vendredi 7 février 2014

L'importance de la vitesse

L'urbanisme ne peut pas se dissocier de l'étude des transports. À la base, tous les développements urbains suivent toujours les axes de transport disponibles. Au Québec, toutes les villes les plus importantes, soit Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay, Saint-Jean-sur-Richelieu, Gatineau, sont toutes situées sur les berges de fleuve ou de rivières, car à l'époque, c'était les voies maritimes qui représentaient les liens de transport les importants.

Pareillement, le caractère des développements sera influencé par les axes de transport principaux. Une ville bâtie autour de lignes de trains et de métros sera bien différente d'une ville bâtie au coeur d'un réseau d'autoroute.

Et quand il y a compétition entre différents modes de transport, c'est-à-dire entre la marche, le vélo, les transports en commun et la voiture, qu'est-ce qui dicte quel transport l'emportera? Qu'est-ce qui fait en sorte que seulement 37% des déplacements à Munich se font en voiture contre 88% des déplacements à Houston au Texas?

En un mot: la vitesse.

Il y a d'autres facteurs, comme le coût, la sécurité et le confort, mais le facteur primordial, c'est la vitesse. Plus précisément la vitesse relative des modes de transport entre eux. Un moyen de transport peut être excessivement confortable et ne rien vous coûter, mais si vous perdez trois heures dedans à chaque fois que vous allez quelque part, alors qu'un autre moyen de transport vous y amène en 15 minutes, vous ne le prendrez jamais.

Donc, plus un moyen de transport est rapide, plus il sera attirant. Or, en terme de vitesse, la voiture a souvent un avantage. Elle peut aller bien plus vite que nous pouvons nous déplacer à pied ou à bicyclette, et contrairement aux transports en commun, elle n'a pas à s'arrêter périodiquement pour faire monter ou débarquer des usagers, elle n'a pas d'attente obligatoire avant d'embarquer non plus.

Prenons une rue typique, avec des intersections, des feux et des arrêts, sur laquelle circule des piétons, des cyclistes, des autobus et des voitures, sans voie réservée. Quelle est la vitesse de chaque mode? Et bien, la voiture ira à 30 km/h en moyenne (à cause des arrêts et des feux ainsi que la limite de 50 km/h), l'autobus ira à 15 km/h en moyenne (pour une ligne d'autobus avec une forte fréquentation) et les piétons iront à 5 km/h.

Une ville de base

De quoi aurait l'air une ville avec seulement des rues de ce genre? Et bien les gens typiquement vont tolérer une distance d'environ 45 minutes avec leur lieu de travail, si une ville a un centre-ville très fort, les gens pourraient vouloir habiter à 45 minutes ou moins du centre de la ville. Si la ville a des rues en grille est-ouest et nord-sud, le résultat est qu'il y aura trois "zones", trois typologies marquées de la ville.


La zone en vert est la zone où la marche est un moyen de transport viable pour atteindre le centre-ville. La zone orangée est celle où la marche n'est plus viable, mais le transport en commun l'est encore. Finalement, la zone en rouge est celle où seule la voiture est viable pour atteindre le centre-ville. Ces zones vont représenter des différences marquées en terme de la forme des développements. La zone verte sera dense et à usage mixte, car les piétons ont besoin de proximité et n'ont pas besoin de beaucoup d'espace pour leurs déplacements. La zone orangée ressemblera beaucoup à la zone verte, mais un peu moins dense, car les usagers du transport en commun sont également piétons et voudront de la proximité pour leurs déplacements secondaires (épicerie par exemple). La zone rouge sera de l'étalement urbain. Comme le seul moyen de transport viable est la voiture et que celle-ci requière beaucoup d'espace, les développements seront moins dense.

De quoi aurait l'air la part modale des déplacements dans cette ville? Et bien, la surface rouge représente 74,5% de la superficie de la ville, la surface orangée en représente 22,5% et la surface verte, 3%. Mais c'est sans compter la densité plus importante des zones vertes et orange. La population de la ville serait probablement répartie comme suit: 10% dans les zones vertes, 40% dans les zones orangées et 50% dans les zones rouges.

Mais toutes les villes ne ressemblent pas à ça. Les villes peuvent avoir plusieurs "centres" qui réduisent l'importance de lien rapide vers le centre-ville par exemple. Mais si on ignore ce facteur, il y a un autre élément qui sera marquant dans le développement de la ville: les liens rapides.

Les liens rapides

Il est très rare que les villes soient constituées uniquement de rues à 50 km/h que tous les usagers peuvent prendre. Il y a de nos jours très fréquemment des liens rapides, qui viennent sous deux formes principales, la première est l'autoroute, la seconde est les lignes de transport en commun rapide (trains, métros, train léger, tramways, SRB).

L'autoroute, comme son nom l'indique, est une route réservée aux voitures, sur laquelle celles-ci peuvent conduire à vitesse constante, sans s'arrêter, car il n'y a aucune intersection, aucun feu de circulation et aucun arrêt. On ne peut qu'entrer et sortir de l'autoroute qu'à partir de certains échangeurs distancés en général de quelques kilomètres de distance. En général, la vitesse moyenne sera d'environ 100 km/h.

Les transports en commun rapides sont un peu similaires... leur nombre d'arrêt est limité et ils sont situés sur des voies exclusives où ils peuvent atteindre des vitesses importantes. Mais les arrêts nécessaires font en sorte que la vitesse moyenne est limitée à environ 40 km/h.

Ces liens rapides sont des raccourcis... mais les autoroutes sont essentiellement des raccourcis seulement pour les voitures. Les piétons n'y ont pas accès et les autobus peuvent les emprunter, mais seulement en mode express, vers le centre-ville, donc une flexibilité pourrie. Si on prend notre ville de base et qu'on ajoute deux autoroutes, une dans l'axe est-ouest et l'autre dans l'axe nord-sud, des terrains qui autrefois étaient trop loin du centre sont désormais à une distance acceptable. L'important est d'habiter à proximité d'un échangeur. Donc, si l'autoroute à partir d'un échangeur permet d'atteindre le centre-ville en 15 minutes, on tolérera d'habiter à 30 minutes ou moins en voiture de cet échangeur.

Voici ce que ça donne, les autoroutes sont les traits noirs, les échangeurs sont les bulles blanches.

Les zones vertes et orangées sont de même dimension qu'avant, mais regardez ce qui s'est passée avec la zone rouge. Elle a pris beaucoup d'expansion et domine désormais. La grande majorité de la ville sera de l'étalement urbain où seule la voiture est viable comme mode de transport.

C'est ce qu'ont fait les villes américaines comme Houston, plein d'autoroutes mais avec peu de transport en commun rapide. La majorité de la ville impose l'usage de la voiture, il n'y a pas de choix. Conséquemment, la part modale de la voiture est de près de 90%.

Maintenant, évitons l'autoroute, mettons deux lignes de métro à la place. Les stations de métro ont la particularité d'être accessibles à la fois aux usagers des transports en commun et aux piétons. Le métro est donc également un raccourci dans un déplacement piéton. Le résultat est très différent:
Comme on peut le voir, le métro vient de renverser la tendance. La majorité de la ville est donc accessible à pied ou en transport en commun, il n'y a que très peu de terrains où seule la voiture est viable comme moyen de transport. La ville sera donc moins étalée et beaucoup plus dense.

Il est important de noter que la voiture peut être utilisée également dans les zones vertes et orangées. En fait, dans les zones vertes, tous les moyens de transport sont viables, dans les zones orangées, le transport en commun et la voiture sont viables, mais dans les zones rouges, il n'y a plus de choix, seule la voiture est viable.

Bon, dans l'image précédente, j'ai supposé qu'il n'y avait pas de stationnement incitatif, s'il y en a, alors les déplacements en voiture peuvent également utiliser le métro, ça donne plutôt ceci:
Ça ne change pas beaucoup la donne, mais ça ajoute un peu de terrains rouges.

Les images précédentes ne sont pas toutes à la même échelle par contre. Si on les compare à la même échelle, ça donne ceci:
Notez à quel point l'autoroute permet de rejoindre plus de terrains grâce à sa grande vitesse. Ça veut dire que dès qu'il y a une autoroute dans une ville, il y aura du développement avoisinant qui sera dépendant à la voiture. D'ailleurs, si on suppose une ville avec deux autoroutes et deux métros, ça donne l'image suivante:
Oui, les zones vertes et orangées sont étendues, mais les terrains rouges liés à l'autoroute dominent encore beaucoup la ville. Le transport en commun urbain, même rapide, ne peut pas concurrencer l'autoroute.

Note de passage: la congestion

La congestion permet d'égaliser un peu la lutte entre transport en commun et la voiture. Quand des autoroutes ou des rues sont congestionnées, la vitesse moyenne diminue drastiquement. Si les transports en commun peuvent contourner la congestion, alors ça peut réduire l'écart. Toutefois, la congestion n'est là qu'aux heures de pointe, donc pour tous les autres déplacements, la voiture aura un avantage majeur. Une ville congestionnée peut donc avoir un meilleur équilibre entre les modes de transport à l'heure de pointe... mais elle sera toujours aussi déséquilibrée le reste de la journée.


Conclusion

Si nous prenons comme acquis que nous voulions construire des villes où une multitude de moyens de transport différents sont viables pour la grande majorité des résidents, alors nous ne pouvons éviter une simple conclusion: les autoroutes n'ont rien à faire dans un milieu urbain, si elles sont présentes, elles doivent être converties en boulevards urbains, réduisant ainsi la vitesse pratiquée et mettant les moyens de transport sur un pied d'égalité. De même, les transports en commun rapides sont vitaux pour assurer un choix de transport à un plus grand nombre de personnes, afin de contrebalancer l'avantage inhérent des voitures au niveau de la vitesse.

Donc, en ville, autoroute, non, métro, oui.

Je noterai également que cette leçon est bien comprise par plusieurs autres peuples. Par exemple, en Allemagne, il y a bel et bien un réseau très développé d'autoroutes qui n'ont souvent pas de limite de vitesse, les autobahns, Toutefois, ces autobahns ne pénètrent pas les villes de façon générale, mais laissent leurs utilisateurs à plusieurs kilomètres des centre-villes, le reste du trajet se faisant sur des boulevards urbains limités à 50 ou 60 km/h avec plusieurs intersections.

Voici l'exemple de Munich (qui n'a jamais été dans le giron communiste et possède une industrie très forte)
Les autobahns sont en orange foncé, les traits jaunes sont les boulevards urbains ou des routes régionales. Le coeur de Munich n'a aucune autoroute, en fait il y a une zone d'environ 150 kilomètres carrés sans autoroute au centre de la ville. Par contre, si on regarde les lignes de transport en commun de Munich...
On remarque un réseau de transport en commun rapide très étendu, incluant des stadtbahns en traits verts (mi-train de banlieue, mi-tramway) qui vont bien en-delà des frontières de la ville et rejoignent les banlieues, de sorte que même dans les banlieues éloignées, le transport en commun reste compétitif au niveau de la vitesse pour rejoindre le centre-ville.

C'est pourquoi seulement 37% des déplacements se font en voiture à Munich, ce qui représente une distribution très équilibrée entre voitures, transports en commun et modes actifs (piétons et cyclistes).

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