samedi 15 mars 2014

Le prix du stationnement

Un des éléments qui n'est souvent pas pris en compte dans le coût des déplacements automobiles est le stationnement, généralement parce qu'au Québec, comme dans la majorité de l'Amérique du Nord, la grande majorité des stationnements sont gratuits. Les endroits qui imposent des frais de stationnement sont très minoritaires, largement concentrés à certains centres-villes. Nous avons une grande abondance de stationnements en général, et des stationnements gratuits.

Pourtant, les stationnements ne sont pas gratuits, à un certain niveau, quelqu'un doit bien payer pour le terrain et pour les construire. C'est certain qu'ils ont une certaine utilité en facilitant les gens venant magasiner ou travailler à certains endroits. Est-ce que les stationnements sont construits par rationalisme des constructeurs immobiliers?

Et bien non. La réalité est que le Québec, comme le reste de l'Amérique du Nord, a adopté une gestion de l'offre de stationnement qui assure un stationnement abondant, et souvent gratuit. C'est le modèle du stationnement minimum.

Stationnement minimum: surabondance assurée, subvention sournoise


Pratiquement toutes les villes du Québec ont adopté des normes par rapport au nombre de stationnements que tout promoteur doit construire, que ce soit pour du résidentiel, du commercial ou de l'industriel. Ainsi, dans la majorité des villes, il y a des normes du genre: "toute maison unifamiliale doit avoir un minimum de 2 places de stationnement hors-rue", "tout immeuble résidentiel doit offrir 1,5 places de stationnement hors-rue par unité de logement", "toute épicerie doit offrir une place de stationnement par XXXX pieds carrés de surface", etc, etc, etc...

Le but de ces normes est théoriquement d'offrir suffisamment de stationnement pour les résidents, les clients ou les employés de chaque endroit, afin d'éviter les débordements. C'est-à-dire le stationnement sur rue ou dans les stationnements adjacents.

Bon, ça peut faire du sens à première vue... le problème, ce sont les suppositions à la base de la méthode ainsi que les conséquences de celle-ci.

La supposition la plus néfaste est celle que tous les déplacements se feront en voiture, ce qui est ce que les anglais appellent une "self-fulfilling prophecy", une prophétie qui se réalise par elle-même. En effet, en supposant que tous les déplacements se font en voiture, on impose une si grande quantité de stationnement qu'on rend tous les modes de déplacement autres que la voiture inadaptés, forçant les gens à venir en voiture et à utiliser le stationnement. Or, s'il avait été plus facile de se déplacer autrement, aurait-on besoin d'autant de stationnement?

Les stationnements prennent beaucoup de place, réduisant la densité effective significativement, augmentant les distances à parcourir de beaucoup entre les bâtiments et créant un environnement hostile à la marche et à la bicyclette. La faible densité nuit aussi aux transports en commun, qui doivent multiplier les arrêts en en mettant pratiquement un devant chaque bâtiment sur les artères commerciales, ce qui crée un problème avec le paradoxe du service des autobus (un autobus peut être peu utilisé, infréquent mais rapide, ou fortement utilisé, donc fréquent, et lent, mais il ne peut être fréquent et rapide), limitant le nombre de personnes pouvant venir en transport en commun.

Cette norme a pour conséquence d'incorporer dans le coût des bâtiments le coût du stationnement. Ce coût peut être significatif, en ville, un stationnement souterrain dans un garage peut ajouter 30 000 à 50 000$ au coût d'une résidence. En banlieue, les terrains sont abordables, donc on peut se contenter de places hors terre... qui coûteront environ 4 000$- 5 000$ par place en moyenne (chaque place prend environ 20 mètres carrés, le terrain en banlieue coûte environ 100$ par mètre carré et on peut rajouter 100$-150$ pour aménager et paver le stationnement). Quand on pense aux stationnements commerciaux, le coût peut être très important. Si on impose 100 places de stationnement, ça représente un coût de 500 000$ imposé au constructeur, sans parler de l'entretien annuel de ce stationnement ainsi que le drainage ou les réparations.

Si le stationnement est offert gratuitement, tous les clients sont forcés de payer un supplément, sans le savoir, pour payer le stationnement. Ou, pour un bureau, le coût du stationnement est inclus dans le loyer des entreprises louant l'espace, et diminuent les revenus qui pourraient autrement être utilisés pour payer les employés ou pour investir dans l'entreprise.

Petite leçon d'économie: pourquoi la surabondance de stationnement entraîne des stationnements gratuits

Dans une économie de marché, le fonctionnement de base au niveau du prix est la conciliation entre l'offre et la demande. Plus le prix d'un bien est élevé, moins les gens en achèteront, mais plus les fournisseurs de bien seront prêts à en fabriquer. Bref, on symbolise le tout souvent avec deux courbes, une de l'offre (la quantité de biens offerts sur le marché) et une de la demande (la quantité de biens que les consommateurs achètent).
Courbe typique, offre et demande
Ce que l'exemple veut dire, c'est qu'au prix unitaire P, la quantité consommée d'un bien égalera la quantité produite, il s'agit de la quantité Q. Si le prix est inférieur, il y a pénurie, on produit trop peu de biens pour la consommation désirée des gens, certains qui voudraient en acheter n'en auront pas. Si le prix est supérieur, on est en surplus, on produit plus d'unités que les gens ne veulent acheter au prix actuel, il faudra une baisse des prix pour écouler les stocks.

Ceci s'applique également aux stationnements, la quantité étant le nombre de stationnements construits ou occupés. Plus on charge cher le stationnement, moins de gens en utiliseront: soit ils viendront moins souvent, soit ils resteront moins longtemps (pour payer moins cher) soit ils viendront différemment (à pied, en vélo, en transport en commun). Mais plus le prix des stationnement est élevé, plus les développeurs auront tendance à en construire, car les stationnements paieront une partie, voir la totalité de leurs coûts... ils seront même peut-être une source de revenus.

Imaginons que les stationnements soient gratuits, qu'est-ce qui arrive? Le prix est donc à 0, comme les stationnements permettent d'attirer des clients, un certain nombre de stationnements sera offert, mais comme les stationnements représentent une dépense et n'offre pas de revenus, le nombre construit sera limité. Par contre, comme les stationnements sont gratuits, un grand nombre de gens viendront en voiture, car on leur simplifie beaucoup la vie. Donc on construit peu de stationnements et beaucoup veulent en utiliser... on a une pénurie. Dans les moments chargés, le nombre de personnes venant en voiture sera supérieur au nombre de stationnements, plusieurs ne pourront pas stationner.

Stationnement gratuit: situation de pénurie
La quantité demandée maximale sera Q, la quantité offerte (construite) sera q. La différence entre les deux (Q-q) représente une pénurie et risque d'occasionner un débordement du stationnement dans la rue ou dans d'autres stationnements.

Justement, c'est en observant de telles situations où le stationnement était gratuit que les normes de stationnement minimum ont été conçues. Ils prenaient des cas où tous les déplacements étaient en voiture (exemple: des commerces sur le bord de l'autoroute) avec du stationnement gratuit, puis ils envoyaient du monde compter le nombre de voitures arrivant sur le site durant la pire journée de l'année au niveau de l'achalandage. En gros, ils ont calculé la quantité Q, la demande quand le prix est zéro.

Ils ont pris cette quantité et ils l'ont transformé en quantité minimale imposée aux développeurs construisant des commerces ou des bureaux. Bref, ils ont utilisé la loi pour imposer un changement dans la courbe de l'offre. Quel que soit le prix du stationnement, l'offre de stationnement (la quantité construite) doit être égale ou supérieure à Q, la quantité de stationnements utilisée si le prix est nul. Ça donne ça:
Effet de normes de stationnement minimum
En imposant une offre minimale de stationnement si élevée qu'elle surpasse la quantité maximale de stationnements utilisée en tout temps, on crée une situation où le prix "d'équilibre" est effectivement zéro. Principalement car le gouvernement impose de construire un nombre excessif de stationnements, le coût est donc incorporé dans le coût de construction. Que le stationnement soit peu utilisé ou très utilisé, les coûts sont les mêmes. On n'a pas besoin d'imposer que les stationnements soient gratuits, en s'assurant que l'offre de stationnement sera toujours très abondante, on fait en sorte que, par les lois économiques, les stationnements seront gratuits.

Le stationnement gratuit: un incitatif majeur pour la voiture


J'ai déjà dit qu'un des facteurs majeurs déterminant le choix d'un mode de transport est la vitesse. Un autre facteur très important est le prix. Or, il faut comprendre la psychologie humaine: un prix marginal a beaucoup plus d'effet qu'un prix fixe. Par exemple, une passe de transport en commun coûtant 80$ par mois incitera les gens à faire plus de déplacements que des billets à 2$ l'unité, car chaque fois que l'on prend les transports, on doit payer. Avec une passe, le coût marginal (coût d'un déplacement additionnel) est nul, tu as ta passe, tu peux l'utiliser comme il te plaît.

Pour la voiture, c'est la même chose... mais de tous les coûts d'une voiture, la très grande majorité est fixe. Le coût de la voiture est fixe, l'immatriculation, les droits de permis, les assurance, l'entretien (plus ou moins)... pratiquement le seul coût marginal est l'essence, et même là, c'est un prix qui n'est pas évident, notre voiture ne nous dit pas combien chaque voyage a coûté, on fait le plein une fois par semaine ou au besoin.

Le coût de stationnement est donc un incitatif majeur à favoriser d'autres modes de transport, car c'est un coût marginal, surtout s'il s'agit d'un coût à la journée. Le simple fait de mettre un coût de stationnement de 2 ou 3$ la journée dans un lieu de travail peut entraîner de 10 à 30% des employés à trouver un moyen alternatif pour venir au travail.


Conclusion

Il n'est pas juste et une très mauvaise idée d'imposer une surabondance de stationnement et de faire passer ces coûts sournoisement dans le prix de tout. Non seulement on gaspille une quantité effarante de terrains et qu'on impose pratiquement la voiture pour se déplacer, mais il y a aussi une question de justice. Pourquoi tous devraient payer pour ceux qui utilisent du stationnement, qu'ils l'utilisent ou non? C'est une subvention à l'usage de l'automobile, cette manière de faire n'est juste que si 100% des gens viennent en voiture et utilisent le stationnement.

La Californie a d'ailleurs passé une loi obligeant les employeurs à donner un bonus à tous leurs employés s'engageant à ne pas utiliser de stationnement au travail correspondant au coût du stationnement par employé, cette simple loi a entraîné une diminution des gens venant en voiture seule au travail allant de 13% en moyenne, allant jusqu'à 25% dans des endroits bien desservis en transport en commun.

Ce qui est surtout important ici, c'est de diminuer les normes de stationnement minimum, laissons les constructeurs choisir de construire le nombre de stationnements qu'ils jugent approprié. Quant au problème de débordement, je crois que ce n'est pas au gouvernement de s'en charger. Le gouvernement doit se contenter d'appliquer des règles comme l'interdiction de stationner sur les trottoirs ou en double, ou les zones de stationnement interdites. S'il y a des problèmes de débordement entre des commerces, qu'ils s'arrangent entre eux. Assurer un endroit pour garer une voiture ne devrait pas être une mission prioritaire des gouvernements, ni même une de ses missions.

Alternativement, une approche différente pourrait être la collectivisation des stationnements. Au lieu d'imposer la construction de stationnements privés devant chaque commerce, les gouvernements municipaux pourraient charger une taxe sur chaque nouveau bâtiment équivalent au coût de construire un certain nombre de stationnements, et c'est le gouvernement qui assumerait le coût et la gestion des stationnements. La différence serait que ces stationnements seraient publics et partagés, plutôt que privés et exclusifs à chaque commerce. Ceci permettrait de diminuer le nombre de stationnements nécessaires et de régler le problème de débordement. Cela faciliterait la mise en place de tarification sur les stationnements si c'est ce que ça prend pour éviter la pénurie.

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