vendredi 14 février 2014

Retour sur le péage autoroutier et sur l'utilisateur-payeur

J'en ai déjà parlé dans un autre article, mais je reviens sur l'enjeu de l'utilisateur-payeur, de la taxe sur l'essence et du péage autoroutier.

Utilisateur-payeur

La notion de l'utilisateur-payeur est une notion qui, du moins dans le cas qui nous concerne, fait le consensus de toutes les idéologies cohérentes. 

La mentalité libérale n'aime pas les subventions ou les produits fournis gratuitement, mais croit que tous doivent payer le prix du marché des biens et services qu'ils consomment. Toute subvention consiste en une "distorsion" des prix du marché en cachant les informations contenues dans le prix des biens et services.

La mentalité sociale-démocrate ou dirigiste dit également qu'il faut utiliser les subventions et les taxes comme carottes et bâtons afin de guider les choix des individus pour favoriser des choix qui sont plus bénéfiques pour la société. S'il y a un comportement bénéfique pour un individu mais avec beaucoup de conséquences néfastes pour la société, alors il est justifié de taxer ce comportement et de subventionner les comportements alternatifs plus bénéfiques.

Finalement, la mentalité écologiste prescrit de faire payer aux individus le plein prix des ressources limitées qu'ils utilisent afin d'en décourager l'abus. Si les coûts sont collectivisés mais que les bénéfices sont individualisés, alors on incite les gens à gaspiller les ressources que nous avons.

La seule mentalité contre l'utilisateur-payeur est le populisme. Ce n'est pas une mentalité cohérente, mais c'est quand même toute une résistance. Quand la population est habituée de payer un prix subventionné d'un bien, il est difficile de réintroduire un prix élevé, et ceci même si la subvention entraîne des coûts indirects à toute la société, et donc que la majorité fait les frais des abus. Un coût direct est toujours plus déplaisant qu'un coût indirect, caché dans un taux d'impôt ou de taxe.

Pourquoi appliquer l'utilisateur-payeur aux routes?

Utiliser l'utilisateur-payeur aux routes a une simple raison: si les routes sont subventionnées, on incite les gens à utiliser de plus en plus la voiture. Cette surutilisation de la voiture a plusieurs conséquences:
  1. Sur le plan économique: la voiture est un moyen de transport très dispendieux, si on incite ou on impose l'usage de la voiture, la part des dépenses en transport dans l'économie augmentera, ce qui réduira la qualité de vie, car ça veut dire que le transport accapare plus de ressources que nécessaire.
  2. Sur le plan commercial: le secteur de l'automobile au Québec entraîne un déficit commercial titanesque, entre 15 et 20 milliards de dollars par année qui affaiblissent notre économie*. Le Québec ne produit pas de pétrole, pas de voitures et à peine de pièces automobiles. Tout est importé.
  3. Sur le plan environnemental: la voiture pollue beaucoup et contribue aux changements climatiques.
  4. Sur le plan social: la congestion et la circulation automobile nuisent beaucoup à la qualité de vie des résidents des villes.
Ce bilan nous met devant une évidence: l'usage de la voiture a de graves conséquences collectives, il faut que l'individu ait des incitatifs à faire des choix réduisant les coûts sociaux et non à abuser des routes.

Pourquoi la structure actuelle de financement du réseau routier ne fait ni queue ni tête

Présentement, le réseau routier est financé d'une multitude de façons.
  • Les rues locales sont financées par les taxes sur la propriété dans les villes.
  • Les travaux de construction et de réfection du réseau routier provincial sont financés par un mélange de contributions sur les immatriculations et permis ainsi que par la taxe d'accise sur le carburant.
  • L'entretien et la gestion du réseau est financé par les taxes et impôts (budget du MTQ)
Le réseau local n'est donc pas du tout de l'utilisateur-payeur, ce sont les résidents qui paient pour les rues et boulevards municipaux par leurs taxes sur la propriété. Le financement de la gestion du réseau routier et de l'entretien hivernal n'est pas de l'utilisateur-payeur non plus, étant financé à partir du fond général du gouvernement.

Ça laisse le financement des travaux de construction, réfection et réparation, qui relève du FORT (FOnd des Réseaux de Transport terrestre). Ce financement vient de deux sources majeures: une partie des cotisations d'immatriculation et de permis, et la taxe sur l'essence.

Les cotisations d'immatriculation et de permis ne varient pas selon l'usage des réseaux routiers, ce ne sont pas de l'utilisateur-payeur. La taxe sur l'essence est la source de financement qui s'approche le plus de l'utilisateur-payeur. En théorie, plus on conduit, plus on consomme de l'essence, plus on paie de la taxe sur l'essence.

La taxe sur l'essence, inappropriée pour l'utilisateur-payeur

Un tarif d'utilisateur-payeur approprié pour la voiture se mesure en cent par kilomètre parcouru. Plus l'infrastructure (la route) coûte cher à construire et à entretenir, plus l'on devrait payer cher. Et à ce niveau, rien ne coûte plus cher qu'une autoroute.

J'avais déjà estimé le coût du réseau provincial en moyenne à environ 7 cents le kilomètre parcouru, et bien cela représente le tarif moyen, la moyenne de toutes les autoroutes (les 2 200 km d'autoroute du Québec), les routes nationales et régionales et les collectrices. En tout, ça fait 29 000 km de routes provinciales.

Combien coûte les autoroutes par kilomètre parcouru? On peut approximer le tout en regardant les autoroutes à péage partout dans le monde.
  • Au Japon, le péage moyen sur les autoroutes est de 25 yen le kilomètre, soit environ 28 cents le kilomètre en devise canadienne. Il faut dire que le Japon est très montagneux et que construire des autoroutes est très dispendieux car il faut faire plein de tunnels et de sections surélevées.
  • En France, les autoroutes ont été privatisées et le péage moyen est de 8,5 centimes par kilomètre, l'équivalent d'environ 11 cents le kilomètre. La France est relativement plate sauf pour quelques montagnes et les travaux en génie civil sont relativement abordables.
  • En Ontario, l'autoroute 407 est un PPP financé uniquement avec les péages. Ceux-ci varient de 20 à 27 cents le kilomètre, mais il y a une marge de profit de 20%, on parle donc d'environ 16 cents le kilomètre.
On peut donc estimer le coût d'un kilomètre parcouru en autoroute à entre 10 et 15 cents au Québec. Ce qui voudrait dire que le coût d'un kilomètre parcouru sur une route nationale ou régionale serait probablement aux alentours de 4-5 cents le kilomètre.

Pourquoi les autoroutes sont plus cher? Parce qu'une autoroute ne peut pas avoir d'intersection, elle ne peut avoir que des échangeurs, ce qui veut dire tunnels et viaducs à répétition. Les autoroutes requièrent également de larges terrains dégagés pour la sécurité au cas où les conducteurs prendraient le fossé. Pour assurer une vitesse élevée, il faut des trajets droits avec peu de courbes, ce qui coûte également cher.

Bon, est-ce que c'est ce qu'on paie? Voyons voir...

Exemple 1: banlieusard éloigné

Imaginons un banlieusard de banlieue éloignée, un cas assez extrême. Celui-ci utilise principalement des autoroutes pour se déplacer et il fait 25 000 kilomètres par année, dont 20 000 kilomètres sur l'autoroute, le reste sur le réseau municipal. Voici ce qu'il paiera en frais pour les infrastructures routières:
  • 150$ par année à travers les frais d'immatriculation et de permis de conduire (ce qui exclut les contributions à la SAAQ)
  • Comme il conduit surtout sur l'autoroute, sa consommation d'essence sera basse, admettons 7 L/100 km. À 20 cents le litre comme taxe sur l'essence, le tout représente 350$.
  • Total: 500$, ou 2 cents par kilomètre parcouru
Et combien coûte-t-il au gouvernement provincial?
  • Il roule 5 000 km sur le réseau municipal, qui est financé par les taxes sur la propriété, donc payé par les villes, coût pour le provincial: 0$
  • Il roule 20 000 km sur l'autoroute, qui coûte environ 10 cents par kilomètre parcouru au gouvernement provincial: 2 000$
  • Coût total: 2 000$ ou 8 cents par kilomètre parcouru
Le banlieusard dans l'exemple contribue donc 500$ au réseau provincial, mais son utilisation du réseau entraîne une dépense de 2 000$, un manque à gagner de 1 500$. C'est une subvention significative. Par comparaison, si ce banlieusard a un salaire de 40 000$, il paiera 4 200$ en impôt provincial, maximum. Cette subvention représente donc l'équivalent de presque 40% de la valeur de l'impôt provincial.

Qui donc finance ce manque à gagner?

Exemple 2: l'automobiliste montréalais

Voyons voir maintenant un automobiliste montréalais, qui fait 8 000 km en moyenne dans sa voiture, presque exclusivement sur le réseau local. Voici ce qu'il paiera:
  • 150$ par les contributions d'immatriculation et de permis de conduire
  • Comme il conduit surtout en ville, supposons une consommation d'essence de 12 L/100 km.  Ça fait environ 200$ en taxe sur l'essence.
  • Total: 350$, ou 4,4 cents le kilomètre parcouru
Et combien coûte-t-il au gouvernement provincial?
  • Il roule 8 000 km sur le réseau municipal, financé par les taxes sur la propriété, donc 0$
  • Il roule 0 km sur le réseau provincial, ou environ, donc 0$
  • Coût total: 0$
Cet automobiliste urbain va donc payer 350$ pour des infrastructures routières qu'il n'utilise pas.

Utilisateur-payeur inversé: un incitatif pervers

Le résultat de ce système, c'est que plus les gens utilisent l'autoroute, moins ils paient cher pour le réseau routier, car l'autoroute permet de réduire la consommation d'essence et augmenter le kilométrage permet d'amortir la contribution annuelle de l'immatriculation et du permis. Or, au niveau de l'utilisateur-payeur, c'est l'inverse qu'on veut: comme les autoroutes sont beaucoup plus dispendieuses que les routes régulières et les rues à construire et entretenir, il faudrait avoir une structure tarifaire où il est plus dispendieux d'utiliser l'autoroute que d'utiliser des rues ou des routes nationales. Ainsi, on peut décourager l'abus des autoroutes, un abus qui mène à de la congestion et à la construction de plus d'autoroutes et à des élargissements des autoroutes existants.

Cette structure tarifaire est également une subvention extraordinaire à l'étalement urbain, représente une subvention de plusieurs centaines de dollars, voir même de mille dollars et plus par banlieusard éloigné. Cela favorise également les centres commerciaux et les parcs industriels isolés des quartiers résidentiels, sur le bord de l'autoroute. Des endroits peu accessibles autrement qu'en voiture, et donc qui imposent l'achat de voiture et leur utilisation pour accéder aux emplois et commerces y étant situés.

De quoi aurait l'air l'utilisateur-payeur?

 Pour l'utilisateur-payeur, voici de quoi devrait avoir l'air les tarifs pour les voitures:
  • Élimination de la contribution au réseau routier des tarifs d'immatriculation et de permis, donc 150$ de moins, car c'est une charge qui n'est pas variable à l'utilisation
  • Les rues municipales devraient être financées par la taxe sur l'essence et non par les taxes sur la propriété. Environ 40-50% des revenus de la taxe sur l'essence devraient y être consacrés, en étant transférés aux villes. La taxe sur l'essence devrait probablement augmenter de 10 cents le litre (mais en éliminant la taxe fédérale, donc le prix de l'essence devrait rester stable)
  • Péage sur toutes les autoroutes de 10 cents le kilomètre parcouru
Dans l'article précédent sur le sujet, je disais ne pas être en faveur des péages sur les autoroutes, même si je n'arrivais pas à expliquer mon refuse de supporter cette mesure rationnellement... et bien, j'ai évolué. Je crois maintenant qu'introduire un péage sur toutes les autoroutes québécoises est une mesure positive qu'il faudrait prendre.

* Sources pour les importations et exportations du Québec:
http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/comrc_exter/comrc_inter_inter/imp_prod_2012.htm
http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/comrc_exter/comrc_inter_inter/exp_prod_2012.htm

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