mardi 11 mars 2014

Zonage japonais

Tout d'abord, je ne suis pas un expert de l'urbanisme japonais, ce que j'en sais tient d'un document explicatif publié en anglais par le ministère du sol et des transports japonais, que vous pouvez trouver à l'adresse suivante:

Je vais souligner les éléments spécifiques au zonage japonais que je trouve particulièrement intéressant.

1- Le zonage relève d'une loi nationale

C'est la caractéristique la plus surprenante du zonage japonais. En Amérique du Nord, les municipalités sont rois et maîtres du zonage, elles le conçoivent et l'appliquent, ce qui ne semble pas très sage considérant que beaucoup de municipalités n'ont simplement pas l'expertise de faire une planification urbaine très poussée, qui est requise pour une application décente du zonage euclidien. Au Japon, la loi régissant le zonage est conçue par le gouvernement national, qui est capable de mobiliser l'expertise nécessaire pour concevoir une loi qui fait du sens.

Par contre, si la loi encadrant le zonage est définie par le gouvernement national, son application est laissée aux municipalités. Les villes ont donc un certain pouvoir, mais elles sont limitées par la loi nationale, ce qui me semble un très bon compromis, même si ça élimine des possibilités d'expérimentation en terme de zonage, car les villes ne peuvent pas essayer d'autres formes de zonage.

2- Il n'y a que 12 zones différentes

Dans le zonage nord-américain, il y a souvent des centaines de zones différentes avec des caractéristiques différentes. Dans le zonage japonais, les villes ne peuvent définir que 12 zones différentes, allant d'une zone résidentielle à bas étage jusqu'à zone exclusivement industrielle. Il y a des variations sur ces zones, notamment le rapport maximal entre le bâtiment et le terrain et le rapport de plancher par rapport au sol. Ces caractéristiques sont importantes pour définir la densité des zones. Le premier est le rapport entre la superficie du terrain occupée par le bâtiment et la superficie totale du terrain. Le second est le rapport entre la somme des superficies de chacun des étages sur la superficie totale du terrain. Toutefois, les municipalités ne peuvent pas choisir n'importe quelle valeur arbitraire, elles n'ont que certains choix.

Par exemple, pour la zone résidentielle de bas étage I, les villes ne peuvent choisir qu'un rapport entre la superficie du bâtiment et celle du terrain de 30, 40, 50 ou 60%. Le plus faible rapport entre la superficie totale des étages et la superficie du terrain disponible est de 50%. En comparaison, dans la norme de Saint-Jean-sur-Richelieu que j'ai mentionnée, en suivant les règles des marges latérales, avant et arrière, et en tenant compte d'un terrain avec la superficie minimale, ce rapport entre la somme des superficies de plancher et du terrain n'est que de 33% maximum, et fréquemment 20-25% dans nos banlieues.
Les 12 zones japonaises

3- Les zones restreignent les usages, mais sont plus flexibles, elles imposent un usage "maximal" plutôt qu'un usage exclusif

Dans le zonage nord-américain, les zones définissent clairement quels usages sont permis. Chaque zone typiquement ne tolère qu'un usage, ou deux à la limite. Par exemple, une zone résidentielle unifamiliale ne tolère que des maisons unifamiliales, une zone multifamiliale ne tolère que de du multifamilial, les maisons unifamiliales y sont interdites. Dans une zone commerciale, seuls les commerces sont tolérés, le résidentiel est proscrit, etc...

Si on voulait donner une idée de ce que ça aurait l'air sous forme de grille, ça donnerait ça:
Exemple théorique du zonage nord-américain
Les colonnes représentent les zones différentes, les lignes représentent les usages. Lorsque la case est rouge, ça veut dire que l'usage en question est interdit dans la zone, lorsqu'elle est verte, ça veut dire que l'usage est permis. Notez que j'ai mis les usages en ordre de nuisance. Le concept de nuisance est associé intrinsèquement au zonage. La nuisance inclut une activité et une circulation accrue, des bruits, de la pollution, etc... Ainsi, une école est considérée comme ayant un degré plus élevé de "nuisance" que le résidentiel car beaucoup de personnes et d'enfants passent la journée là, ce qui amène du bruit et une circulation accrue, mais un degré moins élevé que les commerces.

L'approche japonaise au niveau du zonage, c'est plutôt ça:
Exemple théorique du zonage japonais
La différence saute aux yeux, il y a beaucoup plus de vert. La raison est que le zonage japonais considère les limites sur l'usage plus comme un degré maximal de nuisance permis plutôt qu'un usage exclusif permis. Ainsi, les bâtiments considérés comme étant de faible nuisance sont permis dans presque toutes les zones. Ce qui veut dire que les zones japonaises permettent des usages mixtes à différents degrés, ce qui n'est pas vrai du zonage nord-américain. Bon, les zones nord-américaines peuvent permettre la mixité des usages, mais ce n'est pas la règle, plutôt l'exception.

En pratique, le zonage nord-américain, par sa restriction très serrée des usages, crée un besoin pressant de beaucoup d'expertise de la part du service d'urbanisme qui doit planifier le zonage jusque dans les moins détails afin d'avoir une ville qui a de l'allure, devant s'assurer de permettre les bons usages aux bons endroits et découpant la ville en des milliers de zones différentes de petite taille... Or, comme ces services sont souvent popoches, ça fait des villes poches où on exclut plein d'usages à proximité des quartiers résidentiels, usages qui sont bâtis seulement en périphérie de la ville, et nécessitant donc des déplacements de longue distance pour les résidents, imposant pratiquement l'usage de la voiture. Au contraire, le zonage japonais permet plus de latitude dans chaque zone, il est donc possible de définir de larges zones et de laisser les gens s'organiser par la suite. Même s'il n'y a pas assez de zones résidentielles, comme le résidentiel peut être construit essentiellement partout, ce n'est pas un problème.

On pourrait dire que le zonage nord-américain est exclusif alors que le zonage japonais est plus inclusif.

En passant, voici le tableau réel des normes japonaises. Comme je l'ai dit, quand un usage devient permis dans une zone (la case est jaune), il reste permis dans toutes les zones plus élevées (les cases à droite restent jaunes). La seule exception à la règle, c'est la zone exclusivement industrielle, qui ne permet, comme son nom l'indique, uniquement les usages industriels lourds.
Usages permis dans chaque zone japonaise
4- Le zonage japonais ne différencie pas les types d'usage résidentiel

Comme je l'avais dit dans l'article précédent, au Japon, le résidentiel, c'est du résidentiel. Contrairement au zonage nord-américain qui considère des maisons unifamiliales isolées comme un usage différent des maisons unifamiliales attachées, et le multifamilial comme un usage différent des deux autres, le zonage japonais ne se casse pas la tête. Si un bâtiment sert essentiellement à donner un abri à des gens, c'est du résidentiel, point à la ligne.

Ça ne veut pas nécessairement dire que des blocs appartements de 10 étages trônent parmi des rangées de maisons unifamiliales. Bon, ça arrive de temps en temps, mais le zonage tend à restreindre les étages en utilisant les limites sur le coefficient d'occupation du sol et le rapport de la superficie des planchers aux terrains. Ce qui veut dire que les appartements en milieu résidentiel de bas étage doivent également avoir peu d'étages, menant à des bâtiments composés d'une série d'appartements que nous qualifierions de studios, une seule salle multifonctionnelle avec une toilette.

Cohabitation unifamiliale et multifamiliale dans zone résidentielle à bas étage, Sendai
Vue aérienne, en vert l'unifamilial, en rouge le multifamilial
Encore une fois, cette flexibilité diminue la nécessité d'avoir un zonage précis et bien fait. Dans les villes nord-américaines, si l'agence de zonage ne planifie pas assez de multifamilial ou d'unifamilial, ça peut causer des gros problèmes, soit une hausse du coût de l'unifamilial, soit une crise du logement par le manque de logement locatif. En ne différenciant pas entre les deux, il se bâtit ce qui est en demande. Et s'il manque de multifamilial, il est même possible de remplacer une maison unifamiliale un peu crasseuse qui se vend à bas prix par un petit bloc d'appartements.

En pratique par contre, le multifamilial tend à se concentrer près des écoles, des secteurs commerciaux et des gares. Ce qui fait du sens. Comme je l'ai dit, les revenus par mètre carré de superficie du multifamilial tendent à être plus élevés que ceux de l'unifamilial. Alors si les deux sont en concurrence pour des terrains prisés pour leur proximité aux services, le multifamilial tend à l'emporter.

5- Le zonage inclut des restrictions sur la hauteur des bâtiments qui sont rationnelles

Dans le zonage nord-américain, on fait souvent des restrictions d'étage de façon arbitraire. On limite les bâtiments à X étages seulement car les bâtiments autour sont à X étages. Or, il y a effectivement une raison de limiter les étages qui est rationnelle: le besoin de laisser passer le soleil dans la rue et d'éviter de plonger des bâtiments dans la pénombre éternelle. Au Japon, les limites d'étages sont inclus dans le zonage, mais elles sont rationnelles, basées sur la largeur de la rue et le besoin de préserver l'ensoleillement. Ça donne ces petites images:
Restriction de la forme des bâtiments pour préserver l'ensoleillement
Donc à mesure que le bâtiment s'éloigne de la rue, la hauteur permise augmente, et plus la rue est large, plus ils permettent le bâtiment d'être haut. Il est par contre possible de ne pas appliquer ces règles dans certaines zones spécifiques, afin de permettre les gratte-ciel aux centres-villes notamment.

6- Les villes conservent le droit d'établir quelques critères géométriques

Malgré l'encadrement national, les villes ne sont pas dépourvues de pouvoir. Elles peuvent par exemple identifier des zones où certains critères ne sont pas appliqués pour faciliter la densification et la construction en hauteur. Elles peuvent également établir certains critères comme un pourcentage d'aires vertes sur chaque terrain, une marge entre les bâtiments et la rue, etc... Mais elles ne peuvent changer les règles de base du zonage.

Conclusion

Ceci n'est qu'une description du zonage d'un autre pays pour montrer comment on pourrait faire différent. Personnellement, je crois que ce zonage fait beaucoup plus de sens que le zonage actuel que l'on utilise. L'application d'une loi nationale encadrant les zonages municipaux simplifiant le nombre de zones est une très bonne idée, de même que l'élimination des distinctions entre les catégories de résidentiel et l'allègement des restrictions d'usages pour permettre la mixité sur la base du principe d'un degré de "nuisance" maximal plutôt que des usages exclusifs. L'application d'un critère rationnel aux dimensions des bâtiments est une excellente idée.

Bref, le zonage japonais fait beaucoup plus de sens que le zonage typique que l'on utilise.

Ce n'est pas le seul modèle de zonage alternatif. Les Nouveaux Urbanistes proposent un zonage basé sur la forme des bâtiments afin de favoriser des bâtiments favorables à la marche. Houston au Texas est reconnu comme une ville sans restriction d'usage dans son zonage, n'importe quoi peut être construit n'importe où, bien qu'il y a des règles comme le nombre de stationnements minimum et de dimensions minimales de lots qui limitent beaucoup la densité, et des règles contre la nuisance qui permet aux gens de contester légalement la construction de bâtiments qui causerait des nuisances aux résidents.

Le point important à se rappeler, c'est que les pratiques actuelles de zonage sont indéfendables. La question n'est pas de savoir si on devrait les changer, mais comment on devrait les changer.

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