"Les Montréalais ont un rapport un peu ambivalent au métro, mais aussi au transport collectif en général. Non seulement parce qu’ils préfèrent la voiture, mais aussi parce que, au fil des années, les retards, les pannes et les problèmes d’entretien n’ont pas aidé la cause du métro."
Puis, lors de la Seconde Guerre mondiale, comme ailleurs en Amérique du Nord, les Montréalais sont contraints d’utiliser les tramways bondés et désuets. Ils développent alors une aversion pour le transport collectif, signale le chercheur.
Est-ce que les Montréalais, et par extension, les Québécois, haient les transports en commun et adorent la voiture, comme le laisse entendre l'article? Certainement il y a une frange de la population qui adore les voitures, c'est le cas partout dans le monde. Mais est-ce qu'on peut ainsi généraliser?
Environ 80% des déplacements au Québec se font en voiture, donc au niveau de l'usage, c'est la domination automobile complète, mais moins quand même que les Américains ou même que les autres Canadiens. Les Québécois en fait sont les rois de l'usage des transports en commun en Amérique du Nord (excluant le Mexique), et le métro de Montréal est le plus utilisé par capita d'Amérique du Nord, à l'exception du métro de New York. N'empêche, il y a effectivement une certaine culture de l'automobile, où on assume que tous ont une voiture, que c'est un bien obligatoire dans notre vie.
Toutefois, je vais dire quelque chose de choquant pour plusieurs: l'amour des Québécois, et même des Américains, pour la voiture, ainsi que le dédain des transports en commun est largement exagéré.
Confondre la conséquence pour la cause: comment l'urbanisme post-Seconde Guerre Mondiale a CRÉÉ la culture automobile
Les gens qui défendent le tout à l'auto le font souvent en requérant à un seul argument: "c'est ce que les gens veulent". La vérité, c'est que les gens n'ont pas tant choisi la voiture que la voiture leur a été imposée.Comment? Par les pratiques d'urbanismes, par les normes, les lois et les règlements régissant la conception des villes depuis 60 ans. En fait, toutes ces normes et tous ces règlements n'ont qu'un seul objectif: faciliter les déplacements en voiture, coûte que coûte.
Ainsi, le réseau routier est classifié de façon stricte en désignant certaines routes comme des routes passantes où la fluidité automobile est primordiale. Le réseau doit être assez complet pour donner rapidement accès à des routes à haute vitesse. Les normes dictent donc que ces routes doivent être larges, avec une très bonne visibilité, rien sur les abords, et les intersections doivent être rares et la signalisation à celles-ci doit favoriser la fluidité du trafic.
Les autorités sont aussi chargées d'évaluer le "niveau de service" des tronçons et intersections (évalué de A à F), et de chercher à assurer un niveau de service automobile adéquat.
Au niveau des règlements d'urbanisme, on impose à tous les nouveaux bâtiments (résidentiels, commerciaux, industriels, etc...) d'avoir plus qu'assez de stationnement pour permettre à tous de trouver de l'espace pour sa voiture, même dans la journée la plus achalandée de l'année. On impose des marges entre les bâtiments et la route pour assurer une bonne visibilité pour les automobilistes. Les limites d'étage et de lot minimum impose une limite a la densité, pour éviter la congestion ponctuelle relevant d'une trop grande quantité de voitures au même endroit. La séparation des usages permet d'éviter des congestions ponctuelles en évitant les situations de flots importants dans les deux directions.
En hiver, les routes sont dégagées en priorité. L'autorité publique responsable des rues et routes a l'obligation légale de les dégager en hiver.
Tous ces aménagements pro-automobiles, c'est-à-dire:
- les stationnements excessifs,
- les routes larges à haute vitesse et haute capacité,
- les marges entre bâtiment,
- l'entretien hivernal prioritaire des routes,
- etc...
Mais il n'y a pas que les voitures dans la vie, il y a d'autres moyens de transport: la marche, le vélo, les transports en commun. Ces moyens de transport nécessitent également des aménagements favorables. La marche a besoin de trottoirs, de traversées de rue, de chemins pédestres, de protection contre le vent, et surtout de proximité. Les vélos ont besoin de racks à bicyclettes et de pistes cyclables. Les transports en commun ont besoin de rues favorables, voir de rails et de stations pour offrir de bons services.
Qu'est-ce que ces aménagements ont en commun? Ils sont FACULTATIFS. Les villes n'ont pas à les offrir, vous êtes soumis aux aléas des gestionnaires. Il y a des guides de bonne pratique, mais ce ne sont que des recommandations, sans obligation aucune. Ainsi, les villes n'ont pas à offrir des chemins courts aux piétons, ni même de trottoirs. Ne parlons même pas des pistes cyclables, qui sont rares et souvent non connectées. Et les transports en commun sont une arrière pensée, une fois le quartier construit, on demande à la société de transport d'essayer de le desservir. Et que dire de l'entretien hivernal? Les trottoirs sont fréquemment enterrés par la neige repoussée hors de la rue, et plusieurs passent l'hiver sous la glace. Ne parlons même pas de l'entretien hivernal des pistes cyclables.
Donc dans tous les développements urbains des dernières décennies, les aménagements automobiles sont requis légalement, les aménagements pour les autres modes de transport sont complètement optionnels, et fréquemment omis. Les développeurs et les autorités ont donc l'obligation légale de faciliter la circulation automobile, mais aucune obligation envers les autres modes de transport.
Pire, les aménagements automobiles nuisent fréquemment aux autres transports. Les stationnements immenses créent des mers d'asphalte allongeant les déplacements des piétons et cyclistes, tout en les exposant aux éléments et au vent ainsi qu'en augmentant les risques d'accident et de blessure. Les rues larges nuisent aux piétons et cyclistes voulant les traverser, les exposant à la circulation plus longtemps que nécessaire. La séparation des usages augmente de façon insensée les distances à parcourir.
Le résultat est simple: conduire dans les nouveaux développements des dernières 50-60 années est facile... mais marcher est difficile, faire du vélo est difficile, prendre le transport en commun est difficile.
Quand on facilite la vie des automobilistes, quitte à faire des villes qui font la vie dure aux piétons, aux cyclistes et au transport en commun, comment se surprendre que les gens "choisissent" de se déplacer en voiture? Nous les incitons à le faire, nous les récompensons de faire ce choix, et nous les punissons de faire des choix alternatifs.
Et c'est là que vient la domination automobile. Les élites politiques et économiques étaient automobilistes à l'époque quand elles ont conçu ces règles et ces normes. En les adoptant, elles ont imposé l'usage de la voiture à la majorité.
Ce n'est pas parce que les Québécois ont collectivement décidé de faire le choix de l'automobile qu'on a adopté des règlements d'urbanisme pour faciliter la circulation automobile... c'est parce qu'on a imposé des règlements d'urbanisme facilitant la circulation automobile et rendant facultatif les aménagements des autres modes de transport que les Québécois ont acheté des voitures en masse.
Les Québécois et les transports en commun: le cas des trains de banlieue
Voici un exemple qui démontre bien comment les Québécois aiment en fait les transports en commun fiables, rapides et de qualité, malgré les préjugés des élites.Pendant des décennies, les autorités provinciales et municipales dans la région de Montréal levaient le nez sur l'idée même de train de banlieue. "Les Québécois n'aiment pas les rails, ils aiment leurs voitures" disaient-ils. Aucun plan n'existait pour offrir de tels liens dans la région de Montréal.
Et pourtant, dans les années 90, lors de travaux sur les ponts routiers de Montréal, afin de mitiger la congestion lors des travaux, on se résigne à mettre sur pied un service de trains de banlieue. Mais juste pour la période des travaux, après tout, les Québécois haient les transports en commun, dès qu'on rouvrira les voies routières, ils se dépêcheront de retourner à leurs voitures, n'est-ce pas?
Et pourtant, loin de maugréer à prendre le train, les banlieusards sont enthousiastes à les prendre. Ils les adorent, ils les remplissent à craquer, les stationnements incitatifs ne suffisent plus. Quand les travaux prennent fin, loin de célébrer le retour aux voitures, les banlieusards réclament le maintien du service de trains de banlieue. Et depuis, l'engouement continue, les trains sont pleins, les stationnements incitatifs sont insuffisants à la demande, les banlieues dépourvues de trains en demandent à voix haute. Et pourtant le réseau Montréalais est très radial, et pas mal inutile sauf pour se rendre au centre-ville, donc son utilité est limitée.
La réalité s'impose: si on offre des transports en commun de qualité aux Québécois, ceux-ci les prennent avec joie, ils les adorent. Loin d'être fanatique des voitures et haïssant les transports en commun, le Québécois moyen aime avoir un choix et est ouvert à tout moyen de transport qui pourra l'amener à destination.
Les Québécois ne sont pas différents des autres peuples. Si on lui offre beaucoup de routes rapides, il prendra sa voiture. Si on lui offre des quartiers denses où la marche est plaisante et sécuritaire, il marchera. Si on lui offre des trains et des métros rapides de qualité, il les prendra. Si on lui offre des pistes cyclables complètes entretenues à l'année et des racks à bicycle en quantité, il prendra sa bicyclette.
Mais nos normes et nos règlements sont clairs: assurer la circulation automobile est OBLIGATOIRE, faciliter les autres moyens de transport est facultatif, une arrière-pensée. Du coup, les Québécois utilisent leurs voitures, car c'est seulement en voiture qu'ils sont sûrs d'avoir des aménagements favorables à leurs déplacements.
Si on avait donné la priorité aux trains et aux autres transports en commun, comme le Japon le fait, nous utiliserions principalement les transports en commun. Si on mettait en place des normes obligatoires pour assurer à la fois la circulation automobile et cycliste, les gens prendraient autant leur voiture que leur vélo, comme c'est le cas au Danemark et en Hollande.
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