vendredi 21 février 2014

Comparaison de villes conçues pour la voiture, Québec vs Asahikawa

J'aimerais faire une comparaison de deux villes de taille similaire, dont le mode de transport principal est la voiture, mais dont les cultures de développement sont diamétralement opposés. D'un côté, la ville de Québec, qui est souvent qualifiée de ville avec le plus de kilomètre d'autoroute par habitant au Canada, et de l'autre, Asahikawa, deuxième ville d'importance de la préfecture d'Hokkaido au Japon. Quelques comparaisons en chiffres:

Québec
  • 500 000 habitants
  • 316 cm de neige par année
  • Température maximale moyenne en bas de 0 degré celsius de décembre à février
Asahikawa
  • 350 000 habitants
  • 760 cm de neige par année
  • Température maximale moyenne en bas de 0 degré celsius de décembre à février
Dans les deux cas, les villes ont un mode de développement axé principalement sur la voiture. Ni Québec, ni Asahikawa n'ont de transport en commun rapide pour se déplacer en ville. Asahikawa a quelques lignes de trains régionaux pouvant jouer ce rôle, mais leur fréquence est trop faible pour le faire (un train à l'heure aux heures de pointe). Le transport en commun est donc essentiellement constitué d'autobus dans les deux cas.

 Donc les déplacements dans les deux villes sont faits pour favoriser la voiture, mais le schéma des rues est complètement différent.

Schéma des rues: concept de base

 

Il y a plusieurs manières différentes de concevoir les rues d'une ville. La manière traditionnelle est la grille:


La grille
 La grille est une manière très simple de faire une ville. Il y a quelques artères (en rouge), mais toutes les rues forment un quadrillage. Elle maximise les intersections et les chemins possibles à prendre pour se rendre où que ce soit. L'avantage principal pour la circulation automobile est une capacité très grande, les désavantages sont que la circulation de transit se trouve favorisée sur un grand nombre de rues, ce qui peut en perturber les résidents et la vitesse moyenne sur les rues tend à être plutôt faible.

Afin de solutionner le problème de la circulation de transit, il y a une forme transitionnelle qu'on pourrait appeler la "quasi-grille".
La quasi-grille
Les rues sont encore en grille, mais les branches sont décalées près des artères afin de décourager la circulation de transit au augmentant le nombre de virages requis à ceux qui traversent les rues non-artérielles. Toutefois, ces mouvements sont encore possibles.

Il y a un autre mode encore plus poussé qui est très prisé dans les banlieues. J'appellerais ça le style en canaux (je ne connais pas le nom technique) car les rues canalisent les déplacements sur quelques artères uniquement:
Les canaux
Ce style de rues règle le problème de la circulation de transit par les quartiers résidentiels en éliminant carrément les chemins de détour, ou en les rendant tellement long et difficiles que les gens abandonnent. En fait, tout mouvement d'un quartier à un autre se doit absolument de passer par les artères principales, il faut donc que les artères soient particulièrement grosses afin d'avoir une capacité suffisante, car essentiellement tous les déplacements emprunteront à un moment ou à un autre les artères.

Dans tous les styles de rue, les commerces et centres d'emploi vont préférer être sur les artères pour favoriser leur accessibilité à un plus grand bassin de clients ou d'employés potentiels. Toutefois, dans le mode en canaux, le résultat est plus que la concentration des commerces et emplois sur les artères, mais leur séparation physique des quartiers résidentiels. C'est ce qu'on appelle la "séparation des usages", qui peut être appliquée par les règlements municipaux dans tous les cas, mais qui est inscrit dans le roc dans le mode de développement en canaux.

Québec et Asahikawa

 

Tout d'abord, voici une idée des aires urbaines de Québec et d'Asahikawa:
Québec, aire urbaine en bleu

Asahikawa, aire urbaine en rouge
 On remarque tout de suite qu'Asahikawa semble être  plus concentrique que Québec, qui semble avoir un développement plus tentaculaire, suivant les autoroutes existantes (ce qui démontre mon article sur l'influence des autoroutes sur le développement urbain) . En parlant des autoroutes, comme c'est difficile à voir sur les images précédentes, voici les réseaux routiers des deux villes.
Réseau routier d'Asahikawa

Réseau routier de Québec
Les autoroutes sont en orange foncé. Notez qu'il n'y a qu'une seule autoroute à Asahikawa, et elle est en périphérie de la ville. Pire, l'autoroute est à péage, donc même aux heures de pointe, Google Maps indique aucune congestion car la majorité du monde l'évite. Au contraire, il y a 7 autoroutes à Québec qui fragmentent l'aire urbaine, sauf dans le vieux coeur de la ville. Il y a même une autoroute non identifiée comme telle sur la carte de Québec.

Il y a bien des traits jaunes dans Asahikawa qui portent le nom "Highway", mais voici de quoi ces routes ont l'air:
"Highway" d'Asahikawa
C'est plus un boulevard qu'une autoroute, on s'entend là-dessus.

Finalement, juste une comparaison de taille des aires urbaines des deux villes:
Aires urbaine: Asahikawa vs Québec
L'aire urbaine de Québec est plus étendue, mais on pouvait s'y attendre car la population est plus grande. Mais Asahikawa est plus compacte plutôt que tentaculaire. Quant à la densité de population, le centre-ville de Québec est beaucoup plus dense que le centre-ville d'Asahikawa. Québec est dense en son centre, mais très étalée en banlieue. Par opposition, la densité semble être répartie plus également à Asahikawa, dont les quartiers ont environ 30 unités de logement par hectare contre 10-15 pour la banlieue de Québec, donc une densité de 2 à 3 fois celle des banlieues de Québec.

La différence marquée au niveau des transports entre Asahikawa et Québec est due à la vitesse... Asahikawa n'a pas d'autoroute urbaine, les boulevards urbains sont limités à 50, voir 40, km/h. La vitesse pratiquée en voiture est donc de loin inférieure à celle pratiquée à Québec. La vitesse moyenne des itinéraires en voiture de Google est d'environ 20-25 km/h à Asahikawa. Conséquemment, les gens veulent habiter le plus près du reste de la ville que possible. Comme Québec a des autoroutes, le besoin de proximité spatiale est moins important, il suffit d'être proche d'une autoroute pour être proche de tout ce qui est proche des autoroutes dans la région, le seul problème étant la congestion aux heures de pointe.

Question de capacité: autoroutes contre la grille

 

Dans le raisonnement des planificateurs urbains et de transport du Québec, la mobilité requière des autoroutes, la capacité du réseau routier est estimée par les autoroutes. Quand une route vient au point de saturation, on pense à ajouter une autoroute. C'est une vraie obsession. Et ce qui caractérise une autoroute est une route séparée des rues, que l'on peut accéder uniquement par des échangeurs qui sont rares, un à chaque kilomètre ou plus. Il n'y a pas d'intersections sur une autoroute, seulement des bretelles d'entrée et de sortie.

Comme le réseau routier de Québec repose sur les autoroutes, son schéma routier est le mode en canaux, les autoroutes formant les canaux principaux de la ville.

Par opposition, Asahikawa a un système principalement en grille, ou en quasi-grille.

La comparaison de la capacité routière peut être très intéressante. Voici d'abord la section nord de Québec:
Voies nord-sud dans le nord de Québec
Sur une largeur de 8 kilomètres, il n'y a que 7 voies par direction sur des routes nord-sud qui permettent les déplacements tout droits d'un quartier à l'autre. L'équivalent de 1,14 kilomètre par voie.
Voies nord-sud dans une section d'Asahikawa
Dans l'image précédente, trouver les artères étaient assez difficile à cause de la forme en quasi-grille, des rues droites sur plusieurs centaines de mètre pouvaient finir sur des culs-de-sac. Mais j'ai trouvé un truc: les feux de circulation sont identifiés, alors les artères sont les rues avec des feux de circulation. Le résultat est 6 voies par direction nord-sud pour une distance de 1,7 kilomètre, soit 280 mètres par voie environ.

Même en tenant compte de la capacité par voie inférieure des rues d'Asahikawa, qui peut être la moitié de la capacité d'une voie d'autoroute, la capacité du réseau routier d'Asahikawa est probablement deux fois plus grande que celle du réseau routier de Québec et de ses autoroutes.

Vitesse et capacité sur le réseau routier sont deux choses complètement différentes. Ce n'est pas parce qu'une route permet une vitesse élevée qu'elle a nécessairement une meilleure capacité.

Au Québec, on priorise la vitesse en construisant des autoroutes, mais ces autoroutes coûtent un bras à construire (20-30 millions le kilomètre en milieu rural, 100 millions et plus le kilomètre en milieu urbain) et prennent beaucoup de place, donc on ne peut en construire beaucoup. Le résultat est que les autoroutes congestionnent rapidement. Au nom de la vitesse, on obtient de la congestion importante aux heures de pointe. À Asahikawa, la vitesse est une préoccupation secondaire, la capacité routière semble privilégiée. Ça ne va peut-être pas vite, mais la congestion doit être bien moins fréquente, donc la vitesse des déplacements en automobile est plus fiable, variant moins durant les périodes de la journée.

Impacts du réseau routier sur les autres modes de transport


Le schéma de rues a des impacts sur tous les modes de transport. Le réseau routier de Québec, par sa vitesse élevée, sa canalisation sur les autoroutes et sa séparation des usages inscrite dans la configuration de la ville, est très hostile aux déplacements à pied ou en vélo. Quand les rues sont conçues pour décourager la circulation automobile de transit en imposant des détours et en créant des dédales comme des labyrinthes, on décourage en même la temps les piétons et les cyclistes, qui sont plus sensibles aux distances à parcourir que les automobilistes. Les schémas de rue en grille ou en quasi-grille aident donc les piétons à raccourcir leurs déplacements et à planifier plus aisément leurs trajets.

La vitesse inférieure de la grille d'Asahikawa favorise également sinon la mixité des usages au moins la proximité entre eux. Les commerces et bureaux sont plus près des quartiers résidentiels. Le résultat étant que la marche et le vélo sont beaucoup plus viables à Asahikawa qu'à Québec.

Les rues d'Asahikawa sont également beaucoup moins larges que celles de Québec, mais plus que dans la majorité des villes japonaises, probablement à cause de la neige. Les rues font en moyenne de 6 à 9 mètres de large, et les bâtiments sont proches des bordures des rues, contrairement à 9 à 14 mètres avec des dégagements importants de chaque côté à Québec. Le résultat est que la circulation est apaisée, pas par le schéma du réseau routier, mais par la forme de la rue en elle-même.
Rue typique à une voie par direction à Asahikawa
Rue typique à une voie par direction à Québec
Le résultat de tout ça, c'est que 82% des déplacements à Québec se font en voiture, contre 73% à Asahikawa. La différence, c'est dans la marche. plus de 20% des déplacements à Asahikawa se font à pied, contre moins de 10% à Québec. Et si on ne regardait que les banlieues de Québec, le nombre de déplacement à pied tomberait facilement à 5% ou moins. Ça peut ne pas paraître beaucoup, mais 73%, c'est proche de la part modale de la voiture à Montréal, Ottawa et Toronto. Le tout sans métro, sans tramway, sans SRB, sans blocs appartement à perte de vue, seulement en ayant un mode de développement axé sur la voiture moins hostile aux autres modes de déplacement et avec une densité plus élevée dans toute la ville (mais restant clairement en-dessous de la densité observée dans les grandes villes).

Le but de cette comparaison n'est pas de monter Asahikawa comme ville exemplaire. À plusieurs égards, elle témoigne des problèmes communs aux villes conçues pour la voiture: séparation des usages, larges stationnements hors rue à plusieurs endroits, etc... Mais elle démontre que même en terme de conception urbain fondée sur la voiture, il y a moyen de faire différent des pratiques québécoises.

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