Le "dernier
kilomètre", ou "last mile" en anglais (ce qui
correspond en fait à 1,6 kilomètre mais bon, passons...) est un
principe de transport en commun, souvent perçu comme un problème
des transports en commun rapides.
Le tout vient du fait que
les transports en commun sont limités dans la vitesse qu'ils peuvent
atteindre par le nombre d'arrêts qu'ils ont à faire sur leur
trajet. Ainsi, quelle que soit la technologie retenue, afin d'assurer
une accélération progressive et confortable pour les usagers, dont
plusieurs peuvent être debout, l'accélération sera limitée à
environ 1 mètre par seconde carré, ce qui équivaut à un gain de
vitesse de 3,6 kilomètre par heure à chaque seconde. Comme
l'accélération est constante, la vitesse moyenne d'une ligne de
transport en commun dépendra principalement de la distance entre
chaque arrêt, et dans une moindre mesure, par la vitesse maximale de
la ligne.
Donc afin d'avoir un moyen
de transport en commun vraiment rapide, il n'y a pas d'autre choix
que d'espacer les arrêts. Voici un graphe qui représente la vitesse
moyenne d'une ligne de transport en commun en fonction de
l'espacement entre chaque arrêt et la vitesse maximale.
Donc une ligne de
transport en commun rapide devra avoir des arrêts espacés de 600 mètres minimum, afin de bien concurrencer la voiture. Ce qui veut dire
que très peu de gens et de destinations seront situés directement
en face d'un arrêt. La majorité du monde devra effectuer un trajet
dans un autre mode pour arriver à destination ou pour atteindre la
station, que ce soit à pied, en autobus, en bicyclette ou en
voiture. C'est le « problème » du dernier kilomètre,
dans le sens que sur un trajet de 10 kilomètres, tous sauf le
dernier peuvent être faits dans un moyen de transport rapide.
La raison pour laquelle
c'est considéré comme un problème est assez simple. La vitesse
pratiquée dans ce dernier kilomètre sera bien inférieure à la
vitesse du reste du trajet, il peut aussi y avoir des désagréments
comme un temps d'attente additionnel entre le trajet principal et le
dernier tronçon. Bref, pour les experts qui doivent concevoir les
systèmes de transport en commun de quartiers existants, c'est un
problème majeur qui semble réduire la qualité du système.
Mais je crois qu'en fait,
le « dernier kilomètre » n'est pas un problème, c'est
une opportunité urbaniste.
Pourquoi est-ce que les
villes sont généralement situées à proximité de ports ou sur des
rivières?
Pourquoi est-ce que les
centres commerciaux en banlieue sont situés aux échangeurs
d'autoroute?
Pourquoi est-ce que les
commerces s'agglutinent le long des boulevards hautement fréquentés?
Parce que dans tous ces
cas, on bâtit sur un endroit qui est « sur le chemin »,
à un endroit où il y a beaucoup de passants qui pourraient être
intéressés de s'y arrêter. Et c'est justement ce que les arrêts
des transports en commun rapide offrent. Elles représentent des
escales, des points de passage obligés pour un nombre très
important de personnes. Si le secteur est urbanisé, il y aura un
très grand nombre de piétons à proximité de la station se rendant
chez eux. Même s'il n'y a qu'un terminus d'autobus, il y aura quand
même beaucoup de gens qui peuvent attendre leur autobus pendant
plusieurs minutes à l'endroit.
Donc au niveau des
développements, c'est une occasion en or de bâtir un lieu
commercial orienté vers les piétons, car des piétons, il y en aura
en masse. On a une concentration d'activités à l'endroit dont on
peut profiter si on ose le permettre.
Effectivement, ce genre de
transport en commun ne dessert pas parfaitement les développements
linéaires le long des boulevards dans les secteurs construits pour
l'automobile. Alors si l'objectif du transport en commun est
simplement de permettre aux gens sans voiture de survivre dans un
milieu conçu uniquement pour la voiture, alors oui, c'est
véritablement un problème. Si au contraire l'objectif du transport
en commun est de créer son propre développement axé sur lui-même
et sur la marche, alors ce n'est pas un problème, c'est en fait un
grand avantage en fournissant un lieu où les activités peuvent se
concentrer.
Les transports en commun rapides sont donc idéaux pour connecter entre eux des quartiers orientés vers la marche, comme une série de villages urbains, denses en leur centre (près de la station) et moins denses à mesure qu'on s'éloigne de ce centre, jusqu'à ce qu'on s'approche d'une autre station et que la densité augmente à nouveau. On ne doit pas craindre le "dernier kilomètre", mais y voir une opportunité de changer le paradigme du développement urbain.
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