dimanche 26 janvier 2014

De quoi a l'air la densité: édition unifamiliale

Lorsqu'on parle de densification, beaucoup de gens prennent peur, surtout ceux qui ont passé leur vie dans les banlieues, où les seuls exemples de "densité" étaient des blocs appartements souvent en mauvais état. Pour plusieurs, densité rime avec: appartements exigus, construction en hauteur (5+ étages), allure glauque, etc...

Je fais cet article pour montrer de quoi peut avoir l'air la densité de différents quartiers. Je me limite présentement à l'unifamiliale, le multi-familiale devra attendre son tour. Les commentaires seront limités, je préfère laisser les images parler pour elles-mêmes. Je spécifierai seulement que le "chiffre magique" de la densité est de 35 unités d'habitation par hectare (10 000 mètres carrés). C'est typiquement le seuil retenu pour permettre des transports en commun de qualité et pour assurer la viabilité de commerces de proximité. Ça correspond à 8 500 à 10 000 personnes par kilomètre carré, car les maisons unifamiliales tendent à avoir en moyenne de 2,5 à 3,0 personnes par unité.

Commençons par...


Le Québec

 

Boucherville, 11 unités par hectare. Représentatif des bungalows typiques de banlieue québécoise.
Saint-Hubert, 18 unités par hectare. Des unifamiliales plus denses que l'on retrouve souvent dans les nouveaux quartiers.
Laval, 24 unités par hectare. Un nouveau quartier près d'un centre d'achat.
Brossard, 34 unités par hectare. Des semi-détachés.
On peut remarquer quelques tendances. Les nouveaux quartiers denses tendent à être formés de bâtiments très similaires. Comme on maintient des stationnements hors rue en face des maisons, plus les quartiers sont denses, plus les arbres et la pelouse disparaissent, remplacés par l'asphalte du stationnement de la maison. On note aussi qu'on semble ne pas toucher à la rue, qui reste toujours aussi large.


Le Canada

 

Vancouver, 19 unités par hectare. Maisons détachées avec ruelles arrières.

York à Toronto,  28 unités par hectare. Maisons semi-détachées avec ruelle arrière.

Cornell, Markham, 28 unités par hectare. Maisons détachées avec ruelle arrière, développement du Nouvel Urbanisme.
Cornell, Markham, 27 unités par hectare. Maisons semi-détachées sans ruelle arrière, développement du Nouvel Urbanisme.

Les deux dernières images indiquent bien la différence qu'a la présence de ruelles sur l'allure d'un quartier, pourtant bâti en même temps, probablement par les mêmes compagnies de construction et avec une densité équivalente.

Les États-Unis

 

Albany (NY), 4 unités par hectare.

Californie, 8 unités par hectare.

Buffalo (NY), 17 unités par hectare.


La France

 

11 unités par hectare. Maisons détachées.

 17 unités par hectare, maisons détachées.

Les Français semblent bâtir leurs maisons unifamiliales comme des châteaux. Murs solides, petites fenêtres souvent avec volets fermés, murs entre le terrain et le trottoir, etc... Ce n'est pas tellement accueillant, et c'est de basse densité.

Le Royaume-Uni

 

Banlieue de Londres,  23 unités par hectare. Maisons en rangée.

Londres, 36 unités par hectare. Maisons en rangée.
 Londres, 62 unités par hectare. Maisons en rangée.

Ces deux dernières images sont dans le même quartier. Le premier type de maison est à l'ouest (gauche sur l'image), le second est à l'est (droite).
Les Britanniques semblent construire surtout des maisons en rangée, avec une allure plus invitante que les maisons françaises. La différence dans la densité des différents quartiers, c'est dans la taille du terrain et la qualité du bâtiment. Les premières maisons avaient de grandes cours arrière et étaient plus larges, les secondes avaient des petites cours arrière et pas vraiment de cours avant, les dernières n'ont pratiquement pas de cours.

La Hollande

Hilversum, ville moyenne, unifamiliales semi-attachées, 25 unités par hectare

 Hilversum, unifamiliales attachées, 65 unités par hectare

L'urbanisme hollandais est très axé sur le vélo, donc même dans les villes de taille moyenne, on voit des pistes cyclables dans les rues résidentielles. On peut également noter la tendance à construire de l'unifamiliale, mais attachée, et l'importance accordée aux arbres dans leurs rues, de même que l'importance des cours arrières, même si celles-ci sont relativement petites. Les rues quant à elles sont étroites.

Le Japon

 

Asahikawa, 29 unités par hectare.

J'ai choisi Asahikawa pour montrer une ville moyenne (de la taille de Québec), dans un climat nordique comme le nôtre (en fait, pire, il y tombe plus de 600 cm de neige par année) et où la majorité du monde se déplace en voiture, contrairement aux grandes villes japonaises. Malgré tout ça, la densité est de loin supérieure à ce que nous avons.

Sendai (nord-est du Japon), 39 unités par hectare.

Banlieue de Tokyo, 47 unités par hectare.

Banlieue de Tokyo, 79 unités par hectare.
À noter les rues étroites sans trottoir, et le fait que toutes les maisons semblent différentes. C'est parce qu'au Japon, traditionnellement, les gens n'achètent pas de maisons, ils les font construire. Ils louent un terrain puis ils engagent un entrepreneur et font construire une maison sur mesure. Ce qui fait en sorte que les maisons sont toutes différentes. Ça veut dire aussi que les gens décident pour eux-mêmes combien de stationnements leur maison aura, combien de terrain ils sont prêts à perdre pour y entreposer des voitures. Contrairement à l'Amérique du Nord, où le nombre de stationnements par résidence est imposé légalement par la municipalité.

Conclusion

 

La densité n'a pas à être synonyme de quartier invivable ou laid. La qualité d'un quartier dépend souvent plus du souci architectural, de la présence d'arbres ou de haies ainsi que d'autres aménagements à taille humaine. Il est tout à fait possible de construire des unifamiliales denses où il fait bon vivre, et tout aussi possible de construire des unifamiliales à faible densité dans des quartiers qui sont tout bonnement affreux (Californie et France, je vous regarde).

dimanche 12 janvier 2014

Les ruelles: dépassées ou une bonne pratique à récupérer?

Parmi les éléments prisés par le mouvement du Nouvel Urbanisme (new urbanism), on trouve les ruelles. Ces petites rues de 5 à 7 mètres de large situées derrière les bâtiments (et dont la géométrie ressemble aux rues résidentielles japonaises). Au Québec, les ruelles ne sont pas dans nos coutumes dans les quartiers de maison unifamiliale, mais certains quartiers urbains en sont dotés.

 Ruelle sur le Plateau Mont-Royal

Par contre, certains quartiers de maisons unifamiliales en sont dotés dans le reste du Canada, comme c'est le cas à York à Toronto et à Vancouver.

 Ruelle de York à Toronto

Ruelle de Vancouver

Ces deux exemples sont des quartiers relativement vieux, mais le nouveau quartier de Cornell à Markham, en banlieue de Toronto, en a également à certains endroits. Il faut dire qu'il a été conçu selon les théories du Nouvel Urbanisme.

Ruelle de Markham

Si on veut comparer de façon schématique les développements de bungalows Québécois contre les maisons avec ruelles de Vancouver, on obtient les images suivantes:
Comparaison du schéma typique d'unifamiliales québécois contre schéma typique vancouverois

Quelques éléments de comparaison:
  • La densité des quartiers de Vancouver est plus grande que celle des quartiers Québécois de bungalows typiques (quoique certains quartiers de demi-bungalows existent qui égalent la densité)
  • Toutefois, la profondeur des lots des maisons de Vancouver est plus grande que celle des bungalows Québécois, étant de 40 mètre environ en moyenne (43 mètres en incluant la moitié de l'allée arrière) contre 30 mètres au Québec
  • Les maisons de Vancouver sont bâties en profondeur, mais les terrains sont étroits, et les cours arrières sont beaucoup plus petites, sinon inexistantes, étant remplacées par des garages.
  • L'espace utilisé par les rues (et ruelles) est plus important à Vancouver, environ 16% contre 13%. Ça ne paraît pas beaucoup, mais c'est quand même 25% de plus environ.

Les ruelles, quossadonne?

Le rôle primordial de la ruelle est d'éloigner de la rue principale toutes les activités déplaisantes qui nuisent à la vie sur la rue. Par exemple, dans les endroits dotés de ruelles, les ordures sont généralement mises dans la ruelle, non dans la rue, les camions à ordure passent dans les ruelles, et non dans la rue. De même, en général les garages et les stationnements hors-rue sont situés en arrière des maisons. Ceci permet de dégager la façade des maisons de la présence de véhicules sur le terrain, laissant toute la façade aux fenêtres et à une architecture plus humaine et moins automobile. Historiquement, le bois de chauffage était conservé dans la ruelle dans les quartiers urbains de Montréal.

Bref, les ruelles servent à déplacer les activités indésirables loin du regard des passants dans la rue.

Le Nouvel Urbanisme est une approche qui vise à redonner à la rue résidentielle un peu de ses galons. Conséquemment, l'idée de cacher en arrière les activités indésirables est très attrayante. De plus, lorsqu'on essaie de construire des maisons sur des lots plus étroits, pour plus de densité, et qu'on conserve des exigences de stationnements hors-rue ou de garages, on obtient immanquablement des designs de maison assez désastreux au niveau esthétique...

 S'agit-il de maisons avec garages... ou de garages avec cabanes attachées (Vaudreuil-Dorion)

Des dingbats, la maison en entier forme un toit pour les voitures (Lasalle)

Dans ces deux cas, la densité est relativement élevée, mais l'étroitesse des lots fait en sorte que les garages ou les entrées automobiles prennent la majorité de la façade des bâtiments. Ce ne sont pas des designs qui gagneront des prix, ils sont très peu invitants, en plus de créer une surlargeur de la rue, ce qui encourage les automobilistes sur la rue à conduire plus rapidement. La vitesse pratiquée étant tributaire de la largeur perçue par le conducteur, ainsi des rues étroites avec des bâtiments ou des arbres aux abords (ou des voitures stationnées sur la rue) incitent les conducteurs à ralentir. Des rues larges avec des abords de route dégagés incitent plutôt à la vitesse. (d'ailleurs, voici un article en anglais d'un urbaniste qui fait justement cet argument)

Un autre élément est que la présence d'entrée large limite la possibilité de stationner sur la rue. Or, comme j'en ai parlé antérieurement, les stationnements sur rue sont une manière qu'affectionnent les Nouveaux Urbanistes d'apaiser le trafic. En déplaçant les garages et stationnements hors rue en arrière des bâtiments, on permet le stationnement sur rue sur toute la rue, et dégageant la cour avant pour des arbres ou des jardins.

Pour donner un exemple visuel, voici une représentation schématique, dans la partie de gauche, j'ai représenté environ la maison de Vaudreuil-Dorion, étroite et avec un garage et une entrée à l'avant. À droite, j'ai représenté le même style de maison, mais avec un garage donnant sur une ruelle. Les espaces disponibles au stationnement sur rue sont en vert, ceux non disponibles sont en rouge. La section en brun des maisons représente l'espace des garages dans celles-ci.



À gauche, garage devant la maison, à droite, garage derrière la maison dans une ruelle

Les dimensions sont assez similaires dans les deux cas, sauf que le deuxième cas a une cour avant plus dégagée, pas de garage prenant de l'espace dans la maison et moins de stationnement hors rue. La maison à gauche peut avoir deux voitures dans la maison, et deux voitures dans l'entrée en face du garage. La maison à droite n'a que deux places hors rue dans le garage arrière, mais elle a deux places de stationnement sur rue, contre une seule pour la maison de droite. Comme il y a moins de stationnement hors rue, les stationnements sur rue auront plus de chance d'être utilisés.

Il y a moins de stationnement dans le cas de droite, avec les ruelles, mais il y a plus de stationnements sur rue, qui sont publics et partagés, ce qui réduit le nombre de stationnements nécessaires. De plus, notons que la densité est de 20 maisons par hectare à gauche, et de 16 à droite, une diminution de 20% requise par l'allongement du lot pour conserver la cour arrière et la marge avant.

Les laneway houses: la densification rendue possible par les ruelles


Il y a un autre avantage des ruelles, la possibilité de "laneway house", qui est permise à Vancouver, où plus d'un millier ont été construites. Il s'agit de l'idée que j'avais abordée dans un texte précédent sur la densification (en passant l'idée m'est venue avant que j'apprenne l'existence des "laneway houses"). Les "laneway houses" sont la possibilité de transformer le garage arrière en une maison modeste, réduisant ou éliminant le stationnement hors rue mais doublant le nombre d'unités de logement. Les maisons qui en résultent me font penser aux maisons unifamiliales japonaises. Je n'ai pas trouver d'image sur Google Maps ou d'images sans droit d'auteur, alors je vous réfère à un site d'un constructeur de ce type de maison pour des exemples.

Les "laneway houses" sont une manière de réhabiliter les quartiers unifamiliaux en doublant la densité. De plus, ils permettent de fournir des habitations à prix abordable, dans un endroit qui en a bien besoin.

Désavantages des ruelles

Les ruelles n'ont pas que des avantages, elles ont plusieurs inconvénients:
  1. Comme démontré dans les schémas, les ruelles incitent les lots à s'allonger, car non seulement elles occupent de l'espace directement, mais elles demandent l'aménagement de garage ou de stationnement hors rue adjacents. Il faut donc une profondeur de lot plus grande pour des bâtiments et des cours de taille similaire. Ceci nuit à la densité atteignable, on parle d'une réduction d'environ 10-20% dans le cas des maisons unifamiliales nord-américaines, mais la réduction peut être plus grande dans des quartiers plus denses.
  2. La réduction de stationnement hors rue et la hausse de fréquence des stationnements sur rue peut inciter à la construction de rues beaucoup plus larges en prévision des stationnements sur rue.
  3. Les stationnements sur rue plus fréquents ont leurs propres désavantages (voir texte précédent sur les stationnements sur rue).
  4. Les ruelles nécessitent des investissements additionnels de la part des villes pour la construction de voies publiques.
  5. Les ruelles augmentent la proportion d'espace occupée par les rues et ruelles.
  6. Les ruelles peuvent faire en sorte que les cours arrières soient plus claustrophobes, même si leurs dimensions sont les mêmes.
  7. Les ruelles peuvent former des espaces glauques, favorables aux graffiteurs, surtout dans des environnements urbains. Quiconque est passé devant une allée dans le centre-ville de Montréal a probablement ressenti la même chose, un sentiment d'insécurité et une attention accrue sur ce qui s'y trouve.

Opinion personnelle

Sans être opposé aux ruelles, je ne peux pas dire que je sois très convaincu des bénéfices à les ajouter à nos villes. Je reconnais qu'elles ont plusieurs avantages, et qu'elles peuvent être un tremplin vers une plus grande densification. En même temps, je n'aime pas le recours accru aux stationnement sur rue qu'elles supposent. J'ai expliqué pourquoi je n'étais pas fort sur les stationnements sur rue dans un autre article.