Voici une comparaison des modes de développement des deux plus grandes villes canadiennes, Montréal et Toronto, qui ont suivi des modèles très différents se reflétant dans le type d'habitations.
Les escaliers de Montréal, ou Montréal, la ville du multiplexe
Le stock immobilier de Montréal se définit principalement par ce qui est couramment appelé des "multiplexes", des unités d'habitation construites l'une par-dessus l'autre. Par contre, les multiplexes diffèrent des blocs appartements typiques à plusieurs égards:
1- Ils sont généralement limités à 2 ou 3 étages
2- Ils n'occupent pas une très grande superficie, pas plus d'un ou deux logements par bâtiment
3- Chaque logement dispose de sa propre porte sur l'extérieur plutôt que d'avoir une entrée commune
1- Ils sont généralement limités à 2 ou 3 étages
2- Ils n'occupent pas une très grande superficie, pas plus d'un ou deux logements par bâtiment
3- Chaque logement dispose de sa propre porte sur l'extérieur plutôt que d'avoir une entrée commune
Quand je dis que ce type de bâtiment prédomine, je ne niaise pas, nous en avons des kilomètres carrés, comme le démontre cette photo prise du Mont Royal, vers l'est. Tout ce qu'on peut voir est du multiplexe, ou presque.
Multiplexes à perte de vue |
Quand Montréal a commencé à croître avec la première migration urbaine de l'ère industrielle, le multiplexe a été le bâtiment privilégié. Et une spécificité des logements de Montréal est l'escalier extérieur, qui est pratiquement unique au monde.
Ces photos montrent des vieux bâtiments comme des nouveaux, des bâtiments pour les riches comme pour les pauvres.
Les touristes en sont généralement bouche bée de voir ça. Ils trouvent ça étrange que dans une ville où il y a quotidiennement de la neige et de la glace pendant 5 mois par année que les habitants aient opté pour des escaliers de métal à monter et à descendre plusieurs fois par jour. Il n'est pas clair pourquoi ces escaliers sont communs, j'ai entendu deux théories.
La première veut qu'afin d'éviter d'avoir des bâtiments trop près l'un de l'autre, la ville a mandaté des marges avant, soit entre les bâtiments et la rue, ce qui a réduit la surface sur laquelle il était possible de construire. Afin de sauver de l'espace, les parties communes ont été mises à l'extérieur du bâtiment.
La seconde est que c'est une manière de réduire les parties communes à chauffer l'hiver. Comme les escaliers sont extérieurs, seuls les logements en tant que tel doivent être chauffés.
En tout cas, nous sommes pris avec, et les Montréalais en général en sont fiers. C'est une sorte de symbole architectural de la ville.
Donc, c'est de quoi a l'air Montréal, quartier par-dessus quartier composé de multiplexes, avec une variété d'appartements de tailles différentes dans chaque.
The towers of Toronto
Toronto est une ville plus récente et c'est assez évident. Elle suit la tradition nord-américain d'avoir une offre de logement très polarisée entre maisons unifamiliales et blocs appartement ou tours à condos de très grande taille. En fait, dans un voyage récent à Toronto, ça m'a choqué de voir le peu de bâtiments multifamiliaux de petite taille. Voici la vue sur le centre-ville à partir de la tour du CN.
Toronto à partir de la tour du CN, avec des tours résidentielles et à bureaux suivant les lignes de métro |
Photo à partir du même endroit, mais un peu à gauche, mer de maisons unifamiliales |
Détail des groupements de tours de Toronto |
Détail des quartiers de maisons |
Je n'avais pas pris de photo des maisons dans ce coin lors de mon voyage, alors je vais utiliser Google Maps pour montrer de quoi elles ont l'air.
Pour des maisons détachées ou semi-détachées, elles sont relativement denses, soit entre 25 et 35 unités par hectare. Mais c'est encore très loin de la densité des quartiers de multiplexes de Montréal qui peuvent atteindre et dépasser les 100 unités par hectare, et les 20 000 personnes par kilomètre carré.
Alors Toronto n'offre que peu de gradation entre les maisons et les tours à condo. Les appartements de petite et moyenne taille sont presque absents.
Quelques chiffres
Pour ceux qui m'accuseraient de divaguer, voici de quoi vous faire taire. Le recensement ne compte pas que les ménages, il recense également le stock immobilier au Canada, et les unités de logement sont divisées en plusieurs catégories, et les appartements sont notamment divisés entre les appartements dans des bâtiments de petite taille et ceux de plus grande taille, soit entre ceux dans des bâtiments de moins de 5 étages et ceux dans des bâtiments de 5 étages et plus. Alors voici une comparaison des stocks immobiliers de Toronto, Montréal, et Vancouver, pour le fun.
Répartition des unités de logement selon le type, pour les villes centres |
Alors ça confirme ce que j'ai dit. En ajoutant les appartements de moins de 5 étages et les duplexes, ça fait 72,6% des unités de logement de Montréal! À l'opposé, les maisons détachées et semi-détachées ne font que 10,8% des unités de logement de Montréal. À Toronto, le portrait est très différent, les duplexes et les appartements de petite taille ne font que 20% du stock immobilier, mais plus de 40% des unités de logement sont des appartements dans des bâtiments de plus de 4 étages. Les maisons unifamiliales restent très présentes avec 33,2% des unités de logement.
Vancouver est un peu entre les deux, avec une offre de logements plus diversifiée. Alors que Montréal se concentre sur des bâtiments de petite taille et que Toronto a beaucoup de tours résidentielles et de maisons, sans rien entre les deux, Vancouver a un mélange plus équitable, du moins dans le nombre d'unité (en fait, les maisons unifamiliales occupent les deux tiers de la ville même si elles ne font que moins de 20% du stock immobilier).
À noter par contre que Montréal et Toronto ont toutes deux été fusionnées avec certaines de leurs banlieues, alors regardons les régions métropolitaines au grand complet pour comparer des pommes avec des pommes.
Répartition des unités de logement selon le type, pour les régions métropolitaines |
Et si on isole les logements des banlieues...
Répartition des unités de logement selon le type, pour les banlieues seulement |
Les banlieues de Toronto sont les reines de l'unifamilial, près de 80% des unités de logement sont différents types de maisons unifamiliales, et le multifamilial est largement cantonné dans des gros blocs appartements.
Est-ce que le tout veut dire que Montréal est moins dense que Toronto et Vancouver? Pas vraiment. Même si les quartiers les plus denses de ces deux dernières sont plus denses que les quartiers les plus denses de Montréal, Montréal dispose de beaucoup plus de quartiers avec des densités intermédiaires (7 000 à 15 000 personnes par kilomètre carré). Alors la densité moyenne ajustée pour la population est de 5 400 personnes par kilomètre pour Toronto, 5 000 pour Montréal et 4 500 pour Vancouver.
Les divisions de recensement réparties par densité |
D'où vient cette différence dans les types de logement? Il y a peut-être un facteur culturel, les Québécois seraient un peuple qui semble habitué au multifamilial, du moins en ville, même les vieux villages sont pleins de duplexes.
Mais il y a une autre possibilité: le zonage. Le zonage introduit au début du 20e siècle a comme effet de figer le type de bâtiment permis dans chaque quartier, selon la forme qui prévalait à l'époque où les pratiques de zonage ont été adoptées. Peut-être que Montréal, étant la plus vieille ville des trois et la plus populeuse à l'époque était simplement plus avancée dans la progression naturelle de l'habitation en ville (maisons éparpillées -> maisons denses -> duplexes et multifamilial de basse taille -> immeubles de taille intermédiaire -> immeubles de grande taille) au moment où le zonage est entré en fonction.
À l'opposé, Toronto était encore une plus petite ville avec un centre des affaires de grande taille entouré de maisons unifamiliales denses, ce qui fut figé dans le zonage torontois. Donc, comme la construction d'appartements est illégal dans la majorité de la ville, la seule manière de répondre à la demande et de construire très, très haut dans les quelques quartiers qui permettent la construction d'appartements. Vancouver est dans une situation un peu similaire, mais elle est encore plus récente et la ville est réputée pour son attitude pro-densité alors elle construit plus d'appartements, de petite et grande taille, même si une part importante de la ville interdit les appartements.
Voici des cartes de zonage de Toronto et de Vancouver comme preuves.
Zonage de Toronto |
Les zones oranges sont pour les appartements. Les zones jaunes sont confuses car elles représentent 5 types de zones différentes, dont plusieurs limitent la densité et certaines interdisent carrément le multifamilial.
Zonage de Vancouver |
Ici, c'est plus clair, toutes les zones blanches sont réservées exclusivement à l'unifamiliale détachée, bien que la ville de Vancouver permet désormais de construire une maison secondaire sur l'allée arrière afin de permettre la densification dans ces zones. Il aurait été préférable (mais politiquement difficile) de simplement permettre le remplacement des maisons par du multifamilial morceau par morceau. Les zones jaunes permettent les duplexes, les zones orangés permettent les immeubles à condos de petite taille. Comme il y a relativement peu d'endroits permettant la construction de multifamilial, ça crée une pénurie artificielle de terrains pour ce genre de développements. Les terrains sont tellement cher que les condos dans des hautes tours coûtent aussi cher, voir moins cher, que ceux dans des appartements à faible hauteur
Avec le temps, la situation figée par le zonage peut infecter la culture et les mentalités, comme le prouve le fait que les banlieues de Toronto copient la ville centre en concentrant le multifamilial dans une poignée de blocs de grande taille alors que les banlieues montréalaises tendent à préférer avoir des immeubles multifamiliaux de 3 ou 4 étages.
Une autre dynamique que le tout prouve est que quand une ville réserve une trop grande partie de son territoire à des développements résidentiels de très faible densité comme des maisons unifamiliales, alors ça a tendance à mener à la construction de blocs appartement de très grande taille, car la demande pour les appartements doit être satisfaite, et si elle ne peut l'être par l'étalement de zones d'immeubles à bas étage, alors elle le sera par l'étalement vertical des tours à condos et des gros blocs appartement. Comme Montréal permet des bâtiments résidentiels multifamiliaux de bas étage sur de grandes superficies, la densité possible est plus flexible, et les appartements et condos se multiplient plus facilement dans une multitude de bâtiments de bas étage. Ceci diminue la pression pour construire des tours à condos, qui sont beaucoup plus rares qu'à Toronto et Vancouver.
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