mardi 25 février 2014

Densification au sol vs densification en hauteur

J'ai déjà parlé de la densification dans un autre article, mais j'aimerais revenir sur le sujet pour différencier deux types de densification différents. La densification, bien entendu, implique d'augmenter la superficie résidentielle ou commerciale d'une superficie donnée: qu'on la mesure en population par kilomètre carré, en unités de logement par hectare ou en emplois par kilomètre carré ou autre.

Mais pour ce faire, il y a deux manières de densifier. Il y a la densification au sol et la densification en hauteur.

Prenons un cas typique de bungalows de basse densité:
Bungalows québécois typiques
Dans ce contexte, la maison fait 8 mètres par 15 mètres sur un terrain de 20 mètres par 30 mètres. 8 m fois 15 m, ça fait 120 mètres carrés. Le terrain, c'est 20 m fois 30 mètres, donc 600 mètres carrés. 120 mètres carrés sur 600 mètres carré, c'est 20% du terrain qui est occupé par un bâtiment.

Si on veut densifier, en général ça veut dire augmenter la surface bâtie sur ce terrain. La première manière, je l'ai déjà explorée dans un autre article, c'est la densification au sol. L'idée est d'augmenter la superficie du terrain qui est occupée par des bâtiments. Voici deux exemples de comment ceci peut être fait dans la superficie précédente:
Densification au sol 1

Densification au sol 2
Dans le premier cas, la superficie occupée par des bâtiments est de 30%, dans le second, c'est 40%. C'est une sorte de densification.

L'autre sorte de densification est la densification en hauteur, au lieu de construire des bâtiments plus rapprochés et étendus, on construit plus d'étages. On peut voir cette tactique dans les tours à condos qui poussent en banlieue ces temps-ci:
Densification en hauteur: condos en banlieue

Ici, les bâtiments n'occupent qu'environ 20% de l'espace, comme pour les bungalows, mais comme il y a 4 étages, en fait la superficie bâtie additionnée de tous les étages est de 80% de la superficie du terrain (ce rapport s'appelle le Floor-Area Ratio en anglais, coefficient d'occupation des sols en français ou indice de superficie de plancher).

La densification en hauteur est bien utile, surtout dans les bas étages. Si on passe de 1 à 2 étages, on double la superficie habitable. Si on passe de 2 à 3 étages, on augmente la superficie de 50%. De 3 à 4 étages, on augmente de 33%. De 4 à 5, de 25%, etc...


La densification à prioriser: constituer le tissu urbain

Quel type de densification devrait-on privilégier? Et bien, au niveau de l'urbanisme, la priorité est de constituer le tissu urbain. Qu'est-ce que le tissu urbain? Et bien c'est une continuité de bâtiments de part et d'autre des rues, donnant un ensemble continu urbain plutôt que des bâtiments épars séparés l'un de l'autre. Ce tissu urbain permet de fournir une impression de couverture des gens dans la rue.

Anjou: tissu urbain faible
Rosemont: tissu urbain fort
Dans les deux images précédentes, la densité en terme de logements par hectare est environ la même, la différence est que dans le premier, c'est une densité en hauteur surtout, dans le second, c'est une densité au sol surtout, avec des bâtiments limités en hauteur.

Quels sont les avantages d'un bon tissu urbain?
  1. Les bâtiments flanquant la rue protègent les piétons des vents, rendant la marche plus plaisante
  2. Il y a plus de choses à voir et à regarder, ce qui rend la marche plus intéressante.
  3. Les bâtiments sont plus ouverts, avec des portes et fenêtres fréquentes au niveau de la rue ou pas très haut, ce qui est une caractéristique rassurante pour les piétons et ce qui augmente la sécurité, par le principe du nombre de paires de yeux regardant la rue (eyes on the street). Comme il y a plein de témoins potentiels, la sécurité est accrue.
  4. La présence de personnes le long des rues favorise les rencontres sociales, transformant la rue en lieu social plutôt que simplement un lien de transport.
Il est donc préférable en banlieue, où la densité au sol est en général très faible, de limiter les hauteurs des nouveaux bâtiments afin de favoriser une augmentation de la superficie bâtie pour créer ce tissue urbain. Si on permet des bâtiments trop hauts, on risque d'obtenir la bonne vieille folie de tours dans des parcs, des tours élevées isolées les unes des autres. Le problème des banlieues qui impose les déplacements en voiture en rendant les autres modes de transport inutiles ou déplaisants restera entier.

Par contre, dans des quartiers possédant déjà un bon tissu urbain, comme Rosemont ci-dessus, alors la densification en hauteur doit être permise et encouragée. La réalité est que dans de tels quartiers, qui sont très prisés car possédant déjà de multiples services et alternatives de transport, la demande de logement est très élevée. Afin de construire des nouveaux logements, il faut permettre la construction en hauteur, ceci permettra d'utiliser à plein escient les quelques espaces vacants où des bâtiments peuvent être construits ainsi que d'ouvrir la porte au remplacement de bâtiment actuel de bas étage. Si on limite les bâtiments à 3 étages, pas exemple, et qu'on a un vieux duplexe en mauvais état, l'acheter et le remplacer par un bâtiment de 3 étages n'en vaudra pas la peine, ou plutôt, le coût d'acquisition du duplexe et de sa destruction rendrait le bâtiment construit en remplacement beaucoup trop dispendieux pour être abordable à la majorité de la population. Si on pouvait plutôt remplacer le duplexe par un bâtiment de 5 ou 6 étages, alors ça change la donne, car le coût du duplexe peut être amorti sur beaucoup plus de logements et ainsi dilué à un niveau acceptable.

L'absurdité actuelle

Pour résumer, l'idéal en terme de densification, c'est de limiter les hauteurs dans les quartiers étalés afin de densifier au sol en premier et de créer un tissu urbain serré. Dans les quartiers urbains, il faut relaxer les limites de hauteur afin de pouvoir continuer à densifier dans les quartiers attrayants, ainsi limitant la hausse du coût des logements.

En pratique, malheureusement, nous faisons souvent l'inverse. Les zonages des banlieues imposent aux bâtiments unifamiliaux des normes dimensionnelles très strictes au niveau des marges, des dimensions des lots, etc...
Chacune de ces caractéristiques est définie dans les zonages de banlieue
Le résultat est que la densification au sol est très difficile dans les banlieues, car il faut lutter à chaque fois contre chaque dérogation à chacune des caractéristiques de ce zonage. Chaque fois qu'il y a dérogation, les "pas dans ma cour" sortent en masse.

Le résultat est que la densification en banlieue se fait souvent en construisant des tours à condos dans des endroits encore non zonés ou avec peu ou pas de résidents, souvent en périphérie. Les bâtiments multifamiliaux ont également des normes définies en ce qui touche aux dimensions des lots et des marges, de plus que des normes de stationnement minimum excessives (par exemple, 1,5 stationnement par unité de logement). De plus, la création de bâtiments en hauteur réduit le besoin de bâtir plusieurs bâtiments, donc les "trous" dans le tissu urbain se remplissent moins vite car chaque trou est rempli par un bâtiment en hauteur qui réduit de beaucoup le besoin d'en construire d'autres. Le résultat est une densité respectable, mais un tissu urbain très pauvre. Les cyniques diraient "tous les désavantages de la densité, sans les avantages".

En ville, les militants anti-gentrification et les pas dans ma cour s'unissent contre les bâtiments en hauteur en imposant des limites d'étage très strictes. Ce qui réduit presque au néant les possibilités de densification. On permet, voir on demande, des bâtiments collés les uns aux autres occupant une grande part de la superficie du terrain, mais on ne tolère pas les bâtiments en hauteur. C'est absurde. Le tissu urbain est déjà fort, donc c'est inutile de limiter les hauteurs, la seule chose que favoriser plus de bâtiments mais des bâtiments de petite taille fait, c'est d'épuiser plus rapidement les quelques opportunités de densification qui existent. Dans ce contexte, il faut alléger les limites de hauteur pour densifier par le haut, car c'est la seule manière de densifier et même de renouveler les quartiers existants.

Bref, on fait exactement l'inverse de ce que l'on devrait faire.

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