lundi 17 février 2014

Densification et stationnement

Quand on parle de densification de quartiers existants, il y a souvent une tranche de la population qui s'y oppose. La raison énoncée est souvent le supposé "caractère" du quartier, ce qui veut tout dire et rien dire à la fois. Cette expression cache souvent d'autres raisons plus concrètes, parmi celles-ci: le stationnement.

C'est une raison particulière aux secteurs déjà urbanisés, principalement ceux qui utilisent beaucoup le stationnement sur rue. La crainte est que l'arrivée de nouveaux résidents, surtout dans des habitations denses avec peu de stationnement hors rue, risque d'amener un plus grand nombre de voitures sur les rues, rendant plus difficile le stationnement des résidents actuels. C'est un des problèmes majeurs de l'utilisation des stationnements sur rue (dont j'ai déjà parlé en long et en large).

Pour compenser ça, on utilise souvent des normes de stationnement minimum excessives, bref on impose légalement la construction d'un nombre excessif de stationnements hors rue. Mais ces stationnements excessifs réduisent la densité des nouveaux développements car ils occupent beaucoup de place inutilement. On peut les construire sous les bâtiments dans des garages, mais faire ainsi coûte de 20 000$ à 30 000$ par place de stationnement, ce qui se répercute sur le prix des logements.

Entre imposer la construction d'un nombre excessif de stationnements hors rue et bloquer les projets de haute densité, y a-t-il une alternative? Il y en a une, venant... encore... du Japon.

La solution japonaise...


Contrairement à nos amis urbanistes américains, les Japonais n'aiment pas les stationnements sur rue en général. Il faut dire que les rues sont déjà très étroites, fréquemment de seulement 5-6 mètres de large, sans trottoir. Donc si le stationnement sur rue est fortement utilisé, l'espace restant sera minime sur la rue. Ça va s'il n'y a qu'une voiture ou deux stationnées sur une rue de 150 mètres, mais s'il y a une file de voitures, ça devient invivable rapidement. Il faudrait mettre toutes les rues à sens unique et la cohabitation piétons, cyclistes et automobiles s'en trouverait vite compliquée.

Lorsque la motorisation est venue au Japon dans les années 50, le problème a rapidement été identifié. Les autorités se trouvaient devant une impasse. En Amérique du Nord et en Europe, afin de laisser plus d'espace aux automobiles stationnés, on a réduit bien souvent les trottoirs au maximum pour donner plus d'espace aux voitures. Mais il n'y a pas de trottoir à sacrifier dans les villes japonaises. Imposer des stationnements hors rue excessifs ne semblaient pas non plus populaire, et ça ne réglait pas le problème des quartiers existants.

Que faire? Que faire?

La solution qui a été adoptée avait le bénéfice d'être simple, comme les meilleures solutions le sont en général. Des normes de stationnement minimum ont été adoptées, mais elles sont minimes au point d'être inexistantes (par exemple, une place de stationnement par 4 unités de logement dans les blocs appartement). Ce n'est pas là que les Japonais ont trouvé la solution.

La preuve de stationnement


Les autorités japonaises ont décidé d'adopter une politique déléguant la responsabilité de trouver des places de stationnement hors rue aux individus sans l'imposer à tous. Elles ont obtenu ce résultat en demandant une preuve de stationnement comme condition à l'immatriculation d'une voiture.

Disons-le clairement: au Japon, pour pouvoir immatriculer son véhicule (une nécessité pour l'utiliser sur la voie publique), il faut présenter au département automobile une preuve que l'on dispose d'un stationnement hors rue où on peut stationner notre voiture.

Si les gens n'ont pas de stationnement hors rue, alors ils ne peuvent pas immatriculer leur véhicule. ce qui empêche pratiquement les gens d'acheter une voiture.

Mais le but de cette règle n'est pas d'empêcher les gens d'acheter une voiture.  C'est important à souligner. D'ailleurs, si c'était l'objectif, c'est raté... il y a environ autant de voiture par habitant au Japon qu'au Canada.

Le but est de créer une demande pour des stationnements hors rue. Les gens voulant avoir une voiture mais ne possédant pas de place de stationnement partent à la recherche de stationnement à louer. Cette demande est satisfaite car des gens flairent la bonne affaire et offrent des espaces inutilisés sur leur terrain en location, voir achètent des lots en quartier résidentiels pour en faire des stationnements hors rue dont ils louent les places. Si quelqu'un est prêt à dépenser 20 000$ et plus pour une voiture en plus des frais annuels pour son fonctionnement, ce n'est pas 50$ ou 100$ par mois pour louer une place de stationnement hors rue qui l'en dissuadera.

Par contre, dans les grandes villes, où les terrains valent très cher, les stationnements hors rue sont très dispendieux, ce qui crée un incitatif pour se passer de voiture. À noter que ce n'est pas que les gens en ville sont punis d'avoir des voitures... c'est qu'ils doivent payer ce que ça coûte pour le stationnement, qui n'est plus subventionné ou caché dans le prix du logement.

Le résultat


Le résultat de ce système, c'est que chaque propriétaire de voiture dispose à proximité de sa résidence d'un stationnement hors rue. Ainsi, les stationnements sur rue sont peu utilisés car les résidents, qui sont ceux qui utilisent le stationnement sur rue dans les quartiers résidentiels la grande majorité du temps, ont tous des places de stationnement hors rue. Les visiteurs peuvent alors utiliser les stationnements sur rue, et comme il y a peu de visiteurs en général, les rues sont majoritairement vides de voiture la grande majorité du temps, et que quelques voitures à la fois même quand il y en a, ce qui limite les désagréments pour les autres usagers de la route.

C'est un système qui fonctionne très bien et qui est très gracieux. Il évite de créer une surabondance de stationnement ou d'interdire la densité. Il n'y a que le nombre de stationnement que la population veut. Quand il y a trop de stationnement, des stationnements sont vendus pour construire des maisons à la place. Quand il manque de stationnement, ça peut devenir rentable d'acheter une maison en mauvais état pour la remplacer par un stationnement hors rue.

Rien ne nous empêche de transposer ce système ici. Pour la majorité des Québécois habitant dans des quartiers avec surabondance de stationnement, ça ne changera rien, ils auront beaucoup de preuves de stationnement juste avec leur terrain. Pour les quartiers plus denses, ça peut être très utile. On peut même intégrer les stationnements sur rue dans ce système, en distribuant des preuves de stationnement résidentiel sur rue que l'on pourrait louer aux résidents, un peu comme les permis de stationnement actuels. Par exemple s'il y a de la place pour 60 voitures des deux côtés de la rue, on pourrait distribuer 30 preuves de stationnement résidentiel sur cette rue. 

Même pas besoin d'utiliser la police pour imposer cette règle, car tous les résidents possédant une voiture dans le coin devraient avoir une preuve de stationnement à proximité pour avoir une voiture. Donc tout résident qui possède une voiture à l'endroit a une place pour stationner sa voiture. S'il y a 50 voitures sur une rue qui a 30 preuves de stationnement, les 20 voitures restantes ont des stationnement ailleurs, et seront donc généralement stationnées à ces endroits, et non sur la rue.

C'est quoi le rapport avec l'opposition à la densification?


Et bien, le rapport c'est que ce système assure aux gens que leur place de stationnement actuel restera disponible sans être surchargée par l'arrivée de nouveaux résidents. Ça peut soulager leurs inquiétudes, car ils savent que même s'il y a plus de monde, ces gens devront se trouver des places de stationnement ailleurs afin de pouvoir immatriculer leur véhicule, et ils ne surchargeront pas les places existantes.

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