Le mot "densification" revient souvent en urbanisme dans le contexte nord-américain. Tous les experts et la majorité des politiciens sont d'accord sur la nécessité de densifier les villes. Malgré tout, plusieurs personnes ont un mouvement de recul quand on parle de densification. Ils voient souvent ça comme une attaque envers leur quartier ou leur choix de maison, voir leur style de vie.
Pourquoi densifier?
Densifier, comme son nom l'indique, implique d'augmenter le nombre de résidents et d'emplois pour une même surface (souvent ramené à la population par hectare ou par kilomètre carré). Bien entendu, on ne veut pas densifier juste pour le plaisir de faire vivre le monde entassé comme des sardines. La densité n'est qu'un moyen, pas une fin. La densité est une condition sine qua non à la création de communautés où la voiture est facultative pour les déplacements, et non obligatoire.
Tout d'abord, la densité permet plus de mixité avec commerces et services. Les commerces ont besoin d'un certain bassin de population afin de prospérer, or si ce bassin essentiel ne se trouve pas à distance de marche, alors le commerce devra attirer les clients en voiture, ce qui nécessitera plus de stationnements et des rues plus grandes, donc rendra la marche plus difficile, ce qui augmentera le nombre de clients venant en voiture. Si on considère que 10 minutes est le temps maximum de parcours à pied pour atteindre un commerce que les gens toléreront, alors ça veut dire que tous ceux dans une aire d'environ 1,3 kilomètres carrés (dans un rayon de 800 mètres) forment le bassin de clients à pied d'un commerce. Cette aire n'est pas un cercle, mais un carré, pourquoi pas un cercle? À cause des rues.
Comme les gens doivent suivre les rues, même s'ils sont à distance de vol d'oiseau de 800 mètres, ils peuvent être situés plus loin que ça en distance à pied.
Dans une banlieue typique avec une population de 3 000 personnes par kilomètre carré, ça représente 4 000 personnes environ, ce qui n'est que suffisant pour certains commerces de proximité. Mais en ville, dans un endroit comme le Plateau par exemple où il y a 20 000 personnes par kilomètre carré dans les coins résidentiels, le commerce rejoint 26 000 personnes à pied, assez pour permettre même à certains magasins spécialisés de survivre. Cette estimation est grossière, le dédale des rues peut réduire le potentiel de clients à pied, surtout en banlieue où il est fréquent d'imposer des détours importants aux piétons. De plus, plusieurs commerces sont situés dans des zones commerciales sans résident à moins de 100 ou 200 mètres.
Cercle d'un rayon de 800 mètres autour d'un commerce, mais du point vert au point rouge, en suivant les rues, la distance est de 1060 mètres |
Véritable aire marchable en considérant le dédale de rues |
La mixité peut donc éviter des déplacements en voiture, donc réduire la pollution et la consommation énergétique, tout en favorisant l'exercice et en favorisant l'établissement d'une communauté en permettant les rencontres fortuites.
La densité rend aussi viable les transports en commun. Il a été déterminé qu'il faut environ 35 unités d'habitation à proximité d'une ligne de transport en commun pour que celle-ci puisse avoir un service adéquat (une fréquence acceptable), en-dessous de ça, le transport en commun est hautement déficitaire, et donc le service sera mauvais (peu fréquent) pour réduire les pertes.
Même si on met de côté ces avantages, la densité permet d'éviter de détruire les milieux naturels sur une trop grande distance. Dans une région de 1 million d'habitants avec une densité dans les quartiers résidentiels de 3 000 par km carré, il faut 333 kilomètres carrés pour loger tout ce monde. Avec une densité de 10 000 par km carré, il en faut seulement 100, les 233 en supplément peuvent donc être conservés pour d'autres usages: agriculture, parcs nationaux, etc... Cela limite également les coûts d'infrastructure, pas besoin d'autant de conduites ou de routes si la population est plus dense.
Les pratiques actuelles
Trop souvent qaund on parle de densité, on est dans une logique stupidement binaire. Quand on parle haute densité dans les développements récents, on parle de ça:
Des condos, sur 3 à 6 étages, voir plus. Oui, c'est de la haute densité, relativement parlant, de 30 à 60 habitations par hectare en général. Mais le problème, c'est que les condos, ce n'est pas pour tout le monde, les familles particulièrement ne les aiment pas. Il faut vivre avec le syndic du condo, il n'y a pas de porte donnant sur l'extérieur pour la famille, les murs mitoyens entre les appartements peuvent laisser les bruits et les vibrations passer, le terrain est partagé, on ne peut pas faire ce qu'on veut avec, vivre en hauteur n'est pas plaisant pour plusieurs, etc, etc...
Alors on dit qu'il faut plutôt des unifamiliales, mais dès qu'on construit des maisons unifamiliales détachées, on balance tout concept de densité par la fenêtre. On fait presque exclusivement ça:
Des unifamiliales sur des gros terrains avec une grosse pelouse en avant, souvent sur un seul étage (l'image montre des maisons à deux étages, mais ce sont des maisons cossues). La densité de ces constructions? De 8 à 15 unités par hectare. Bien en-deçà de ce qu'il faut pour supporter les transports en commun ou les commerces de proximité.
Entre les deux, nous ne construisons pratiquement rien. C'est soit l'un ou soit l'autre...
Pire encore, même quand on construit dense, souvent on fait de la mauvaise densité. Qu'est-ce que la mauvaise densité? Il s'agit de développements denses situés en périphérie de tout, loin des services de proximité et difficile à desservir en transport en commun. Les bâtiments sont isolés les uns des autres plutôt que de former un tissu urbain (des tours dans des parcs ou dans des stationnements) Du coup, même si c'est dense, cette densité est gaspillée, car les distances imposent quand même l'usage de la voiture aux résidents.
Voici un exemple à Boucherville, des condos situés près d'un champ agricole en bordure de la ville.
La densité est d'environ 36 unités par hectare. Voyez comme les condos sont isolés du reste des secteurs résidentiels au nord? Bon, ils sont à proximité d'un "power center" près d'un échangeur d'autoroute, mais il est difficile d'accès à pied en grande majorité à cause des rues larges, des énormes stationnements et du manque d'infrastructure pour piétons.
Un autre exemple, celui-ci à Candiac:
Il s'agit de condos de style "maisons de ville" avec stationnement souterrain. Pas pire si on les regarde séparément, 50 unités par hectare en fait. Toutefois, ils sont collés contre une autoroute, à plus de 30 minutes de marche de l'épicerie la plus proche. Il y a bien une gare de trains de banlieue, mais celle-ci est à 45 minutes à pied, et à 30 minutes en autobus, parce que le trajet de l'autobus est cinglé, maximisant la couverture au prix de la vitesse (et donc de l'utilité).
Comment densifier?
Bon, les développements actuels sont mal foutus. Est-il possible de faire mieux? Oui, bien sûr.
Tout d'abord, il y a un blocage psychologique à confronter, soit l'idée que l'unifamiliale détachée doit obligatoirement être à basse densité. Ce n'est pas vrai.
Pensez au Japon. On parle de la densité des villes Japonaises, et souvent on pense à ceci:
Sauf que ces gratte-ciel (à côté de la station Tokyo) sont des tours à bureaux, pas des lieux de résidence. Oui, les Japonais ont des tours à condos, mais la majorité de la population japonaise n'y vit pas, la majorité vit dans des maisons unifamiliales... comme celles-ci:
Ceci est une image tirée d'une banlieue de Sapporo. Pourquoi Sapporo et pas Tokyo? Parce que Sapporo est une ville froide comme Montréal, où il tombe presque 600 cm de neige par année. C'est plus comparable que Tokyo où les chutes de neige sont rares. La densité de ce quartier de maisons unifamiliales est de... 45 unités par hectare. Oui, presque autant que la densité des condos en rangée à Candiac et plus que les tours à condos de Boucherville! Comment font-ils?
- Terrains beaucoup plus petits
- Rues étroites (les rues résidentielles japonaises dont j'ai parlé plus tôt)
- Peu de stationnement
Mais pas besoin d'aller jusqu'au Japon, voyez plutôt ce quartier de York à Toronto:
La densité ici atteint 25-35 unités par hectare, tout en conservant des pelouses avant et des cours arrières significatives, même des garages en utilisant une allée arrière. Le truc ici, c'est:
- Avoir des maisons étroites mais profondes plutôt que larges et peu profondes
- Rapprocher les maisons l'une de l'autre, rétrécissant les terrains
Vancouver fait quelque chose de similaire, mais avec une densité légèrement inférieure.
Il est donc possible de tripler, voir de quadrupler la densité des quartiers unifamiliaux au Québec. Ce qui nous en empêche est psychologique... et légal. Les règlements de zonage interdisent souvent de faire des quartiers plus denses, en imposant des distances minimales entre les bâtiments et entre les bâtiments et la rue, ainsi que des dimension minimales de terrain et des restrictions sur la hauteur des bâtiments ainsi que sur leur type (unifamilial vs multifamilial). Mais si nous faisons tomber ces règlements et que nous permettons le morcellement des terrains, nous pouvons densifier bout par bout les quartiers existants dans les banlieues rapprochées. À mesure que les bungalows viennent en vente, on peut permettre aux promoteurs de les acheter, de les raser et de construire plus densément.
Prenons un cas commun dans les banlieues québécoises, le noir est la rue, le blanc est le trottoir, le vert est le terrain, le rouge est les maisons et le brun foncé le stationnement:
Les terrains d'unifamiliale au Québec sont en général profond de 30 mètres ou plus. Les maisons sont souvent larges, de 12 à 15 mètres, mais relativement peu profondes, soit de 8 à 10 mètres. Les bâtiments sont à 1 étage avec sous-sol, qui n'est souvent pas fini et donc pas vraiment habitable. Au total, on parle d'une superficie moyenne d'environ 120-130 mètres carrés. La densité tourne autour de 10 unités par hectare.
En remplaçant des maisons et en construisant plus profond, on peut faire des gains sensibles en terme de densité, de deux à trois fois, en conservant des maisons de taille similaire et en conservant le même nombre de stationnements.
Dans le cas en haut, la maison est maintenant en profondeur plutôt qu'en largeur, mais sa superficie reste de 120 mètres carrés, la même chose que les maisons conventionnelles, et avec le même nombre de stationnements, juste avec un terrain plus petit. Dans le cas en bas, ce sont des maisons en rangée d'une superficie de 100 mètres carrés, un peu plus petit, mais elles peuvent être plus grandes en construisant un deuxième étage. Le stationnement en commun fait en sorte qu'il s'agirait probablement d'un condo.
En utilisant des garages pour le cas en haut, ce qui réduit l'espace intérieur, on peut tripler la densité.
Et tout ceci peut être réalisé pièce par pièce, maison par maison, soit une densification graduelle de quartiers existants. Acheter la maison et la détruire pour reconstruire serait dispendieux, mais en construisant deux ou trois logements (voir plus avec des duplexes et triplexes) sur le terrain, le coût peut être absorbé par plusieurs logements et donc le prix des maisons peut rester abordable pour les acheteurs potentiels.
Si on veut être plus ambitieux, on peut tenter de copier le modèle japonais. Comment? En construisant une rue résidentielle japonaise (5-6 mètres de large) là où les terrains actuels se joignent. Ça nécessite un peu d'expropriation, ce qui est le gros problème de cette solution, mais elle reste possible à long terme. En construisant cette rue, on peut scinder les terrains en deux horizontalement (selon mes schémas), ce qui permet de construire deux maisons identiques sur le même terrain qui n'en avait qu'une auparavant, mais en perdant du terrain (il est alors préférable d'approcher les maisons du bord de la route, pour conserver la cour arrière plutôt que la cour avant).
Voici de quoi ça aurait l'air, en construisant la rue en arrière des propriétés. Les terrains seraient scindés en deux selon les pointillés. On n'obligerait pas le monde à vendre leur maison, mais ils pourraient le faire s'ils le veulent, ou même vendre leur cour arrière pour permettre à d'autres de construire des maisons dans celles-ci, mais ces maisons devraient être petites par obligation, environ 8 mètres par 8 mètres, autour de 55 à 65 mètres carrés il faudrait deux étages pour compenser (c'est environ les dimensions des maisons japonaises soit dit en passant). La densité serait majorée de 150% environ. Ceci suppose qu'on conserve des stationnements larges même pour les petites maisons, en réduisant les stationnements, on pourrait tripler la densité tout en conservant les maisons actuelles (simplement amputées de leurs cours arrières).
Vendre une partie du terrain pourrait rapporter 30 000 à 50 000$ pour les propriétaires. C'est quand même tout un incitatif. Et les maisons ainsi bâties pourraient se vendre au prix de condos actuels.
Alternativement, on pourrait détruire et remplacer les maisons et construire plus dense. Ça donnerait le triple de la densité même en conservant les larges stationnements actuels et en conservant des maisons de 8 m par 10 m, soit 80 mètres carrés, ce qui serait suffisant en compensant par un deuxième étage:
En réduisant les stationnements et en rapetissant les maisons, il serait possible d'obtenir le quadruple de la densité et d'approcher la densité des quartiers résidentiels japonais. Tout ceci en ne construisant QUE de l'unifamilial. On pourrait faire mieux en ajoutant quelques condos ou blocs appartement, et permettre la construction de bâtiments mixtes, commercial au premier étage et résidentiel ou des bureaux aux étages supérieurs. En faisant ainsi, on peut réhabiliter les banlieues qui imposent l'usage de la voiture en des quartiers principalement unifamiliaux mais mixtes et propices à la marche et aux transports en commun. Pour compenser la perte des cours des maisons, on pourrait mettre de côté quelques espaces pour la construction de parcs.
On ne parle pas de forcer qui que ce soit ici, ceux qui veulent le faire peuvent le faire, ceux qui ne le veulent pas peuvent conserver leur maison et leur terrain tel quel. L'important est de donner un choix, de se débarrasser des règles qui interdisent la densification et de changer notre manière d'aborder la densification.
De plus, autre point à souligner il n'est pas question ici d'interdire les bungalows et les larges terrains. L'idée est de densifier en créant une catégorie de résidence entre le bungalow et le condo, pour ceux qui ne tiennent pas à avoir de très gros terrains ou qui veulent une résidence plus abordable (sans avoir à s'exiler en banlieue éloignée), mais qui tiennent à avoir un pied à terre plutôt que d'habiter dans des tours à condos, à avoir quelque chose bien à eux et un petit terrain pour un jardin ou pour décorer pour Noël et Halloween.
De plus, autre point à souligner il n'est pas question ici d'interdire les bungalows et les larges terrains. L'idée est de densifier en créant une catégorie de résidence entre le bungalow et le condo, pour ceux qui ne tiennent pas à avoir de très gros terrains ou qui veulent une résidence plus abordable (sans avoir à s'exiler en banlieue éloignée), mais qui tiennent à avoir un pied à terre plutôt que d'habiter dans des tours à condos, à avoir quelque chose bien à eux et un petit terrain pour un jardin ou pour décorer pour Noël et Halloween.
Il est important d'y penser maintenant. Les babyboomers ne sont pas éternels et quand ils quitteront leurs maisons ou mourront en très grand nombre dans 15-20 ans, un très grand nombre de maisons unifamiliales en banlieue rapprochée iront sur le marché en même temps, accordant autant d'opportunités pour la densification graduelle de ces quartiers et leur urbanisation. Mais il faut que les règlements changent maintenant, avant que la vague se produise.
Construire densément en périphérie des villes elles-mêmes en périphérie de la région métropolitaine est une erreur. La périphérie n'est pas l'endroit pour la densité à moins d'être à proximité d'une gare de transport en commun rapide et fréquent (le sujet pour un autre jour).
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