L'urbanisme ne peut pas se dissocier de l'étude des transports. À la
base, tous les développements urbains suivent toujours les axes de
transport disponibles. Au Québec, toutes les villes les plus
importantes, soit Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay,
Saint-Jean-sur-Richelieu, Gatineau, sont toutes situées sur les berges
de fleuve ou de rivières, car à l'époque, c'était les voies maritimes
qui représentaient les liens de transport les importants.
Pareillement,
le caractère des développements sera influencé par les axes de
transport principaux. Une ville bâtie autour de lignes de trains et de
métros sera bien différente d'une ville bâtie au coeur d'un réseau
d'autoroute.
Et quand il y a compétition entre
différents modes de transport, c'est-à-dire entre la marche, le vélo,
les transports en commun et la voiture, qu'est-ce qui dicte quel
transport l'emportera? Qu'est-ce qui fait en sorte que seulement 37% des
déplacements à Munich se font en voiture contre 88% des déplacements à
Houston au Texas?
En un mot: la vitesse.
Il
y a d'autres facteurs, comme le coût, la sécurité et le confort, mais
le facteur primordial, c'est la vitesse. Plus précisément la vitesse
relative des modes de transport entre eux. Un moyen de transport peut
être
excessivement confortable et ne rien vous coûter, mais si vous perdez
trois heures dedans à chaque fois que vous allez quelque part, alors
qu'un autre moyen de transport vous y amène en 15 minutes, vous ne le
prendrez jamais.
Donc, plus un moyen de transport est
rapide, plus il sera attirant. Or, en terme de vitesse, la voiture a
souvent un avantage. Elle peut aller bien plus vite que nous pouvons
nous déplacer à pied ou à bicyclette, et contrairement aux transports en
commun, elle n'a pas à s'arrêter périodiquement pour faire monter ou
débarquer des usagers, elle n'a pas d'attente obligatoire avant
d'embarquer non plus.
Prenons une rue typique, avec des
intersections, des feux et des arrêts, sur laquelle circule des
piétons, des cyclistes, des autobus et des voitures, sans voie réservée.
Quelle est la vitesse de chaque mode? Et bien, la voiture ira à 30 km/h
en moyenne (à cause des arrêts et des feux ainsi que la limite de 50
km/h), l'autobus ira à 15 km/h en moyenne (pour une ligne d'autobus avec
une forte fréquentation) et les piétons iront à 5 km/h.
Une ville de base
De quoi aurait l'air une ville avec seulement
des rues de ce genre? Et bien les gens typiquement vont tolérer une
distance d'environ 45 minutes avec leur lieu de travail, si une ville a
un centre-ville très fort, les gens pourraient vouloir habiter à 45
minutes ou moins du centre de la ville. Si la ville a des rues en grille
est-ouest et nord-sud, le résultat est qu'il y aura trois "zones",
trois typologies marquées de la ville.
La
zone en vert est la zone où la marche est un moyen de transport viable
pour atteindre le centre-ville. La zone orangée est celle où la marche
n'est plus viable, mais le transport en commun l'est encore. Finalement,
la zone en rouge est celle où seule la voiture est viable pour
atteindre le centre-ville. Ces zones vont représenter des différences
marquées en terme de la forme des développements. La zone verte sera
dense et à usage mixte, car les piétons ont besoin de proximité et n'ont
pas besoin de beaucoup d'espace pour leurs déplacements. La zone
orangée ressemblera beaucoup à la zone verte, mais un peu moins dense,
car les usagers du transport en commun sont également piétons et
voudront de la proximité pour leurs déplacements secondaires (épicerie
par exemple). La zone rouge sera de l'étalement urbain. Comme le seul
moyen de transport viable est la voiture et que celle-ci requière
beaucoup d'espace, les développements seront moins dense.
De
quoi aurait l'air la part modale des déplacements dans cette ville? Et
bien, la surface rouge représente 74,5% de la superficie de la ville, la
surface orangée en représente 22,5% et la surface verte, 3%. Mais c'est
sans compter la densité plus importante des zones vertes et orange. La
population de la ville serait probablement répartie comme suit: 10% dans
les zones vertes, 40% dans les zones orangées et 50% dans les zones
rouges.
Mais toutes les villes ne ressemblent pas à ça.
Les villes peuvent avoir plusieurs "centres" qui réduisent l'importance
de lien rapide vers le centre-ville par exemple. Mais si on ignore ce
facteur, il y a un autre élément qui sera marquant dans le développement
de la ville: les liens rapides.
Les liens rapides
Il est très rare que les villes soient
constituées uniquement de rues à 50 km/h que tous les usagers peuvent
prendre. Il y a de nos jours très fréquemment des liens rapides, qui
viennent sous deux formes principales, la première est l'autoroute, la
seconde est les lignes de transport en commun rapide (trains, métros,
train léger, tramways, SRB).
L'autoroute, comme son nom
l'indique, est une route réservée aux voitures, sur laquelle celles-ci
peuvent conduire à vitesse constante, sans s'arrêter, car il n'y a
aucune intersection, aucun feu de circulation et aucun arrêt. On ne peut
qu'entrer et sortir de l'autoroute qu'à partir de certains échangeurs
distancés en général de quelques kilomètres de distance. En général, la
vitesse moyenne sera d'environ 100 km/h.
Les transports
en commun rapides sont un peu similaires... leur nombre d'arrêt est
limité et ils sont situés sur des voies exclusives où ils peuvent
atteindre des vitesses importantes. Mais les arrêts nécessaires font en
sorte que la vitesse moyenne est limitée à environ 40 km/h.
Ces
liens rapides sont des raccourcis... mais les autoroutes sont
essentiellement des raccourcis seulement pour les voitures. Les piétons
n'y ont pas accès et les autobus peuvent les emprunter, mais seulement
en mode express, vers le centre-ville, donc une flexibilité pourrie. Si
on prend notre ville de base et qu'on ajoute deux autoroutes, une dans
l'axe est-ouest et l'autre dans l'axe nord-sud, des terrains qui
autrefois étaient trop loin du centre sont désormais à une distance
acceptable. L'important est d'habiter à proximité d'un échangeur. Donc,
si l'autoroute à partir d'un échangeur permet d'atteindre le
centre-ville en 15 minutes, on tolérera d'habiter à 30 minutes ou moins
en voiture de cet échangeur.
Voici ce que ça donne, les autoroutes sont les traits noirs, les échangeurs sont les bulles blanches.
Les
zones vertes et orangées sont de même dimension qu'avant, mais regardez
ce qui s'est passée avec la zone rouge. Elle a pris beaucoup
d'expansion et domine désormais. La grande majorité de la ville sera de
l'étalement urbain où seule la voiture est viable comme mode de
transport.
C'est ce qu'ont fait les villes américaines
comme Houston, plein d'autoroutes mais avec peu de transport en commun
rapide. La majorité de la ville impose l'usage de la voiture, il n'y a
pas de choix. Conséquemment, la part modale de la voiture est de près de
90%.
Maintenant, évitons l'autoroute, mettons deux
lignes de métro à la place. Les stations de métro ont la particularité
d'être accessibles à la fois aux usagers des transports en commun et aux
piétons. Le métro est donc également un raccourci dans un déplacement
piéton. Le résultat est très différent:
Comme
on peut le voir, le métro vient de renverser la tendance. La majorité
de la ville est donc accessible à pied ou en transport en commun, il n'y
a que très peu de terrains où seule la voiture est viable comme moyen
de transport. La ville sera donc moins étalée et beaucoup plus dense.
Il
est important de noter que la voiture peut être utilisée également dans
les zones vertes et orangées. En fait, dans les zones vertes, tous les
moyens de transport sont viables, dans les zones orangées, le transport
en commun et la voiture sont viables, mais dans les zones rouges, il n'y
a plus de choix, seule la voiture est viable.
Bon,
dans l'image précédente, j'ai supposé qu'il n'y avait pas de
stationnement incitatif, s'il y en a, alors les déplacements en voiture
peuvent également utiliser le métro, ça donne plutôt ceci:
Ça ne change pas beaucoup la donne, mais ça ajoute un peu de terrains rouges.
Les images précédentes ne sont pas toutes à la même échelle par contre. Si on les compare à la même échelle, ça donne ceci:
Notez
à quel point l'autoroute permet de rejoindre plus de terrains grâce à
sa grande vitesse. Ça veut dire que dès qu'il y a une autoroute dans une
ville, il y aura du développement avoisinant qui sera dépendant à la
voiture. D'ailleurs, si on suppose une ville avec deux autoroutes et
deux métros, ça donne l'image suivante:
Oui,
les zones vertes et orangées sont étendues, mais les terrains rouges
liés à l'autoroute dominent encore beaucoup la ville. Le transport en
commun urbain, même rapide, ne peut pas concurrencer l'autoroute.
Note de passage: la congestion
La congestion permet d'égaliser un
peu la lutte entre transport en commun et la voiture. Quand des
autoroutes ou des rues sont congestionnées, la vitesse moyenne diminue
drastiquement. Si les transports en commun peuvent contourner la
congestion, alors ça peut réduire l'écart. Toutefois, la congestion
n'est là qu'aux heures de pointe, donc pour tous les autres
déplacements, la voiture aura un avantage majeur. Une ville
congestionnée peut donc avoir un meilleur équilibre entre les modes de
transport à l'heure de pointe... mais elle sera toujours aussi
déséquilibrée le reste de la journée.
Conclusion
Si nous prenons comme acquis que nous voulions
construire des villes où une multitude de moyens de transport différents
sont viables pour la grande majorité des résidents, alors nous ne
pouvons éviter une simple conclusion: les autoroutes n'ont rien à faire
dans un milieu urbain, si elles sont présentes, elles doivent être
converties en boulevards urbains, réduisant ainsi la vitesse pratiquée
et mettant les moyens de transport sur un pied d'égalité. De même, les
transports en commun rapides sont vitaux pour assurer un choix de
transport à un plus grand nombre de personnes, afin de contrebalancer
l'avantage inhérent des voitures au niveau de la vitesse.
Donc, en ville, autoroute, non, métro, oui.
Je
noterai également que cette leçon est bien comprise par plusieurs
autres peuples. Par exemple, en Allemagne, il y a bel et bien un réseau
très développé d'autoroutes qui n'ont souvent pas de limite de vitesse,
les autobahns, Toutefois, ces autobahns ne pénètrent pas les villes de
façon générale, mais laissent leurs utilisateurs à plusieurs kilomètres
des centre-villes, le reste du trajet se faisant sur des boulevards
urbains limités à 50 ou 60 km/h avec plusieurs intersections.
Voici l'exemple de Munich (qui n'a jamais été dans le giron communiste et possède une industrie très forte)
Les
autobahns sont en orange foncé, les traits jaunes sont les boulevards
urbains ou des routes régionales. Le coeur de Munich n'a aucune
autoroute, en fait il y a une zone d'environ 150 kilomètres carrés sans
autoroute au centre de la ville. Par contre, si on regarde les lignes de
transport en commun de Munich...
On
remarque un réseau de transport en commun rapide très étendu, incluant
des stadtbahns en traits verts (mi-train de banlieue, mi-tramway) qui
vont bien en-delà des frontières de la ville et rejoignent les
banlieues, de sorte que même dans les banlieues éloignées, le transport
en commun reste compétitif au niveau de la vitesse pour rejoindre le
centre-ville.
C'est pourquoi seulement 37% des
déplacements se font en voiture à Munich, ce qui représente une
distribution très équilibrée entre voitures, transports en commun et
modes actifs (piétons et cyclistes).