Quelque chose qui a beaucoup fait jaser récemment à Montréal est le concept d'apaisement de la circulation. La phase I du maire du Plateau Mont-Royal d'apaisement de la circulation, imposant des sens uniques ou inversant des sens uniques sur certaines rues, a fait rager plusieurs automobilistes habitués de traverser le coin. Plusieurs l'ont accusé d'être "anti-voiture", tellement d'ailleurs qu'il ne prend même plus la peine de se défendre, ce serait une job à temps plein.
Essayons plutôt de comprendre ce que c'est.
Tout d'abord, il faut comprendre qu'en général les rues et routes sont divisés en plusieurs catégories. Pour éviter les termes techniques, on peut dire qu'il y a deux sortes de rue: les artères et les résidentielles.
Les artères sont des rues larges conçues pour la circulation de transit, avec plusieurs voies par direction et avec soit des feux de circulations aux intersections, soit la priorité (arrêts sur les secondaires). Généralement, commerces, bureaux et services (hôpitaux et cliniques) sont sur celles-ci.
Les rues résidentielles sont des rues essentiellement résidentielles, où les gens habitent. Il peut y avoir des parcs et des écoles, mais peu de commerces sont présents, sauf peut-être quelques dépanneurs servant le voisinage. Les rues sont plus étroites et elles ont plusieurs arrêts, pour faciliter les mouvements piétons.
Entre les deux extrêmes, il y a des collectrices.
La circulation sur les artères, ça ne dérange personne, elles sont là pour ça. La circulation sur les rues résidentielles par contre, ça, c'est dérangeant. Les autos sont bruyantes et augmentent les chances d'accident avec les piétons et les cyclistes, surtout avec les enfants. En général, on ne veut pas de voitures en transit sur les rues résidentielles, les seules voitures qu'on veut sont celles des résidents atteignant leurs résidences ou de visiteurs. Ce sont des rues d'accès, pas de transit.
Les techniques d'apaisement de la circulation sont appliquées quand le débit en transit sur les rues résidentielles est trop élevé, afin de sécuriser les rues pour les piétons et cyclistes et de diminuer le bruit et les perturbations qu'elles entraînent. L'apaisement de la circulation a deux objectifs:
1- Réduire la vitesse des véhicules sur la rue: plus les voitures vont vite, plus elles font de bruit et plus elles sont dangereuses pour les autres usagers de la route.
2- Réduire le nombre de véhicules sur la rue, en rendant le trajet moins attrayant pour les conducteurs, avec des vitesses plus basses ou des détours importants pour aller où que ce soit.
Il y a en gros trois types de catégorie d'intervention servant à apaiser la circulation.
- Il est possible d'ajouter des éléments à la rue pour forcer les gens à ralentir, on peut parler des dos d'âne, des bandes rugueuses, des afficheurs de vitesse, des arbres en bordure de la route (qui réduisent la visibilité et délimitent la rue, forçant les conducteurs à ralentir). Ce sont souvent les interventions les plus abordables, mais comme elles sont souvent ponctuelles, leur effet est souvent très limité.
- Les interventions géométriques: plus les routes sont larges, plus les gens se sentent à l'aise de circuler vite, et plus ils circulent vite, plus le chemin est tentant. Conséquemment, on peut rétrécir la largeur de la route en élargissant les trottoirs par exemple, sur toute la longueur ou en certains lieux seulement, on peut faire des chicanes (des excroissances des trottoirs forçant les automobilistes à faire des slaloms), etc... Ces interventions peuvent coûter cher ou être impossibles à faire si elles ne sont pas faites lors de la construction des rues.
- Finalement, il y a la forme des schémas de rue qui affectent la possibilité même d'utiliser les rues pour le transit. Au sommet, il y a les culs-de-sac, des rues qui n'aboutissent nulle part, donc complètement inutiles pour aller où que ce soit. Il y a les rues en courbe, qui forcent les automobilistes à ralentir et imposent des trajets non intuitifs (on prend une rue en direction est, et elle se courbe en direction sud après une centaine de mètres). Il y a les rues en T, qui forcent les automobilistes à faire des virages à de nombreuses intersections pour aller tout droit.
Voici un exemple d'apaisement de la circulation sur le Plateau Mont-Royal:
Il s'agit d'une avancée de trottoir, qui non seulement force les automobilistes à faire plus attention en arrivant à l'intersection, mais qui facilite la traversée des piétons.
Le Plateau a également inversé des sens uniques, privant les automobilistes de raccourcis dans des rues résidentielles et réduit la largeur d'une rue en implantant des sens uniques. Le cas le plus flagrant est l'avenue Laurier est à l'est de Saint-Denis, autrefois une rue à une voie par direction avec stationnement sur l'accotement, et maintenant devenu ceci:
Une rue à sens unique, sans stationnement, avec pistes cyclables réduisant la largeur de la seule voie disponible.
Beaucoup de gens se plaignent, il faut dire que la circulation de transit est très présente dans le Plateau, qui a le malheur d'être en forme de grille, ce qui permet théoriquement un grande nombre de chemins possibles.
Toutefois, est-ce que les automobilistes banlieusards sont en position de se plaindre? Regardons quelques images de banlieue:
Voici une rue résidentielle à Boucherville, elle est en courbe, pour décourager la vitesse, et un dos d'âne est installé à l'endroit, le premier d'une série de dos d'âne pour décourager la circulation de transit. Regardons aussi la forme d'un nouveau quartier résidentiel de Boucherville:
Remarquez comment il n'y a aucune ligne droite dans le quartier résidentiel. Tout détour utilisant ces rues devra faire des crochets à des intersections. Notez également le nombre de culs-de-sac, des rues complètement inutiles à la circulation de transit. Illustrons un peu tous ces éléments:
Les trajets pour traverser le quartier sont indirects, imposant des détours, et il y a une multitude de culs-de-sac. Mais au moins les chemins alternatifs sont possibles, ce qui n'est pas le cas partout. Quelqu'un qui ne connaît pas le coin risque de prendre des boucles et des culs-de-sac dans sa tentative de traverser le quartier.
Mais il y a pire: l'île des Soeurs
Regardez la partie sud, il n'y a qu'un seul chemin pour rejoindre le nord, soit le boulevard de l'Île-des-Soeurs, toutes les résidences sont dans des culs-de-sac. C'est un cas extrême de conception routière visant à éliminer entièrement la circulation de transit des rues résidentielles.
Maintenant, demandez-vous, des automobilistes qui vivent dans des banlieues où les rues sont construites pour être des labyrinthes pour la circulation afin de la décourager et où les villes implantent des dos d'âne sur tous les chemins de détour en milieu résidentiel... sont-ils en position de se plaindre si le Plateau Mont-Royal fait la même chose pour ses propres résidents? Comme je le vois, c'est de l'hypocrisie pure et simple.
Bon, et maintenant, qu'est-ce qui est préférable dans la manière d'apaiser la circulation? Personnellement, je n'affectionne pas les labyrinthes banlieusards, pas par souci pour les automobilistes, mais pour les piétons et les cyclistes. S'ils n'ont pas de chemins à eux permettant de faire des lignes droites, ces labyrinthes imposent des détours massifs pour se rendre aux commerces de proximité et imposent l'usage de la voiture. Ironique, n'est-ce pas? Afin de décourager la circulation, on crée des villes qui imposent l'utilisation de la voiture, parce que ces solutions augmentent les distances à parcourir et cyclistes et piétons sont plus sensibles aux distances augmentées que les automobilistes.
Ma préférence, c'est d'avoir des rues en grille, mais des rues étroites avec des arbres ou des bâtiments rapprochés, et préférablement de faire partager la rue avec les piétons et cyclistes. J'y reviens encore, mais les rues résidentielles asiatiques, avec leur largeur à peine suffisante pour que deux voitures puissent lentement se passer (4 à 5 mètres) et où les piétons et cyclistes circulent dans la rue, me semblent idéales pour décourager la vitesse et la circulation de transit, tout en offrant des rues qui permettent aux piétons et cyclistes d'avoir des chemins directs vers leurs destinations, réduisant les distances à parcourir et encourageant les alternatives à la voiture.
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