de piéton sur l'asphalte. Donc l'effet d'augmentation de la perception du danger ne compensera pas l'effet du danger accru par la proximité.